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Parents et école : se connaître et se reconnaître

Un texte très instructif et stimulant sur le Blog perso de Cédric Forcadel

Un peu d’histoire

Les relations entre familles et école, entre parents et enseignants sont des éléments révélateurs du fonctionnement de l’Institution et de la diversité des écoles qui y appartiennent. Historiquement, on peut avancer, même si cela peut sembler un raccourci rapide, que l’école « républicaine », avec sa forme scolaire bien particulière basée sur un modèle descendant, normatif et valorisant soumission et obéissance, s’est bâtie contre les parents.

Il s’agissait d’extraire les enfants de leur famille, inapte à faire d’eux des élèves, des citoyens, et de permettre la substitution d’une culture « républicaine », seule valable, à leur culture d’origine, notamment prolétarienne.

Les rapports de l’école aux familles ont donc longtemps été distants, volontairement, la sacralisation du scolaire lui offrant une position dominante sur la culture familiale.

Ce rapport distancié aux familles, que l’on retrouve y compris dans les expériences d’éducation nouvelle qui par un modèle d’internat prêchaient l’éloignement du foyer pour assurer une éducation saine, peut s’analyser comme une volonté de distanciation de la culture familiale, comme une volonté somme toute de « table rase » culturelle. Enfin pas tout à fait. Car il ne s’agissait pas de refuser au seuil de l’école toutes les cultures. Baudelot et Establet, tout comme Bourdieu et Passeron sur une autre ligne d’analyse ont su montrer que l’école transmettait, donc reconnaissait et valorisait, une forme de culture qu’ils ont pu qualifier de bourgeoise.

L’éloignement des familles, et donc la mise à distance des repères habituels d’un grand nombre d’élèves, a conduit à une forme de ségrégation scolaire dont on peut dire que le rapport aux familles, et donc au milieu de vie des enfants, est une des causes.

Toutefois, en marge de l’éducation nouvelle, et dans des rapports ambivalents avec elle, des éducateurs ont compris très vite que si une école du peuple devait exister, celle-ci ne pouvait se faire justement qu’en partant du peuple, de sa vie, de sa dynamique, de ses préoccupations, de sa culture. Bref que l’école ne pouvait pas se faire contre les parents mais bien avec eux. Célestin Freinet fut de ceux-là. Avec sa femme Élise, il rédigea même, chose suffisamment rare pour être signalée, un livre à l’attention des parents.

Familles, je vous aime ?

L’école s’est donc construite contre les parents, mais comment a-t-elle évolué depuis que certains sociologues ont pu affirmer que l’éloignement des familles de l’école et de sa culture particulière représenterait un « handicap » pour les enfants ?

On peut noter de très nombreuses initiatives, notamment institutionnelles, chargées de rapprocher parents et école. D’ailleurs, les circulaires de rentrée réaffirment chaque année le statut de partenaires privilégiés des parents vis-à-vis de l’école. (Et jamais l’inverse !)

Les parents seraient dorénavant les bienvenus, à condition toutefois que, si on accepte de leur donner une place, ils sachent rester à celle-ci. A en croire l’Institution, les parents auraient des droits, et même, même, les parents seraient égaux ! Un rapide examen « douche » malheureusement ces généreuses affirmations :

– Pour paraphraser Coluche, si tous les parents sont égaux, certains parents seraient tout de même plus égaux que d’autres. En fait, force est de constater qu’au-delà des mots, il faut bien distinguer les droits théoriques des droits pratiques. Ainsi si tous les parents ont le droit de se présenter aux élections de parents d’élèves, dans les faits ce sont surtout les parents les plus proches de la culture scolaire qui font cette démarche. Si tous les parents ont le droit de voir leur enfant scolarisé, certains savent « échapper » à la carte scolaire et créer de nouveaux ghettos. Si tous les parents ont voix au chapitre, si tous les parents doivent être écoutés, tous ne sont pas entendus…

– La logique à l’œuvre est une logique d’assimilation. On veut bien rapprocher école et parents mais uniquement pour que les parents, dans un but de compensation d’un supposé « handicap socioculturel », puissent intégrer et comprendre certains codes de fonctionnement de l’école, mais dans une certaine mesure seulement. Le rapprochement se veut donc unilatéral, c’est aux parents de faire la route qui les sépare de l’École. Or, une autre logique pourrait être à l’œuvre, notamment la reconnaissance par l’école de la validité de toutes les cultures.

Si l’on peut se mettre d’accord sur la nécessité, pour faire société, de partager des codes et une forme de culture commune, on ne peut pas accepter que cette culture « scolaire » vienne effacer et remplacer la culture antérieure acquise dans le cadre familial. Il est nécessaire au contraire de travailler leur complémentarité et donc de permettre que s’exprime à l’école aussi la culture familiale. Il est donc nécessaire, au-delà de l’inscription de tous dans une culture qui leur est antérieure et qu’ils n’ont pas choisi, de permettre l’écriture d’une histoire personnelle, intégrant singularité et collectivité.

Force est donc de constater ce qui au fond est une évidence : chacun est riche d’une histoire, et l’école se grandirait à le reconnaitre.

Penser l’accueil des familles est donc un impératif si l’on vise une éducation populaire. Cet accueil peut se penser sous différentes voies. Je vais rapidement présenter la genèse de la mise en place des institutions d’accueil et d’échanges avec les familles dans ma classe.

Penser l’accueil des familles

Avant même toutes ces considérations philosophiques, politiques et éthiques, qui ne m’apparaissaient pas aussi clairement que maintenant, la mise en place de ces institutions d’échanges avec les familles était au début une nécessité pour « sauver ma peau ». Dans un contexte de méfiance, voire parfois de franche hostilité avec une façon de fonctionner qui brisait leur représentation de ce que doit être l’école, un certain nombre de parents n’accueillaient pas ma venue dans l’école avec bonheur. J’étais pourtant persuadé de mon bon droit, de la pertinence et même de la nécessité de ce que je faisais avec les enfants. Mais leur donner la parole, supprimer les devoirs, les notes, travailler par projet, mettre en place une coopérative, ne leur apparaissait pas autant qu’à moi comme une évidence…Curieux, non ?

J’avoue avoir été très déstabilisé par cette réaction d’un certain nombre de parents, qui occupait alors tout mon espace relationnel et faisait à mes oreilles un bruit couvrant finalement tous les autres et m’empêchant dans ce tumulte, ce vacarme, cette folie parfois, d’entendre les retours positifs de certaines familles sur le bien-être de leur enfant à l’école. Illustration parfaite que l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse.

Pourquoi donc ces parents refusaient de comprendre à quel point ce que je faisais pouvait être intéressant pour leurs enfants, pourquoi les considérer comme des personnes et pas comme des objets était important, essentiel et valait bien toutes les notes du monde ?

Probablement parce que nous ne nous comprenions pas, parce que nous ne partagions pas les mêmes représentations, les mêmes finalités pour l’école. Parce qu’ils ne m’entendaient pas. Parce que je ne les entendais pas.

Libérer la parole, accueillir et reconnaitre.

L’idée des cafés parents, des classes ouvertes, des présentations par les parents de leur métier, de leur passion, est venu de ce constat : nous ne nous parlions pas. Pas pour de vrai en tout cas. Nous jouions jusqu’à présent des pièces de théâtre. Le lieu de la représentation était bien connu : le bureau où nous nous rencontrions pour les rendez-vous individuels. Les acteurs connaissaient leur rôle, la comédie pouvait commencer. Mais finalement dans ce cadre formel, asymétrique instaurant l’enseignant dans la position du dominant maitre de son territoire et les parents en dominés, que pouvait-il se passer ? Dans ce climat où chacun fantasme sur l’autre sans jamais le connaitre, il s’agissait de survivre, de sauver la face, de montrer sa valeur de parent, sa valeur d’enseignant.

Il fallait briser cette dynamique. Il fallait organiser la rencontre, permettre la connaissance, la reconnaissance. Faire entrer les parents dans l’école, voilà un risque qu’il fallait courir. Jouer la confiance, se poser comme coéducateur et codétenteur de savoirs complémentaires, permettre un espace de dialogue libéré de la charge du jugement sur le travail des enfants (et donc sur la valeur respective des parents et de l’enseignant).

J’ai alors mis en place des cafés parents, le samedi matin. Chacun était libre de venir et de repartir quand bon lui semblait. Le moment se voulait avant tout convivial, détendu, le ton était à la bienveillance, à l’humour, à l’accueil de la parole. Dans un premier temps, pour me rassurer et pour sans doute montrer ma compétence et attester ma légitimité, des thèmes étaient définis qui permettaient de regarder ensemble une vidéo (moment de classe ou séquence de CAP CANAL) et d’en débattre ensuite. Ces premiers café parents, dans lesquels je préparais beaucoup le fond m’ont sans doute permis d’affirmer ma compétence et de justifier mes choix pédagogiques. Ils ont aussi permis aux familles de comprendre que cet espace était libéré de toute forme de jugement, que tout pouvait être discuté, que chaque remarque était accueillie et traitée avec sérieux. Ils ont aussi permis de modifier des choses dans l’organisation de la classe (comme la mise en place des classes ouvertes, les « présentations de parents », la modification de certains supports…) et donc de montrer que les parents étaient écoutés pour de vrai, qu’ils étaient vus, entendus et reconnus comme éducateurs.

Les cafés parents sont devenus ensuite de plus en plus informels, lieu de discussion partagée où l’on pouvait échanger sur tous les sujets concernant l’enfance, où chacun finalement se trouvait en situation de partager ses expériences et de se placer comme éducateur légitime.

La mise en place de ces institutions (café parents, classe ouverte et « présentations de parents ») ont permis que se crée un bien meilleur climat et que finalement la classe coopérative vive mieux, en s’ouvrant davantage et en s’enrichissant d’une nouvelle complexité.

Pour conclure

Bien sûr, il n’y a pas de recette magique, des difficultés persistent dans le rapport à certaines familles, le choix affiché de la coopération et l’absence revendiquée de compétition heurtent certains parents, notamment privilégiés, qui veulent que perdure la « guerre scolaire » car ils estiment leurs enfants mieux armés pour s’y imposer et donc obtenir les meilleures places. L’absence de notes, de devoirs déstabilisent les familles les plus attachées à une image fantasmée de l’école IIIème république élevant les fils et filles du peuple. Rien n’est jamais gagné, rien n’est jamais perdu non plus. Intégrer les familles au fonctionnement de l’école, leur donner une vraie place, c’est aussi réaffirmer le caractère vivant, complexe de la classe, c’est enrichir la classe par la croisée des expériences et des idées.

Et finalement, ce qui, au début était un moyen de « sauver » le fonctionnement de la classe et de « sauver ma peau » est devenu un véritable enjeu éducatif. C’est cette expérience de partage qui m’a montré l’importance de considérer les familles, de ne pas placer la culture scolaire au-dessus de la culture familiale mais de permettre que les deux cohabitent, s’enrichissent et dialoguent. Cette entente avec les familles, au-delà du fait qu’elle permet de mieux se comprendre, au-delà du fait qu’elle permet que des enfants se réconcilient avec l’école (ce qui est loin d’être négligeable) me semble aussi revêtir une dimension éthique et politique essentielle, qui reste tout de même largement entravée et compliquée par le fonctionnement et la nature même de l’Institution scolaire.

Cela révèle aussi l’importance de nouveaux champs d’actions hors l’école comme celui de la pédagogie sociale.

Cédric Forcadel, GD76

3 Comments

  1. Chloé

    Parents et école : se connaître et se reconnaître
    J’adhère totalement à vos propos. Ceci a été développé, mis en pratique et théorisé depuis pas mal de temps par Bernard Collot dans son “école du 3ème type” et ses écrits. Il va au-delà de Freinet sur l’implication des parents dans l’école. Votre pratique corrobore ce qu’il dit sur le tâtonnement nécessaire pour arriver à une véritable coéducation. Parce qu’il est vrai qu’il faut renverser pas mal d’idées toutes faites, et même prendre des risques de part et d’autre.

    Il serait intéressant d’avoir d’autres témoignages comme le vôtre et comme le sien, parce que vous touchez vraiment un point fondamental, que je crois incontournable si l’école veut changer (mais, entre nous, veut-elle vraiment changer ?.

    Je signale les deux ouvrages qui m’ont particulièrement interpellée sur ce sujet : “l’école de la simplexité” (TheBookEdition.com) et “chroniques d’une école du 3ème type” (éd. Instant présent).

    NB : je ne suis pas enseignante, simplement mère de famille impuissante face à l’école et qui rêve ! J’avoue aussi être une lectrice assidue et fan du blog de [rouge]Bernard Collot[/rouge], … et de Q2C, comme quoi les parents aussi cherchent !

  2. Paul

    Parents et école : se connaître et se reconnaître
    Pour compléter les références de Chloé, un petit ouvrage très intéressant du même auteur dont elle est fan 😉 : “Eduquer, coéduquer, une question de pouvoirs” chez TheBookEdition.com
    L’intérêt de ce qu’écrit BC, c’est que comme Cédric Forcarel il était un praticien. ça change de ceux qui parlent sans avoir jamais rien fait ni mis les pieds dans le cambouis !

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