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N’Autre voeu

Il s’appelle Marhaba-Bienvenue, c’est un « journal d’échange et d’information sur les luttes des migrant-es »[[(contact : merhaba (( a )) riseup.net)il est d’autres exemples : « Entre les grilles » de la Cimade, les articles sur Mediapart ou Basta etc.]]. Une carte d’Europe des barbelés, une chronologie, un schéma de la nouvelle procédure d’asile doublé d’un texte explicatif, des comptes rendus, des récits rédigés collectivement ou à la première personne, plus que de la simple information, du savoir avec sa double fonction : on comprend mieux, et ça fait réfléchir pour aller plus loin. Pour ceux qui défendent les migrants et pour les migrants eux-mêmes, le savoir est vital.

Changeons de planète, socialement parlant : dans Mia madre, la madre, ancienne prof’ de latin, est aussi la grand-mère d’une ado qui bloque dans cette discipline : elle reprend des exercices avec elle. A sa mort, quelques-uns de ses anciens élèves disent que si ça passait si bien avec elle, c’est qu’elle parlait aussi d’autres choses, et qu’elle considérait ses élèves comme des gens importants. Je me souviens alors, dans le réel cette fois, de cette prof de latin qui parlait tant des Gracques et de Spartacus : pas étonnant qu’on devienne vite capable de lire en VO. Le savoir est vivant quand il est acte de vie (même aux derniers moments, pour revenir au film) s’adressant à des égaux.

Prenons une troisième sphère, entre celle de la boue et du froid de Calais et celle des intellos romains : quand des étudiants du 9-3, issus des classes populaires et de l’immigration, vont faire leurs premières armes de sciences sociales en enquêtant dans un arrondissement bourgeois de la capitale [voir [l’entretien avec l’auteur dans notre dernier numéro]], ça marche, et Nicolas Jounin, leur prof’, a raison d’en conclure « Puisque les pouvoirs publics affichent l’objectif d’amener 50 % d’une classe d’âge au niveau licence, ce serait l’occasion de fabriquer assez largement un rapport actif au savoir ». Le savoir se construit dans un rapport éclairé à l’expérience : la théorie, bien sûr, mais à partir d’une quête.

Les obstacles au savoir sont connus : empêchements de penser parce que les duretés que l’on vit sont incompréhensibles, implicites de plus en plus prégnants au cours de la scolarité qui font que l’enseignement s’apparente parfois au délit d’initiés, primat de l’évaluation chiffrée qui classe, juge et mine la confiance en soi… la liste n’est pas exhaustive. En tout cas, ceux qui claironnent qu’ils défendent les savoirs en sont les pires ennemis : rétrécis dans une petite case (et effrayés par la moindre passerelle : les TPE hier, les EPI aujourd’hui), sanglés dans les certitudes et le tricolore (ah, parler des valeurs républicaines!), accueillis avec délices dans les grands médias, nous savons le mal qu’ils font.

Prenons garde à ne pas leur ressembler : à nos collègues et à nos élèves nous avons à parler un langage compréhensible, vivant, pluriel, nous avons beaucoup à montrer, à démontrer, par les mots et dans les faits. Il nous faut pour cela nous tenir loin des dogmes et des chapelles, des phrases toutes faites, chercher à nous en émanciper. C’est difficile : l’apprentissage est une réorganisation neuronale [[comme l’explique notamment Olivier Houdé]], un effort-plaisir jamais gagné d’avance, jamais perdu non plus si on s’y engage durablement.

C’est notre objectif en tout cas sur ce site et dans notre revue : informer ( faire savoir), construire ensemble des savoirs de pratiques et de réflexion sur nos métiers et le monde.

Et pour sacrifier à l’ancien, au rituel, notre vœu pour l’année qui vient (et quelques autres, sans doute) ?

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