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Lettre ouverte à la ministre

Edito de la revue l’Émancipation syndicale et pédagogique n°6, février 2015

Madame la Ministre de l’Éducation nationale

Nous avons été des millions à pleurer les mortEs de Charlie Hebdo, des millions à espérer qu’au moins leur disparition tragique pourrait nous contraindre touTEs à réfléchir pour jeter les bases d’une société moins bête et moins méchante. Mais avec le recul, on peut affirmer que ces martyrs de la liberté d’expression et donc de la liberté de critiquer l’ordre établi n’auraient pas aimé le rôle que le gouvernement leur fait endosser.
Et particulièrement le rôle que vous, Madame la Ministre, leur faites jouer vis-à-vis de l’Éducation nationale.

Déjà le deuil national, les drapeaux en berne, les cloches de Notre-Dame et la minute de silence les auraient, dans le meilleur des cas, fait rigoler.
Les aurait-on pour autant poursuiviEs pour apologie du terrorisme ?

Par contre, auraient-ils pu admettre que cette minute de silence en leur souvenir soit imposée à des mômes à partir de cinq ans (et parfois en maternelle) et, qu’ensuite, elle serve de prétexte à pointer du doigt celles et ceux qui n’ont pas compris, qui ont posé des questions, de vraies questions pour servir le débat si on en croit celles que vous avez rapportées le 14 janvier, en réponse à un député “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”, “pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?”. Ces questionnements de la part des élèves vous les avez caractérisés comme “trop nombreux, et insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs”. Vous n’êtes pourtant pas sans savoir qu’à l’école la meilleure forme de transmission des savoirs n’est pas celle de l’outre qu’on remplit, mais plutôt de la démarche d’appropriation réflexive et tâtonnante, notamment par le questionnement. Surtout lorsqu’il s’agit de valeurs bafouées par le gouvernement qui notamment n’a pas réagi à la hauteur qui s’imposait vis-à-vis de massacres et crimes de guerre d’Israël à Gaza et qui œuvre à ce que ces valeurs soient supplantées de plus en plus par les valeurs du libéralisme avec le pacte de responsabilité et la loi Macron.

Auraient-ils et elle pu accepter qu’on puisse suspendre des enseignants qui justement – eux – ont mené ce débat, conformément à leur formation et à leur déontologie et aux impératifs de la période. Ils et elle auraient à coup sûr exigé en bonne place dans leur journal que la ministre en charge de l’Éducation fasse immédiatement lever ces mesures.

Auraient-ils pu tolérer que leur “sacrifice” débouche sur une société plus militarisée, plus fliquée, où l’on cherche à imposer une forme d’état d’exception, avec une obsession, “surveiller et punir”… Et dont, il faut bien le dire, vos onze propositions sont la décevante traduction.

Ils et elle se seraient insurgéEs par rapport à l’utilisation de leur mort pour redorer les oripeaux de la République (drapeau, hymne, devise…) si usés par les campagnes coloniales, et à présent néocoloniales de pacification et/ou de défense des “intérêts français” et qui cèdent de plus en plus le pas aux valeurs du libéralisme le plus débridé.

Et ils et elle n’auraient pas manqué de brocarder le nouvel enseignement moral et civique.
Si je me suis permis, Madame la Ministre, d’imaginer comment les journalistes de Charlie Hebdo auraient pu réagir à vos initiatives, c‘est parce cette prosopopée est une façon de dire que vos onze mesures présentées comme une réponse à la disparition violente de ces journalistes ne sont pas à la hauteur de cette perte, ni de l’immense mobilisation qui a suivi dans la rue comme au niveau de la réflexion théorique. La force de cette mobilisation permet d’espérer autre chose qu’un catalogue parachuté sans concertation, de vœux pieux, sans la moindre annonce de financement et de mesures trop ringardes pour avoir été acceptées jusqu’ici. Ces mesures ont peu de chance de faire florès dans les établissements, comme l’enseignement moral et civique que vous annoncez pour la rentrée 2015, alors que les syndicats sont contre.

Si vous en doutez, Madame la Ministre, consultez au moins les personnels.

Soyez assurée, Madame la Ministre, de mon indéfectible attachement au service public d’éducation.

Olivier Vinay (Seine-Saint-Denis)

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