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Les étapes d’une construction intellectuelle

Etude de cas métacognitive de stratégies d’apprentissage

Introduction:

Cette petite synthèse métacognitive est liée à plusieurs constats:

– l’impression de décalage entre les prescriptions scolaires et ma démarche pour parvenir à mon niveau universitaire actuel
– le décalage entre ma situation sociale et scolaire initiale (classe populaire immigrée, difficultés en graphie et dysorthographie …) et mon niveau universitaire atteint actuellement (enseignante à l’université)
– l’impression que mes condisciples, mes élèves en lycée, mes étudiants à l’Université ou d’autres personnes encore ne procédaient pas selon ces méthodes, voire même qu’elles suscitaient l’étonnement ou l’incompréhension.

Si cette étude de cas métacognitive peut présenter un intérêt, c’est dans la mesure où il est peut être possible de supposer que ce qui fait la différence entre des élèves peut résider entre autres dans les stratégies d’apprentissage utilisées.

L’enjeu consiste alors à penser qu’une meilleure connaissance des stratégies d’apprentissage construites par les individus en fonction de leur milieu social d’origine serait à même d’aider à une meilleure connaissance et lutte contre les phénomènes de reproduction des inégalités sociales à l’école. Il ne s’agit pas ici de se situer dans une approche purement cognitiviste, mais d’associer la dimension cognitive et le contexte social.

Les différents éléments que je présente sont liés entre eux et se sont construit progressivement dans le temps. Mais pour l’analyse, je préfère les disjoindre.

1) Faire des liens pour comprendre le monde

Selon des études scientifiques, à l’école primaire les meilleurs lecteurs sont ceux qui ont le meilleurs niveau de compréhension et non pas ceux qui ont le meilleurs niveau de maîtrise du code (linguistique). Dès l’école maternelle, les inégalités sociales se sont déjà construites: les enfants en difficulté ont un niveau de vocabulaire plus pauvre et donc un niveau de compréhension plus restreint.

Le monde de mon enfance avant l’école primaire et en dehors de la maternelle est un monde d’adultes: je n’ai pas eu de soeur avant 5 ans, le voisinage n’est composé que d’adultes d’origine française. Je parle avec des adultes, j’écoute leurs conversations en jouant.

La première opération mentale en cours dont je me souvienne significativement, c’est le fait de faire des liens entre les connaissances étudiées et des faits vus à l’extérieur de l’école ou par la suite entre les matières entre elles.

Cette capacité à faire des liens, je m’en souviens en particulier dès l’école primaire pour la géographie ou l’histoire. La géographie, les cartes murales, font sens pour moi. Je suis d’origine immigrée. Il faut prendre l’avion pour aller à Madère. Les adultes autour de moi regardent des films historiques à la télévision. Ils aiment les films de cape et d’épée.

Cette capacité à faire des liens faisaient que ces contenus avaient un sens pour moi. De ce fait, j’ai l’impression qu’ils se gravaient durablement dans ma mémoire parce qu’ils se reliaient avec des connaissances que j’avais déjà antérieurement et qui faisaient sens pour comprendre mon monde de références.

J’éprouvais d’ailleurs de ce fait là une frustration à ce que l’on ne parle pas à l’école du lien entre ce qu’on voyait en cours et ces faits extérieurs. Il n’y avait pas de temps pris pour en discuter.

Les travaux d’Alain Lieury ont mis en relief la corrélation entre le niveau en histoire-géographie d’un élève et sa réussite scolaire. Or l’histoire a été dès l’école primaire et durant longtemps ma matière de prédilection.

2) Approfondir par des lectures

J’ai été une très bonne lectrice dès le CP. Les enseignantes disaient que je comprenais lorsque je lisais. Peut-être était-ce lié au fait que mes interactions sociales dans ma prime enfance étaient principalement avec des adultes: ce qui m’aurait permis d’atteindre un bon niveau de compréhension verbale.

En revanche, j’ai eu dès l’école primaire des difficultés en graphie et orthographe. Mes résultats en mathématiques ne posaient pas de problèmes. De manière générale, j’avais des résultats moyens en primaire.

Cependant, certains sujets de cours ou d’autres sujets croisés en dehors des cours suscitaient en moi le désir d’approfondir. Cela se traduisit progressivement par une activité de lecture de plus en plus systématique au cours de ma scolarité sur les sujets qui m’intéressaient par exemple: les peuples amérindiens (en CM1-CM2), la mythologie grecque (en 6e), le surréalisme (en seconde)…Je changeais de sujet lorsque j’avais l’impression d’en avoir fait le tour.

Cela me permettait en particulier de revoir des thématiques abordées en cours mais sous des formes différentes. Je réduisais la monotonie de la répétition de l’apprentissage par coeur. J’avais l’impression de mieux comprendre encore les contenus et d’acquérir de nouvelles connaissances en rapport avec le sujet.

Là encore, l’école suscitait un sentiment de frustration. Il n’existait pas de temps pour discuter des approfondissements, ni pour aborder ces découvertes intellectuelles personnelles et que je trouvais passionnantes. A partir de la fin du collège, j’avais d’ailleurs une phrase pour désigner ce phénomène: “s’il faut attendre l’école pour nous apprendre les choses intéressantes…il vaut mieux les apprendre par soi-même…”.

3) Des lectures encyclopédiques et des pratiques culturelles d’autodidaxie

En sixième, j’ai toujours des résultats scolaires médiocres. Les enseignants semblent néanmoins étonnés par mon niveau de culture générale. Mes intérêts intellectuels sont progressivement de plus en plus en décalage avec les autres élèves de mon âge. Je découvre par exemple avec intérêt la psychanalyse et la philosophie au CDI en cinquième. A la fin du collège, je commence à m’intéresser plus sérieusement à la politique.

Il me semble que la seule qualité intellectuelle que je possède peut être à un niveau plus poussé que la plupart des personnes que je connais, c’est la curiosité intellectuelle. J’ai toujours été très attirée par les connaissances qui permettent de comprendre le monde et admirative des personnalités à l’esprit encyclopédique: Léonard de Vinci, Umberto Eco… Mon intérêt me portait en particulier vers les dictionnaires et les encyclopédies.

J’ai ainsi passé beaucoup de temps depuis l’école primaire à lire des textes et des ouvrages concernant différents sujets de connaissance. Contrairement à la plupart des élèves, les années passées dans le système scolaire n’altéraient absolument pas mon intérêt pour les savoirs enseignés lorsqu’ils portaient sur la connaissance du monde et la culture: géographie, histoire, sciences de la vie et de la matière, sciences économiques et sociales, philosophie, littérature, histoire des arts… Cet intérêt semblait également totalement indépendant du fait d’être en situation d’échec ou de réussite scolaire.

Il me semblait que ces lectures encyclopédiques me permettaient d’appréhender les nouvelles connaissances vues en cours en les mettant en perspective avec d’autres connaissances et ainsi de leur donner un sens plus étendu.

Plusieurs études convergentes (telles que les études PISA ) mettent en avant le fait que la lecture est une pratique de loisir, voire la seule, positivement corrélée à la maîtrise des contenus scolaires.

Les enseignants à la fin du collège face au décalage entre mes intérêts intellectuels et ma situation d’échec scolaire s’en tiraient en disant que j’étais “ascolaire”. Mes résultats n’étaient pas bon en particulier en anglais et en mathématiques.

A partir de la fin du collège, je commence à écouter systématiquement les informations le matin à la radio. A la télévision, à côté des programmes pour adolescents, je regarde également des émissions littéraires, des films art et essai (le cinéma italien néo-réaliste en particulier) ou des documentaires.

Lors de mon premier cycle universitaire, grâce à la médiathèque qui vient d’ouvrir, j’acquiers une culture cinématographique et musicale plus systématique.

Je ne suis donc pas dans la situation d’éloignement culturel dont parle Stéphane Beaud dans 80% au bac et après, mais je suis tout de même en échec à l’Université en premier cycle…

4) La réflexion personnelle

Je n’aimais pas apprendre par coeur par exemple que ce soit les poésies ou les listes de verbes irréguliers en anglais. Aussitôt apprises par coeur, ces connaissances s’effaçaient de ma mémoire.

J’avais souvent le sentiment au collège que l’on pouvait répondre aux questions posées durant les devoirs avec des souvenirs de cours, de la culture générale et de la réflexion personnelle. Cela marchait d’ailleurs assez bien parfois…même si par ailleurs, c’était également souvent vecteur d’échec. J’étais assez peu sensible aux notes: tricher à un contrôle pour avoir une bonne note ne me semblait pas avoir d’intérêt. Je trouvais plus stimulant d’essayer de parvenir à réussir le devoir, mais par mes propres moyens.

Je n’avais pas cette attitude souvent décrite chez les élèves français (selon les comparaisons internationales) qui consiste à ne pas répondre à la question plutôt que de se tromper. Au contraire, je trouvais intéressant d’essayer d’y répondre en me servant de ma réflexion et en voyant si cela suffisait pour y parvenir. Cela rejoint sans doute les travaux d’Alain Bandura sur le sentiment d’auto-efficacité personnelle.

Cela me valait au collège d’entrer invariablement dans la catégorie des élèves: “peut mieux faire”, “des capacités” ou encore “pourrait réussir, si voulait”…

Lorsque j’écoutais un cours ou que je lisais, cela pouvait provoquer ensuite des réflexions qui me conduisaient à élaborer des “petites théories personnelles” à partir de ce que j’avais appris. A l’époque, au vu de mon âge, elles ont parfois été le sujet de moqueries des adultes parce qu’elles étaient erronées. Mais je m’étonnais également que chez certaines personnes les lectures ou les connaissances, nombreuses restaient comme des savoirs inertes.

Cet aspect rejoint les travaux qui mettent en avant le fait que les élèves qui maîtrisent les mieux les contenus scolaire sont ceux qui ont une activité mentale de compréhension dès le cours. Mais, il me semble que ce travail de compréhension implique des inférences qui vont au-delà du contenu explicite du cours. En particulier, je trouvais intéressant de poser aux enseignants des questions, pendant le cours, qui visaient à formuler des objections ou à vérifier si mes déductions à partir du cours étaient bonnes.

Ce rapport au monde consiste plus généralement dans une capacité à s’étonner et à s’interroger de manière réflexive y compris sur des faits de la vie quotidienne.

5) Défendre une thèse personnelle

A partir de la fin du collège et au lycée, faire un devoir, ce n’est pas pour moi, réciter un cours. Rédiger une dissertation en français, histoire, SES ou philosophie, c’est essayer de défendre une vision qui me paraît intéressante ou une conviction personnelle argumentée sur le sujet donné.

Lorsque j’étais enfant, à l’école primaire, je regardais des séries télévisées où les héros étaient des avocats. Justifier un point de vue de manière argumentée dans le cadre scolaire me semblait ainsi aller de soi.

Les connaissances que j’acquiers en cours et en dehors des cours sont mémorisées à la lumière de cette perspective. Je souffre beaucoup moins au lycée qu’au collège des exercices centrés sur la restitution de cours. Les dissertations sont mieux adaptées que les exercices du collège à mes stratégies d’apprentissage. Je suis en réussite scolaire. On me propose de m’orienter en section scientifique, puis en classe préparatoire. Dans les deux cas, je refuse.

Néanmoins, mes études en premier cycle universitaire en droit m’ont parues frustrantes à cet égard. On m’expliquait que je pourrais effectuer ce type de démarche consistant à défense des thèses personnelles en deuxième ou troisième cycle seulement, et encore…

6) Dégager les enjeux

A partir du premier cycle universitaire, une autre préoccupation apparaît de plus en plus prégnante lorsque j’écoute un cours ou que je lis un livre: ce sont les enjeux du discours. Pourquoi ce discours ? Quel est son but ? Quels sont ces enjeux ?

Il me semblait que les discours avaient un sens qui dépassait leur sens explicite soit dans les intentions de leur auteur, soit inconsciemment même de leur auteur, mais en cohérence avec un ensemble d’autres connaissances.

Ces enjeux relevaient de dimensions idéologiques qui donnaient sens à ce discours de manière externe.

De fait, les thématiques abordées par les programmes m’apparaissent comme des champs de force intellectuels dont les problématiques qui les structurent sont les effets de controverses entre les acteurs.

Mais là encore, l’enseignement universitaire en premier cycle ne semblait pas demander que l’on se soucie de ces dimensions.

7) Dégager des structures

Mon goût pour l’organisation des connaissances s’est manifesté très tôt, dès le CE2 je crois, par un intérêt pour la classification et les classements: classifications des animaux, des livres, des éléments en chimie…

De manière générale, j’ai toujours été intéressée durant ma scolarité par les dimensions métadiscursives des connaissances. Je me souviens par exemple de la découverte du terme de métalangage: un langage qui permet de discuter du langage. Je ne suis pas rebutée par la dimension abstraite de cette démarche, au contraire…d’où sans doute mon intérêt pour la philosophie.

Les travaux de l’équipe ESCOL ont mis en lumière que chez les enfants en difficulté scolaire, on trouve des malentendus cognitifs liés à la maîtrise des processus de secondarisation. Mon intérêt précoce pour une matière comme la philosophie laisse supposer que mes difficultés scolaires n’étaient pas lié à cela. Mais cela explique peut être également ensuite ma capacité à les surmonter.

L’organisation des connaissances entre elles me semble supposer à la fois un esprit de synthèse et un esprit d’analyse. Il faut être capable de voir des liens entre des éléments très différents, mais il faut également être capable de distinguer les éléments entre eux. C’est ainsi que ceux-ci peuvent se trouver classés.

J’apprécie que le discours à l’écrit et à l’oral soit organisé en étapes et en sous étapes distinctes et claires. Mon propre discours m’apparaît sous la forme d’une représentation mentale organisée comme une sorte de plan.

Lorsque je suis au lycée en mathématiques, j’essaie de dégager les “algorithmes” qui sont communs aux mêmes exercices. J’ai peu de goût pour les exercices en mathématiques: j’ai l’impression – peut être à tort – qu’il s’agit d’appliquer une recette dont on peut construire le modèle à partir de plusieurs exercices étudiés et ayant les mêmes caractéristiques.

Lorsque je suis en droit en premier cycle, ce qui me passionne ce sont les théories en néo-rhétorique de Perelman et la théorie du syllogisme juridique que j’ai découvert lors de lectures personnelles. J’essaie de dégager ces structures dans les arrêts étudiés et de composer mes devoirs en appliquant des éléments des thèses de Perelman.

L’ensemble des connaissances que j’acquiers et l’habitude de les mettre en lien conduit à ce que ces connaissances m’apparaissent comme créant des structures implicites. Des connaissances qui semblent hétérogènes possèdent des structures homologues.

La mise en relation des informations entre elles leur donnent un sens différent qu’elles n’ont pas lorsqu’elles sont isolées. Elles prennent un nouveau sens par différence les unes avec les autres.

Je suis gênée par le fait que le milieu universitaire dévalorise trop souvent l’interdisciplinarité et la pluridisciplinarité, alors qu’elles me semblent permettre d’accéder à un niveau de compréhension plus ample de l’objet étudié.

8) Faire des déductions nouvelles

A partir de ces connaissances mises en relations et organisées, il est possible de tirer de nouvelles connaissances. Celles-ci tiennent au fait que la mise en relation de deux connaissances qui ne sont pas habituellement associées permettent alors d’effectuer des déductions nouvelles.

La mise en relation entre des connaissances peut faire apparaître des antinomies ou des structures antinomiques. Ce qui devient alors intellectuellement intéressant est d’imaginer des solutions qui permettent de rendre compatibles ces connaissances et leurs structures sous-jacentes.

Les opérations décrites ci-dessus semblent pouvoir faire apparaître des pistes de réflexion concernant la créativité intellectuelle:
a. La créativité par mise en relief de structure: la mise en relation d’informations fait apparaître des structures qui n’étaient pas apparentes auparavant ou des analogies de structures.
b. La créativité par déduction à partir de mises en relation: la mise en relation d’informations qui ne sont pas habituellement mises en lien ensemble permet d’effectuer de nouvelles déductions
c. La créativité à partir de problèmes: la mise en relation de deux éléments antinomiques conduit à essayer d’inventer une solution qui permette de lever l’antinomie entre les deux pans de connaissance de manière à pouvoir les unifier dans une même structure.

9) L’écriture: de la mentalisation à la mise en note des idées

J’ai des difficultés jusqu’à la fin du collège pour recopier les cours: je ne suis pas assez rapide. Mais l’apprentissage de la prise de note au lycée résout mes difficultés.

En dehors de mes problèmes d’orthographe, à la fin du collège, mon niveau de rédaction est bon. Cela tient sans doute au fait que je lise beaucoup.

Au lycée, mon engagement dans la tâche en dissertation est important: je peux passer des heures à préparer et à rédiger des dissertations ou des commentaires en littérature .

La possibilité d’écrire de manière fluide (par opposition à l’angoisse de la page blanche) me semblait lié à la capacité de préorganisation du discours:
– la mise en note des idées; puis leur développement en petits articles
– la mentalisation consistant à pré-organiser et/ou rédiger mentalement ce qui va être écrit avant de le rédiger effectivement.
– le découpage des textes longs en unité courtes autonomes par elles-mêmes. Par exemple, chaque chapitre d’un mémoire ou d’une thèse est envisagé comme un article autonome.

10) Habitudes d’organisation de travail

A la fin du collège, je suis en échec scolaire et l’on me fait redoubler. J’acquiers la conscience que je ne peux pas continuer ma scolarité sans améliorer mon travail personnel à la maison. Je planifie mon temps et je travaille plus régulièrement.

Après mon premier cycle universitaire en droit, le fait d’avoir effectué une partie de mes études par correspondance en travaillant à côté et également d’avoir eu à déménager plusieurs fois successivement, m’a contrainte à adopter certaines stratégies d’organisation de travail particulières:
essayer de faire le plus rapidement possible un travail de crainte qu’un imprévu de l’existence vienne empêcher de le réaliser
essayer d’utiliser les temps libres contraints: attentes, transports…
planifier dans l’avenir les différentes tâches à effectuer
ne pas être perfectionniste: une production donnée n’est qu’un moment d’un flux de réflexion qui se prolonge toute l’existence. Si j’avais dû par exemple attendre de surmonter ma dysorthographie pour rédiger, je n’aurai jamais rien écrit. C’est donc en quelque sorte s’accepter dans ses imperfections.

11) Dégager les règles méthodologiques

Les enseignants procédaient parfois à un métadiscours sur leurs pratiques d’enseignement que je trouvais éclairant. Par exemple, l’affirmation suivante: “on apprend mieux lorsque l’on cherche la réponse par soi-même”. J’essayais d’appliquer leurs conseils.

A partir du lycée, je commence à passer beaucoup de temps à m’interroger sur les règles implicites qui sont à l’oeuvre dans le travail scolaire, puis universitaire:
méthodes de prises de notes, d’organisation du travail, de lecture
étude des structures de la pensée: théories de l’argumentation, logique formelle…

En particulier, il me semblait pertinent d’être capable de modéliser sous forme d’un schéma ou d’organiser sous forme d’un tableau les connaissances acquises. Cela permettait un double encodage de l’information sous forme textuelle et visuelle.

J’essaie d’augmenter l’efficacité sur les tâches mécaniques pour dégager plus de temps pour les tâches qui apparaissent comme les plus intéressantes et dotées de sens. J’essaie de suivre les maximes conversationnelles de Grice: pertinence, informativité, clarté, justification.

Cet aspect méthodologique rejoint le travaux sur le lien entre l’efficacité dans l’apprentissage et la conscience métacognitive de ses stratégies d’apprentissage.

12) Les traits de personnalité

Outre les stratégies d’apprentissage, certains travaux mettent en lumière également des caractéristiques liées à la personnalité du sujet. Celles-ci peuvent être également conçues comme des constructions qui s’inscrivent dans une histoire où se croise le parcours individuel et le contexte social.

Il me semble que l’un des traits peut être qui caractérise mon parcours consiste dans une capacité à être capable de continuer à construire de nouveaux projets d’apprentissage en dépit de nombreux échecs.

La seconde dimension consiste dans une capacité à essayer de construire un sens positif à des situations contraintes et qui auraient pu être vécues négativement.

Sans doute deux caractéristiques utiles lorsque l’on est issu des classes populaires, confrontés à plusieurs échec successifs et aux contraintes matérielles de l’existence, mais que l’on ne désir pas renoncer à ses objectifs.

Conclusion:

Ce que j’ai cherché à mettre en lumière à travers cet exemple, c’est que les situations d’échec scolaire chez les élèves issus des classes populaires ne sont pas nécessairement toujours liées à un rapport au savoir qui serait trop utilitariste et pas assez centré sur des buts de maîtrise. Il me semble que l’échec scolaire peut être également lié à des curricula cachés qui constituent des règles implicites du système scolaire: survalorisation des notes et survalorisation de la restitution de connaissances. Le système conduit à produire des élèves qui peuvent avoir de bonnes notes, mais sans nécessairement chercher une maîtrise approfondie des savoirs, voire sans intérêts intrinsèques pour ceux-ci, et qui les mémorisent pour rapidement les oublier…

Les stratégies d’apprentissage décrites ci-dessus ne sont sans doute pas adaptées à toutes les matières. Je n’avais pas d’intérêt particulier pour les langues ou pour les mathématiques. Mon intérêt se portait surtout sur les matières qui me semblaient permettre de comprendre le monde. L’étude et la manipulation de pures formes vides de contenu m’ennuyaient (mathématiques, linguistique, logique formelle…), l’apprentissage de connaissances lexicales (langues étrangères) et la maîtrise de procédures (exercices) m’intéressaient peu également, les jeux (de logique ou de mots…) me paraissaient des occupations absurdes.

Si on s’appuie sur les travaux d’Alain Lieury, il semble que ces stratégies d’apprentissages soient particulièrement liées au développement de la mémoire sémantique et beaucoup moins au raisonnement logico-mathématique et à la mémoire lexicale. Pour ce qui est du raisonnement logico-mathématiques peut-être faut-il également y voir un effet lié à la socialisation de genre (valorisation de la compréhension verbale chez les filles, plutôt que des compétences spatiales et logico-mathématiques). Peut-être faut-il y voir là également une dimension en lien avec la théorie des intelligence multiples d’Howard Gardner (sans pour autant nécessairement reprendre les croyances innéistes de cet auteur). Il est possible de considérer le développement de ces intelligences comme un effet de la plasticité cognitive sous l’effet des stratégies d’apprentissage développées dans la durée. En effet, un expert se distingue d’un novice non pas tant par des aptitudes innées que par des connaissances et des savoir-faire acquis sur la durée.

On peut remarquer que les stratégies d’apprentissage que j’ai utilisées durant mon parcours présentaient un point commun en particulier. Il s’agissait toujours de stratégies dans lesquelles les connaissances vues en cours n’étaient que des moyens relativement à des buts de maîtrise qui se situaient au-delà des connaissances scolaires: comprendre le monde, approfondir une thématique, se faire son avis personnel, dégager des enjeux idéologiques, construire ses propres théories, produire de nouvelles connaissances…. Les connaissances ne faisaient jamais sens en elle-même pour moi, mais elles s’inséraient dans un ensemble plus vaste: culture générale personnelle, structure logique implicite, vision philosophique du monde…Ainsi donner un sens aux savoirs, ce n’est pas nécessairement se demander à quoi ils servent de manière utilitariste.

Propositions: Pour terminer à partir de cette trajectoire personnelle et de mon expérience d’enseignante en lycée, je souhaite mettre en relief certaines propositions qui me paraissent pertinentes.

1) Systématiser le travail avec les élèves sur la métacognition des stratégies d’apprentissage. (voir à ce propos: Isabelle Pelloux, L’école du colibri)
2) Systématiser le travail sur l’inférence pour favoriser la compréhension (voir à ce propos la méthode d’enseignement explicite: https://www.youtube.com/watch?v=bWkC51UGir8 )
3) Prévoir un temps scolaire pour qu’avec la médiation de l’enseignant les élèves puissent individuellement ou en groupe approfondir des sujets qu’ils ont choisi eux-mêmes.
On peut regretter à ce sujet que par exemple les enseignements d’exploration en seconde donnent lieu chez nombre d’enseignants à un retour à des méthodes classiques. Or il peut être possible de raccrocher certain élèves au système scolaire par le biais de ce type d’enseignements.
4) Moins privilégier dans les cours la transmission quantitative d’information et davantage la structuration des informations entre elles. Par exemple, en philosophie, il est possible de construire un cours annuel à partir d’une organisation systémique qui permet aux élèves de s’appuyer d’avantage sur la compréhension logique du système que sur la mémorisation mécanique d’un cours.
5) Inciter les élèves à aller au-delà du cours. Nombre d’élèves même en terminale pensent que la finalité des apprentissages se trouve dans la mémorisation et la restitution d’un cours. En philosophie, il n’est pas rare de voir, même des bons élèves, commencer l’année en apprenant le cours par coeur même si ce qui est appris n’est pas compris.
Inciter les élèves à aller au-delà du cours, c’est le inciter à faire: des inférences à partir des connaissances vues en cours, à lire pour approfondir le cours, à se forger un avis personnel, à essayer de produire des idées originales (créativité quotidienne) à partir de ce qui a été vu en cours….

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