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Métier et profession [Nos mots et les leurs]

« Enseignant, un métier qui s’apprend », scandaient les manifestant-e-s contre la destruction de la formation professionnelle des enseignants il y a quelques années. Ils commettaient là une funeste erreur, car ils donnaient paradoxalement raison à ceux qui, de Darcos à Sarkozy, prétendaient qu’un apprentissage « sur le tas » par imitation d’un « tuteur » chevronné suffirait pour devenir enseignant, et qu’on pouvait donc supprimer la formation dispensée par les IUFM et les universités.

C’était là en effet, précisément, confondre « métier » et « profession ». Les travaux du sociologue Raymond Bourdoncle, entre autres, ont mis en évidence la différence fondamentale entre ces deux notions. Le métier renvoie à un travail technique reposant sur un ensemble de « savoirs incorporés », de savoir-faire acquis par l’expérience : c’est ainsi qu’on dira de quelqu’un qu’il « a du métier » (alors qu’on ne dit pas « avoir de la profession »). La profession, elle, repose sur des savoirs savants et une capacité d’abstraction, et son enseignement passe par une explicitation des savoirs, avec un recours fréquent à l’écrit, ce que Bourdoncle appelle une « rationalisation discursive de l’action » : agir en professionnel, c’est être capable d’analyser une situation et d’adapter les savoirs, ce que fait précisément un-e enseignant-e (c’est la didactique).

Bien entendu, enseigner est aussi pour partie un métier : la relation aux élèves suppose un certain nombre de savoir-faire qui s’acquièrent par l’expérience, mais ce n’est pas essentiellement ce qui fonde le travail des enseignant-e-s ; en outre, la pédagogie n’est évidemment pas qu’une collection de « trucs », ce à quoi voudraient la réduire les « antipédagogistes ». On peut enfin dire que l’enseignement est aussi une fonction, au moins pour l’enseignement public (exercé jusqu’à une loi récente par des fonctionnaires ou assimilés). Mais fondamentalement, le travail consistant à faire acquérir des connaissances par des élèves est bien avant tout une profession.
Et pour finir sur une note amusante, on peut dire que, si l’on se réfère à l’étymologie des deux mots, un « maître (d’école) » (magister) ne peut pas avoir de « métier » (ministerium), le plus (magis) et le moins (minis) étant antinomiques…

Alain Chevarin

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