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Pourquoi je n’enseigne plus comme avant ?

L’école est souvent perçue par les élèves, en particulier par ceux qui sont le plus en difficulté, comme un lieu d’ennui, notamment parce que c’est un lieu hors du monde dans lequel se reproduisent, de manière routinière et sans lien avec « la vraie vie », des savoirs dont ils ont du mal à percevoir l’intérêt. En face, les professeurs sont souvent démunis pour répondre à ce manque d’intérêt pour ce qu’ils considèrent comme des savoirs indispensables dont ils ont fait leur métier. Face à ce manque d’intérêt, moi-même enseignante, je me suis enferrée (et je ne pense pas être la seule) dans la routine et dans une attitude de fuite en avant consistant à considérer qu’après tout, quoi qu’on fasse, on n’arrivera pas à les intéresser. Jusqu’au jour où j’ai transformé les contenus et les méthodes de mon enseignement.

Ce texte se veut un témoignage et non une réflexion scientifique. Évolutif, il est destiné à suivre les métamorphoses de ma pratique. Il contient des références à la recherche universitaire en sciences de l’éducation en raison de ma position particulière de doctorante travaillant sur les relations des enseignants à l’engagement. Je n’explicite pas, dans ce qui suit, l’apport propre de mon travail de recherche sur ma posture d’enseignante. Je me contente de partager, d’un point de vue assumé comme principalement émotionnel, celui de l’ennui et du plaisir au travail, une expérience de transformation des pratiques.

Quatre raisons me poussent à partager cette expérience. Premièrement, je pense que, tout en étant tout à fait singulière et inextricablement liée à ma subjectivité, elle me rattache à d’autres expériences qui ont sociologiquement du sens. C’est pourquoi je me livre ici à un exercice d’auto-analyse[1]. Ensuite, je pense que l’ethnographie de ma pratique enseignante[2], passée et présente, me permet un retour réflexif sur ma conception de l’enseignement et sur ce qu’y s’y joue, comme obstacles ou comme ressources à mon propre bonheur professionnel. En outre, la joie de l’accomplissement, qui porte en elle une forme d’élan vers l’action, me pousse à partager ce que j’ai vécu en me disant qu’il peut intéresser d’autres, qui, comme je le fais encore, tâtonnent et cherchent les voies de leur propre bonheur pédagogique et de la réussite des élèves. Enfin, si la douleur et l’accomplissement au travail sont irréductiblement individuels, je pense en revanche que les joies de l’accomplissement sont d’autant plus fortes qu’elles sont collectives. Dans une institution scolaire qui se considère elle-même en crise, les individus ne peuvent porter à eux seuls la responsabilité du renouveau. En revanche, la rencontre des enthousiasmes et des subjectivités individuelles, l’échange, et l’action collective peuvent beaucoup là où les inerties bureaucratiques contraignent le changement.

Changer sa manière d’enseigner pour sortir de la désolation et de l’ennui.

Je suis professeur d’histoire-géographie dans le second degré (cela signifie que je peux enseigner en collège ou en lycée). De fait, j’ai surtout enseigné en lycée depuis 15 ans que j’appartiens à l’Education nationale. L’an dernier, j’ai rencontré une classe de sixième qui m’a fait tout changer. J’étais lasse d’enseigner, je commençais à chercher du travail ailleurs (« dans le privé », comme on dit, nous autres « fonctionnaires »), je m’ennuyais et me désolais depuis plusieurs années. Ce n’est pas la rencontre en soi qui m’a fait rebondir, mais, dans un faisceau de facteurs personnels, sociologiques, institutionnels, didactiques et pédagogiques, elle a sans doute été l’étincelle, le déclencheur.
Pour comprendre quelle enseignante je suis devenue, il faut savoir quel professeur j’étais.

Professeur, enseignante, ce n’est pas la même chose. La différence entre les deux termes est suffisamment forte pour faire l’objet d’un débat identitaire au sein du monde et du syndicalisme enseignants, certains professeurs refusant de se reconnaître comme « des enseignants ».

Pour simplifier, un professeur professe depuis une position institutionnelle qui lui confère à la fois légitimité et autorité. Le professeur tire son autorité (morale et pédagogique) de l’institution scolaire qui reconnaît ses titres universitaires et intellectuels. Professeur, c’est donc un titre.

Enseigner, c’est une fonction, celle de l’enseignant. Un enseignant se définit par le fait qu’il enseigne. En allant jusqu’au bout de cette façon de définir l’enseignant, on dira qu’on devient enseignant, non en acquérant des titres, mais en enseignant, dans la pratique professionnelle elle-même.

Et si on pousse la dichotomie jusqu’au bout, on dira qu’un professeur n’a pas besoin de formation supplémentaire qui s’ajoute à ses titres universitaires (fondés sur la maîtrise de savoirs et de savoir-faire académiques et scientifiques) tandis que l’enseignant est le produit d’une formation à l’enseignement, à l’acte d’enseigner ce qu’il sait parce qu’il l’a appris à l’université.

Professeur par promotion sociale.

En ce qui me concerne, je suis entrée dans l’enseignement non comme enseignante, mais comme professeur. Ce mode d’entrée dans l’enseignement ne m’est pas spécifique et n’est n’est pas une forme de ma personnalité. Il est, et cela a été démontré, statistiquement et ethnographiquement, le produit d’une socialisation. La socialisation, pour simplifier, c’est la fabrication de l’identité de l’individu par la famille (socialisation primaire) et par les institutions (école, insertions dans le monde professionnel) et les interactions sociales (rencontre avec d’autres individus et d’autres groupes d’individus).

Je suis d’origine étrangère sans pouvoir être considérée comme enfant d’immigrés (mon père est bi-national) et j’ai découvert la France à la sortie de l’enfance. Mes origines sociales sont à mi-chemin entre les classes populaires et la classe moyenne. Je suis bilingue et j’ai eu la chance de bénéficier, dans ma petite enfance, d’une scolarité trilingue en établissement international puis bilingue en lycée français. J’ai été une très bonne élève et j’ai fait une classe prépa littéraire. Mes parents ont été très attentifs à ma scolarité et à celle de mes sœurs.

J’ai donc, sociologiquement, un profil un peu particulier. J’ai bénéficié d’une scolarité, par le type d’établissements fréquentés, différente de la scolarité classique des classes populaires en France et j’ai bénéficié, comme d’autres enfants des classes populaires, d’un contexte familial favorisant la réussite scolaire[3].

J’ai fréquenté une classe préparatoire moyenne. Pour entrer en classe préparatoire, on présente un dossier de pré-admission. J’avais un avis favorable sur une des meilleures classes préparatoires parisiennes. Je n’ai pas présenté le dossier d’admission. En effet, résident en grande banlieue, mes parents ont fait le choix, classique dans les classes populaires et moyennes, de la proximité (pour des raisons évidentes de budget et de logement à Paris). Dans ma classe préparatoire, qui intégrait peu d’étudiants à l’ENS, j’étais considérée comme capable d’intégrer, mais je n’ai réussi qu’à être pré-admissible ma première année et à faire moins bien en cubant. A la fac, j’ai fait ma maîtrise, préparé les concours et réussi à être seulement bi-admissible à l’agrégation, que j’ai eu plus tard à l’interne.

Dès mon entrée en classe prépa, j’ai eu l’impression d’un seuil, impression que je n’ai jamais complètement surmontée pendant mes études. Tout ce qui m’avait semblé facile jusqu’ici devenait plus compliqué. Je n’avais pas à l’époque pleinement conscience de la différence de niveau social avec les autres, mais j’ai compris que j’évoluais désormais dans un monde culturel radicalement nouveau le jour où l’un de mes professeurs d’hypokhâgne a glissé le nom de Foucault au détour d’une phrase. Je me souviens très bien ce jour de cette intuition qui m’avait traversé « non, il ne peut pas parler du présentateur télé »… Et ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que, lorsqu’une camarade de classe m’avait déclaré vouloir devenir anthropologue parce qu’elle voulait poursuivre le rêve d’un vieux monsieur ami de ses parents, elle parlait de Jean Malaurie (oui, le spécialiste des Eskimos).

Ma culture était bilingue, relativement riche, nourrie de beaucoup de lectures (de gare et de classiques), mais éminemment scolaire. Il y manquait donc évidemment tout ce qui n’avait pas traversé le curriculum et le hasard de son application par mes différents enseignants (de toute évidence, Foucault et Malaurie n’en faisaient pas partie).

Enfant, je faisais la classe à mes poupées et à tous mes amis qui voulaient bien se laisser faire. Je suis devenue professeur parce que mes enseignants, du lycée à la prépa puis à l’université ont cru à mon potentiel pour passer les concours et parce que mes parents, qui voulaient que je fasse du droit ou du commerce, avaient moins de légitimité à mes yeux.

A l’IUFM, je me suis ennuyée, un peu rebellée et, comme beaucoup, j’ai subi comme je pouvais. L’institution était très satisfaite de mes stages et de mon mémoire et j’ai été titularisée sans difficulté.


Professeur faute d’autre chose.

Professeur, j’ai été, les cinq premières années très enthousiaste, pleine d’énergie et d’entrain. J’ai très vite compris que je ne faisais pas progresser mes élèves, que les bons restaient bons et les autres repartaient comme ils étaient venus. J’ai déployé tout un arsenal pédagogique, inductif, constructiviste, allergique au cours magistral. Ça tombait bien, c’est ce que voulait l’institution. Mes inspections se sont toujours bien déroulées et ont donné lieu à des rapports très satisfaisants dans l’un desquels étaient vantée mon « autorité naturelle »[4].

Très vite, je me suis rendu compte que je m’ennuyais, que mes élèves s’ennuyaient, qu’il ne se passait rien, en somme. J’ai continué à m’ennuyer et à les ennuyer tout en conservant une solide réputation de très bon professeur, réputation tout à fait légitime du point de vue de l’institution.

J’ai commencé à m’aigrir, me disant que toutes ces études (et toute cette violence pédagogique subie) pour ça… J’ai commencé à économiser mes efforts et à rechercher des portes de sortie. J’ai repassé et eu l’agrégation, j’ai pratiqué le syndicalisme, je me suis lancée dans une thèse, j’ai cherché du travail, j’ai multiplié les activités et je me suis encore plus ennuyée en classe et j’ai eu de moins en moins d’enthousiasme à la perspective d’aller travailler.

Puis j’ai changé d’établissement et j’ai commencé à rencontrer les limites définitives de mon mode d’exercice de mon métier.

Remise en question.

En changeant d’établissement, j’ai changé d’élèves. Quittant la banlieue pour me rapprocher de mon domicile, j’ai changé d’académie, pour entrer dans un nouvel univers scolaire, plus visiblement compétitif et élitiste[5]. On m’avait prévenu qu’en entrant dans cette académie, j’entrais dans un autre monde.

Lorsque j’ai fait ma mutation, j’ai appliqué la stratégie habituelle des enseignants, celle de la « carrière horizontale ». C’est comme ça qu’on appelle la migration progressive des enseignants des « moins bons » (scolairement, mais en réalité socialement) établissements vers les « meilleurs ». Mes critères de choix étaient le mix classique entre la proximité géographique, la limitation réaliste des ambitions (demander ce qu’on est sûr de pouvoir obtenir pour éviter d’avoir « pire ») et la recherche d’un établissement que je me formulais comme « reposant » (c’est-à-dire présentant le public le moins rétif possible à la règle scolaire).

J’ai obtenu mon 11è vœu et j’ai atterri dans un établissement d’arrondissement favorisé, mais réputé pour ses résultats médiocres (juste bons, en réalité, mais pas excellents) et ses élèves peu scolaires.

Ici, tout ce qui fonctionnait avant ne fonctionnait plus. Mon charisme, comme envolé, m’abandonnait au doute et à l’hésitation. Je faisais les mêmes cours, de la même manière, en m’ennuyant et en ennuyant autant, je « tenais » (terme désignant la capacité à obtenir la discipline) mes classes, mais tout dans la douleur. Je multipliais les sanctions (dans mon établissement précédent, je ne sanctionnais pour ainsi dire jamais) ainsi que les conflits avec les élèves et les parents. Il se passait quelque chose, mais pour le coup, je m’en serais bien passée.

Acculée au changement.

J’avais la forte intuition que quelque chose de se qui se passait tenait au changement de public. Depuis quatre ans que je suis dans l’établissement, j’ai compris que j’avais accumulé les mauvais pas.

Pour simplifier, mes élèves venaient, pour beaucoup, de milieux sociaux relativement favorisés mais se trouvaient, par rapport à la fratrie, à leurs parents ou à leur environnement plus large, en situation d’échec par leurs résultats scolaires et leur affectation dans un établissement considéré comme un second choix. Cabossés par le système scolaire, ils étaient en conflit avec l’institution qui les faisait souffrir.

Je m’étais adressée à eux et à leur parents du haut de ma chaire de professeur sans comprendre (problématique à laquelle je ne m’étais jamais heurtée en banlieue, où j’avais de toute façon, très peu de relations, ou alors très lisses en raison de ma réputation, avec les parents) que je parlais à des personnes qui me considéraient tout au plus comme leur égale (en instruction, en éducation et en niveau socio-économique).

Je m’étais considérée trop vite comme expérimentée et reconnue sans voir que mes interlocuteurs me testaient. J’étais nouvelle, peu importe que j’aie derrière moi plus de 10 années de carrière. Toute ma réputation était à refaire.

Je me suis laissé entraîner dans le jeu, qui m’a semblé (à juste titre) correspondre à la pratique locale, mais qui ne correspondait pas à mes pratiques, des sanctions. J’ai oscillé, dans un double bind, entre ma pratique ancienne (appuyée sur une autorité « naturelle » en réalité rôdée dans la pratique) et une pratique nouvelle appuyée sur l’autorité de l’institution et de son arsenal répressif. Les élèves n’y comprenaient plus rien et moi non plus.

Une rencontre hors du commun.

Les années suivantes, m’habituant à ma nouvelle académie, à ses logiques scolaires particulières et à son nouveau public, j’ai progressivement rétabli mes pratiques anciennes et réussi à restaurer, en l’adaptant à un nouveau cadre et en l’asseyant sur de nouvelles légitimités, mon autorité « naturelle » renégociée.

J’ai continué à m’ennuyer et à ennuyer avant qu’un ensemble d’accidents (au sens d’éléments imprévus) ne vienne conclure un processus de remise en question qui durait depuis mon arrivée dans l’établissement. Parmi ces incidents, le principal est ma rencontre, que je pourrais qualifier de merveilleuse (au sens où elle sortait de l’ordre « naturel », habituel, des choses) avec une classe de 6è.

Nommée en cité scolaire, j’enseignais désormais à la fois en collège et en lycée. Lorsqu’on m’a donné cette classe de 6è, ma dernière année d’enseignement dans ce niveau remontait à mon stage, donc au tout début de ma carrière.

Les 6è, élèves sortant de l’enfance et entrant dans la préadolescence, sont réputés pour leur enthousiasme scolaire, enthousiasme qui se perdrait progressivement dans les méandres identitaires de l’adolescence tout au long du collège. Maman de deux très jeunes enfants, j’étais moi-même particulièrement sensible à l’enfance de ces élèves, à leur petite taille, leur voix fluette, les étoiles qu’ils avaient dans les yeux quand, au détour d’une série de diapositives sur les grands paysages bioclimatiques, ils voyaient apparaître un zèbre perdu dans l’immensité de la savane. Ils n’avaient rien de différent des autres élèves de 6è. Ils étaient curieux, je m’ennuyais, ils m’ont entraînée dan un renouvellement total de mes pratiques.

Il se trouve que cette année là, j’avais commencé, sur les conseils d’une amie qui en avait plusieurs et qui était par ailleurs une mine de connaissances en sciences de l’éducation, mon site Internet pédagogique. Ce site Internet était lui-même en partie le produit d’un accident. Les éditeurs scolaires, malgré mes demandes répétées, ne m’envoyaient pas mes « spécimens ». C’est ainsi qu’on appelle les manuels délivrés gratuitement aux professeurs exerçant dans le niveau concerné s’ils correspondaient à la collection en usage dans leur établissement. Furieuse, j’ai décidé de me passer de manuels, de ne plus demander aux élèves d’avoir le leur (motif d’ennuis et de problèmes techniques sans fin dus aux oublis répétés) et de construire intégralement mes cours à partir de ressources en ligne dont je mettais le lien sur un site. Mon repère, dans la construction des contenus du site, c’était la curiosité de mes élèves de 6è et la possibilité que leurs parents aient envie ou besoin de les assister dans leur accès aux contenus. Très vite, le site est devenu une sorte de magazine d’histoire et de géographie à destination de mes élèves, mais aussi, je l’espérais, de leur famille, plus largement, de leur entourage.

Imperceptiblement, la construction du site m’a entraîné à enseigner d’une manière tout à fait différente, remettant en question à la fois les fondements de mon autorité « naturelle » et ceux de ma pratique pédagogique.

Pour résumer, je suis passée d’une autorité appuyée sur l’évidence des règles de l’institution à une pédagogique appuyée sur le respect des individus (que je pensais pourtant avoir toujours pratiquée, sur le modèle bien connu du « tu me respectes, je te respecte », dans lequel pourtant le « tu » et le « je » n’étaient jamais véritablement définis). Je suis également passée d’une pédagogie hyper-exigeante de la transmission intellectuelle (ce qui peut pourtant sembler paradoxal chez quelqu’un qui pratiquait exclusivement des méthodes inductives et constructivistes) à une pédagogie tout aussi exigeante du plaisir culturel.

Avant de décrire les changements dans ma pédagogie, je voudrais dresser un rapide bilan du changement: je n’ai plus l’impression ni de m’ennuyer ni d’ennuyer et je n’ai jamais eu si peu besoin de restaurer la discipline et l’attention pendant les séances. Je n’ai jamais eu des rapports humains aussi épanouis avec mes élèves. Parfois ils sont tellement « sages », les yeux rivés et l’écran de projection des documents, toute ouïe pour mes explications, que je me demande s’ils ne dorment pas les yeux ouverts…

Les ressources du plaisir d’enseigner. Retrouver la curiosité d’apprendre.
Quelles temporalités pour des savoirs vivants ?

Deux proches qui se trouvaient avoir assisté à mes cours m’avaient fait la remarque que j’allais très vite, qu’il se passait vraiment beaucoup de choses dans une heure de cours.

C’est justement sur la question de la temporalité qu’a porté le premier gros groupe de changements que j’ai effectués, insensiblement, quasiment sans m’en rendre compte, dans ma pratique pédagogique.

En me libérant des manuels scolaires et de leurs contenus foisonnant, j’ai aussi ralenti ma propre productivité. J’ai dû, pendant des heures, chercher sur Internet des documents adaptés à mes ambitions (faire un cours dynamique qui maintienne les élèves en éveil tout en apportant un contenu scientifiquement valable, j’y reviendrai). J’ai également passé beaucoup de temps à intégrer à mon site certains documents, à rechercher des contenus libres ou à obtenir l’autorisation d’en reproduire d’autres. Intégrer des contenus lisibles sur Internet prend du temps car il faut soigner la forme, vérifier les liens et établir des passerelles entre les contenus. En outillant mon site de fiches de méthode, de comptes rendus culturels divers et d’un glossaire, j’ai multiplié la durée passée à l’alimenter.

Cette redéfinition de la temporalité de mon propre accès au savoir m’a entraînée à ralentir à la fois ma production de contenus et le rythme interne de mes séances. Jusqu’ici construites à partir de documents (cartes, photographies, textes, graphiques) censés introduire et analyser un objet, les séances étaient désormais centrées sur l’objet lui-même. Cet objet était mis en exergue à partir d’un document central (par exemple, une série de photographies de la cathédrale de Reims) et de documents secondaires (gravures d’époque la replaçant dans son environnement urbain, objets tirés du trésor). Et cet objet lui-même devenait, pour moi et pour les élèves, le lieu d’une enquête.

Une enquête toute bête : où, quand, qui, comment, pourquoi ? Mais une enquête charnue, vivante, qu’on prenait le temps de savourer. Un des procédés tous bêtes de l’enquête pédagogique a consisté à ôter les légendes. La façade d’une cathédrale légendée sur une page de manuel scolaire ou projetée sur toute la largueur du tableau[6], sans autre indication, prend chair dans un projet commun de découverte spatiale et temporelle. Le sourire de l’ange, introduit au détour d’une diapositive, prenait une épaisseur sensible, esthétique, spatiale, qu’il n’avait pas dans les manuels scolaires. J’avais passé tellement de temps à préparer les séances, à lire, chercher, croiser, que dans une conversation avec une Rémoise rencontrée par hasard, je me suis laissée allée à dire « tiens, j’étais à Reims la semaine dernière », avant de me corriger, confuse…

Ce rapport nouveau à la temporalité dépasse le simple cadre scolaire. Me faisant la réflexion qu’il m’arrivait encore, 20 ans après avoir obtenu mon bac, de repenser à une phrase prononcée par un des mes anciens professeurs et de me dire, « ah, c’est donc ça qu’il voulait dire ! », j’ai fortement relativisé dans ma pratique la part de l’évaluation immédiate de la performance pédagogique. Le rythme classique est celui de la leçon suivie de l’interrogation, de connaissances et/ou de méthodes, sanctionnée par une note. Si je peux difficilement me démarquer d’une démarche qui est intégrée à tous les stades de l’institution, du carnet de notes au dossier scolaire en passant par les bulletins trimestriels, j’ai trouvé des moyens de la contourner. Je re-propose par exemple, à l’issue d’une interrogation, leurs copies à corriger aux élèves à l’interrogation suivante, avant de noter. Mon espoir (pas toujours satisfait, je l’admets) est que les élèves se placent dans un rapport évolutif, autocorrectif à l’acquisition.

Mais c’est l’ensemble de l’acte pédagogique qui se trouve impacté par la redéfinition que je viens de formuler de la temporalité. Il s’agit de considérer chaque élève comme un individu à part, qui possède son rapport, y compris temporel, à son environnement. Exiger de lui qu’il comprenne immédiatement tous les enjeux, c’est lui proposer une appropriation artificielle. Le laisser construire son savoir, c’est aussi le laisser mûrir les éléments en leur laissant le temps de s’assembler dans un ordre qui fait sens pour lui. Pour ne prendre qu’un exemple, j’ai passé une séance, au titre de l’ « Education morale et civique », à réfléchir avec mes élèves sur l’homosexualité. Je ne suis pas arrivée avec des supports de cours. Il se trouve que, lorsque, au détour d’une phrase, j’ai prononcé le mot, un élève maghrébin à prononcé une formule religieuse signifiant son désaveu, son désaccord. J’ai gentiment repris l’élève, remis les langues particulières (impropres à la communication générale en groupe classe) et les formules religieuses à leur place (hors de l’institution scolaire laïque) et j’ai laissé les élèves me poser leurs questions et exprimer leurs opinions. J’ai ensuite pris la parole pour dégager, à partir de leurs interventions, un certain nombre d’enjeux (rapport nature/culture, rapport au texte, religieux ou documentaire, construction des catégories, déviances/normalité) et poser un certain nombre de questions afférentes. Puis je les ai, je dirais, « plantés là ». Je n’ai répondu à aucune des questions que je venais d’exposer, en leur expliquant que je leur faisais confiance pour se les poser et résoudre, à leur rythme, les problèmes ouverts.

Enquête collective et pédagogie de projet.

En passant d’un rapport intellectuel à un rapport culturel au savoir, le principal changement que j’ai imprimé à mon enseignement a porté sur la place de la méthode et de son acquisition et sur une réévaluation de la fonction du cours magistral et notamment du récit.

J’ai renoncé aux 10 minutes réglementaires d’autonomie. Auparavant, conformément aux desiderata de l’institution, j’exigeais de mes élèves qu’ils travaillent individuellement, en silence, sur un ensemble de questions et d’exercices portant sur un document. J’adhérais à l’idée qu’ainsi, j’avais la certitude que chaque élève, pendant au moins dix minutes par séance, était actif et travaillait à son rythme. Résultat, les élèves détestaient ce temps routinier, rechignaient à se mettre au travail, ne s’y mettaient que par acceptation de mon autorité « naturelle » rappelée par ma circulation dans les rangs pour vérifier l’avancement. J’ai limité le travail en autonomie à une ou deux séquences par trimestre de plusieurs dizaines de minutes consécutives destinées à fournir une évaluation formatrice (les élèves sont notés pour rendre un travail qui n’a pas pour objectif de tester leurs connaissances sur la leçon mais leur application d’un ensemble de méthodes pour acquérir de nouvelles connaissances).

Contrairement à ce que je craignais, les élèves sont désormais presque tous actifs. Tous ne participent pas à l’oral, mais tous sont attentifs et beaucoup lèvent la main pour répondre aux questions qui font avancer l’enquête autour de l’objet du cours. Je complète l’ensemble par des éléments de culture concernant l’objet, sous forme de cours magistral. Le cours magistral, c’est un peu la solution de l’énigme. Mais ici, il n’a de magistral que la forme (c’est le professeur qui fournit les éléments inconnus de la classe). En effet, les élèves savent que ce que je leur dis est le résultat d’une recherche, de lectures que j’ai menées, et que tout ce que je dis peut être corrigé (en cas d’erreur de ma part ou dans mes sources) et complété. Il n’y pas de magie culturelle, mais une enquête reposant sur un partage des tâches entre le professeur et la classe pour explorer un objet donné. Il y a malgré tout une magie du récit, de la voix de l’enseignant qui partage des informations qu’il présente comme passionnantes parce qu’elles l’ont passionné le temps de la préparation du cours. La partie magistrale de la leçon devient le lieu du partage d’un plaisir de la recherche.

Ce qui est intéressant, c’est que ce rapport aux savoirs, je ne l’ai moi-même jamais expérimenté dans mon rapport à l’école. En effet, ces mêmes savoirs portaient la marque des concours, du savoir universitaire laborieusement accumulé avant tout dans l’objectif de réussir les épreuves. Non qu’il n’y ait aucun plaisir à apprendre dans la perspective d’un concours. Mais ce plaisir est marri par tant d’épuisement physique et mental et par tant d’auto-censure liée à l’auto-imposition des rigueurs du savoir académique. Or je pense que c’est ce mode d’accès, intellectuel, académique, décharné, que j’ai transmis pendant des années à mes élèves. A devenir enseignant dans une passion contrariée (quand cette passion existe, quand le rapport individuel de l’enseignant à la discipline n’est pas purement scolaire), on devient un enseignant sans passion. C’est du moins ce que je tire de ma propre expérience.

Je suis passée d’une pédagogie inductive artificielle consistant à faire reconstruire par les élèves un savoir déjà établi sous prétexte de reproduire les conditions de la découverte scientifique à un projet global de la classe d’apprendre ensemble quelque chose de nouveau. Le rôle spécifique de l’enseignant est ici de partager sa compétence spécifique : employer les méthodes appropriées pour rechercher l’information. L’artificialité de la démarche demeure dans le fait que les contenus à explorer sont fixés d’avance (il y a un programme à respecter). Mais le plaisir particulier que j’en tire est celui de travailler en quelque sorte à partir d’une ignorance commune et de la possibilité toujours ouverte d’en savoir plus.
Relativiser la prise de notes.

Ma nouvelle pratique pédagogique m’a également amenée à relativiser la place de la prise de notes. En classe de terminale, pour la préparation du bac, j’ai mis en place une classe inversée numérique. Les élèves ont accès au contenu du cours en ligne, sous la forme de documents divers sur lesquels ils sont invités à faire un travail d’extraction d’information et d’auto-correction, dans une perspective de rapport autonome (mais guidé) d’accès à l’information. En classe, le cours sert seulement à des mises au point, des explicitations, des évaluations de l’acquis et des entraînements pour l’examen.

L’appropriation des informations se fait donc dans la lecture, l’activité d’enquête personnelle et l’organisation des informations sous la forme d’ensembles cohérents (des fiches de révision). Mais les élèves n’ont-ils pas besoin d’apprendre à prendre des notes (« pour plus tard », « pour la fac ») ? Si, mais quelle meilleure façon d’apprendre à prendre des notes qu’en domestiquant la langue par la pratique de la lecture et en domestiquant le contenu par l’habitude de trier l’information et de l’organiser ?

La culture au mépris de la science ?

Si je considère que ma démarche est davantage culturelle (il s’agit de découvrir plus) qu’intellectuelle (il ne s’agit plus de mettre spécifiquement l’accent sur la manière de découvrir), c’est qu’elle est plus appropriée à la stimulation de la curiosité individuelle, ne serait-ce que parce qu’elle repose sur une forme de suspense consubstantiel à l’ignorance : qu’est-ce qu’il y a après ? Qu’est-ce que je vais encore découvrir d’intéressant aujourd’hui ?

Pour autant, cette démarche n’est pas une renonciation intellectuelle ou scientifique. D’abord parce que la méthode est toujours explicitement mobilisée : « voici comment nous procéderons ensemble pour trouver la réponse à nos questions », ou « voici comment j’ai obtenu telle ou telle information ». En outre, bien que culturels, les savoirs que je partage avec mes élèves restent spécifiquement historiques et géographiques par deux aspects. D’abord, ils sont issus de la recherche, dont je mobilise explicitement les institutions (le site de l’Insee ou de l’Ined par exemple en géographie), les méthodes spécifiques (la topographie, la chronologie par exemple), mais surtout les démarches spécifiques. Il n’est pas rare en effet que des élèves qui étudient la géographie depuis l’école primaire ne sachent pas répondre à la question « qu’est-ce que la géographie ?». Or répondre à cette question suppose de faire de la géographie, c’est-à-dire d’explorer son environnement pour en décrire l’organisation à l’articulation du physique et de l’anthropique.

C’est que mon ambition dépasse les murs de la classe et de l’école. Il s’agit en effet, en sortant l’histoire et la géographie des manuels scolaires, d’en faire à la fois des savoirs vivants, dynamiques, ouverts à la curiosité des individus en dehors du cadre scolaire. Une mère d’élève m’a dit que, depuis que son enfant le lui a fait découvrir, elle se rendait sur mon site pour y lire des articles de temps en temps. C’est exactement ce que je n’osais pas espérer.

J’ai ouvert mes cours de 6è aux parents de mes élèves, qui sont venus s’asseoir près de leur enfant et suivre la leçon avec lui. L’idée était qu’ils comprennent où se situait ses difficultés et qu’ils sachent y répondre en tenant compte de mes exigences scolaires. En ouvrant mon site à tous, c’est dans une autre démarche que je me suis engagée. Il s’agissait pour moi d’une d’une tentative de décloisonnement : montrer que les savoirs de l’école ne sont jamais que les mêmes savoirs vulgarisés que nous rencontrons dans une revue d’histoire ou dans un musée. La différence principale, c’est qu’ici, ils sont guidés, destinés à permettre aux individus de faire leur chemin dans les contenus informationnels et culturels en se préservant de l’erreur, logique et factuelle. L’autre différence est qu’en s’appuyant sur des contenus culturels vivants, dynamiques, un site Internet évite la fossilisation des savoirs liée au rythme de fabrication des manuels scolaires et à leur forme particulière qui en fait des objets identifiés comme spécifiques à l’école.

Humaniser la discipline.

Au contact du public de ma nouvelle académie, plus favorisé pourtant, j’ai pris conscience de la souffrance scolaire. Les élèves de mon établissement précédent ne donnaient pas trop à voir leurs insatisfactions scolaires, ou alors selon d’autres formes que je n’aurais pas su voir ? Ou s’agit-il là d’une conséquence de l’auto-censure qu’on s’impose dans certains milieux par manque de confiance en soi ou de l’auto-limitation des ambitions liée à la fois sa propre position dans l’espace social et scolaire et à l’offre scolaire existante ? Travaillant désormais dans une académie qui regroupe les meilleurs établissements privés et publics du territoire, j’ai peut-être été davantage confrontée à la traduction chez les familles et les élèves des logiques de concurrence scolaire et des effets de frustration (y compris relative, certains élèves venant de milieux très favorisés) qu’elle peut entraîner.

Quoi qu’il en soit, confrontée à la « rage » de mes élèves, à leur « haine » face à l’institution, j’ai dû revoir mon propre modèle du respect mutuel[7]. Ce modèle contractuel, basé sur l’application du règlement intérieur, autrement dit sur l’implicite que nul n’est censé ignorer la loi, ne semblait plus fonctionner de la même manière.

Il faut bien reconnaître que ce modèle, qui se présente comme contractuel, est en réalité faussé par une relation de pouvoir. Le professeur représente l’autorité de l’institution face aux individus que sont les élèves. Lorsque le professeur, confronté à l’indiscipline, doit rappeler aux élèves les règles de l’ordre scolaire, il les rappelle au respect des règles de l’institution dont ils subissent la violence. La compétence ou le sentiment de légitimité plus importants des enfants des catégories favorisées explique peut-être qu’ils opposent plus fortement à ces règles des actes de résistance rappelant les pratiques de chahut que nous associons aujourd’hui au lycée traditionnel (bruits d’animaux, battement collectif des pieds sur le parquet, petits bruits insidieux dont on n’arrive pas à trouver la provenance).

Confrontée à des individus en souffrance qui expriment fortement (en prenant le statut de meneur par exemple ou en se rendant régulièrement coupable d’infractions au règlement) leur souffrance, j’ai davantage pris conscience que j’avais face à moi non des élèves mais des adolescents.

Ma nouvelle pratique de la discipline est donc marquée par le refus du confit frontal (toujours présents dans les relations entre individus sur la défensive) et sur le refus d’appuyer mon autorité en classe sur l’institution. Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mes mots. Mes élèves connaissent les horaires de l’établissement, son organigramme fonctionnel et son règlement intérieur et savent qu’ils s’appliquent dans mon cours comme dans l’ensemble des espaces du bâtiment.

Néanmoins, je rapporte les conflits à leur dimension civile (celle du respect entre individus engagés chacun dans un tâche, l’un enseigner, l’autre apprendre). Je m’adresse à chaque élève comme à une personne et je leur demande de me traiter comme une autre personne. Ce n’est pas le professeur qu’ils agressent lorsqu’ils s’énervent ou s’expriment de façon vulgaire, mais moi et/ou leurs camarades. Par ailleurs, face à un élève qui enfreint sciemment la règle scolaire, je ne lui rappelle pas une règle qu’il connaît très bien, mais je lui demande de cesser ce qu’il fait parce que cela empêche la classe de se dérouler paisiblement. Cela peut sembler naïf, voire un peu niais. Mais lorsque, pour la première fois, j’ai vu une élève se peindre les ongles en cours, je lui ai dit, « enfin mademoiselle, vous ne savez pas que c’est interdit ! Rangez-moi ce vernis ou je vais être obligée de vous punir ». Elle ne l’a rangé que parce que j’avais l’air très fâchée et cela a été le tour d’une autre élève à la séance suivante. En revanche, lorsque, après de longues réflexions, je suis allée prendre le flacon, j’ai admiré (sincèrement sa couleur) et menacé (en plaisantant de le garder pour moi), l’incident ne s’est plus jamais reproduit.

S’agit-il de ma part d’une renonciation à la règle de l’institution ? Des élèves de lycée qui, malgré des sanctions répétées, enfreignent répétitivement la même règle ne peuvent être taxés d’ignorance. Leur rappeler la règle, c’est leur rappeler (non sans une certaine agressivité) cela même qu’ils cherchent à questionner. C’est en déplaçant le conflit vers ce qui fait véritablement mal, la violence ressentie de l’institution à l’égard des individus, qu’on désarme le conflit et qu’on ramène l’individu récalcitrant, non vers le respect de l’institution (qui n’est qu’un moyen), mais vers sa propre réussite et son propre épanouissement et intégration dans une société pacifiée et soucieuse des individus (ce qui est, à mon sens, la véritable finalité de l’école).

Pour conclure.

Je suis devenue professeur parce que j’ai fait confiance à l’école lorsque mes professeurs m’ont dit que je pouvais le devenir. L’école, après m’avoir valorisée jusqu’à la fin de ma scolarité secondaire, ne m’a accordé le titre de professeur qu’au prix d’une violence culturelle et sociale que j’ai accepté de subir telle une épreuve du feu.

Ce titre chèrement gagné, c’est avec amertume que j’ai réalisé qu’il était bien peu conforme, dans la pratique, à mes rêves d’ascension sociale, jamais formulés comme tels mais perçus, a posteriori, comme floués (on m’a déjà opposé que c’est étonnant pour quelqu’un qui a bénéficié d’une promotion sociale de s’en plaindre, mais je ne crois pas qu’il y ait un plafond prédéfini à l’ambition en fonction de là d’où l’on vient).

A l’amertume, j’ai expérimenté deux réponses. La recherche de la sortie la plus honorable, stratégie qui m’a menée, le temps que dure la sortie, à la désolation et à l’ennui. La recherche d’autre chose, la transformation de l’expérience professorale en expérience enseignante m’a permis de trouver aujourd’hui la voie d’un plaisir renouvelé au travail. Ce plaisir est le produit d’une rencontre, à laquelle je n’ai su venir que par la douleur, entre mon individualité, ma personne, et celles de mes élèves.

Mais il est aussi le produit d’un investissement très lourd dans le travail. Cet investissement, dans une institution scolaire qui tente de se réformer mais qui doit surmonter d’innombrables inerties, n’est reconnu ni dans des formes collectives de travail, ni dans la rémunération des enseignants ni dans la valorisation (au sens de mise en valeur destinée à impulser des dynamiques globales) des efforts individuels. Si l’enseignement ne peut être le siège d’un plaisir au travail que dans ce qu’il a de plus personnel, pour autant est-ce bien aux individus de payer de leur corps pour réformer l’institution ? Car le risque, à terme, c’est bien l’épuisement des individus et de leur pouvoir créateur.

Nada Char

[1] Je m’inspire ici de la démarche de Fabien Truong dans son article, « Quand un prof enquête sur les élèves. Objectivation, objections et objectifs », Genèses, 2014/1, n°94, p. 159-177.

[2] L’ethnographie réflexive de la pratique pédagogique est notamment utilisée au Canada dans la formation professionnelle des futurs enseignants pour les amener à réfléchir à leur pratique en intégrant dans l’analyse les aspects émotionnels forcément centraux dans un métier de relation. On peut consulter Andréanne Gélinas Proulx, Anne-Sophie Ruest-Paquette, Lilia A. Simões Forte, Megan Cotnam-Kappel, Caroline Fallu et Lucie Bartosova, « La réflexivité : exercice pédagogique et outil d’accompagnement aux cycles supérieurs », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 2012/2, n°28.

[3] A ce titre, ma trajectoire n’est pas si différente de celle décrire par Ludivine Balland dans son article « Un cas d’école, l’entrée dans le métier de professeur d’une « enfant de la démocratisation scolaire », ARSS, 2012, n°191/192.

[4] Sur l’autorité « naturelle » et le charisme, consubstantiels à l’idée de vocation, on peut lire Charles Suaud (1974), «Contribution à la sociologie de la vocation, destin religieux et projet scolaire,» Revue française de sociologie, 15(1), 75-111.

[5] Sur la question du choix de l’établissement et les stratégies des acteurs dans les espaces de la compétition scolaire, on peut lire Georges Felouzis, Christian Maroy et Agnès van Zanten, Les marchés scolaires, Paris, PUF, 2013.

[6] On pourrait m’opposer que la fascination pour l’écran peut faire des miracles. Mais mon utilisation antérieure du vidéo-projecteur n’avait jamais produit les mêmes effets.

[7] Sur les malentendus et les violences de la relation enseignants/élèves, on peut consulter Elizabeth Bautier et Patrick Rayou, Les inégalités d’apprentissage, programmes, pratiques et malentendus scolaires, PUF, 2009 et Anne Barrère, Travailler à l’école, que font les élèves et les professeurs du secondaire, PUR, 2003.

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