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Les écoles de l’EZLN

Avec les écoles du MST du Brésil et les « Bachilleratos Populares » en Argentine, les écoles zapatistes au Mexique constituent actuellement une des trois plus importantes références en Amérique latine d’écoles populaires en lien avec des mouvements sociaux de lutte.

Traduction de :« EL sistéma autonomo de éducacion zapatista :resistencia, palabra y futuro », revue Pueblos, 2013

Dans la dite « crise de la civilisation » dans laquelle nous nous trouvons, il est plus pertinent que jamais de ne pas perdre de vue la longue piste d’atterrissage que de nombreux mouvements sociaux dans le monde ont construit. Nous devons nous approcher de ceux-ci en tant que sujets d’émancipation et analyser les apports cognitifs, relationnels et matériels qu’ils construisent, ainsi que les stratégies et processus mis en marche à la recherche du dépassement des réalités de subordination et d’exploitation multiple instauré par une modernité marquée par le caractère patriarcal, colonial et capitaliste » comme l’expliquent Zesar Martinez, Beatriz Casado y Pedro Ibarra. Si nous examinons dans le détail l’histoire du zapatisme, nous verrons qu’il s’agit d’un mouvement qui a su combiner les actions de protestation avec des processus de proposition. Le système autonome d’éducation zapatiste est un des exemples qui montrent le mieux comme ils ont mis en œuvre ces deux tâches : résister et ré-exister.

Lors de l’Aube du 1er janvier, qui marque le début de l’année 1994 et coïncide avec l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange de l’Amérique du Nord (ALENA), les peuples zapatistes du Chiapas ont avancé en armes. Après 12 jours de guerre ouverte avec le gouvernement, l’EZLN déclaré le cessez-le-feu. En dépit de cette suspension, qui dure depuis cette date, les communautés zapatistes vivent en contexte de guerre de basse intensité. Il est important, cependant, que toutes les initiatives de ces communautés retrouvent la marque de cette guerre qui a essayé de détruire le tissu social.

L’autonomie zapatiste

S’ils marchaient déjà vers l’autonomie, après l’échec des négociations avec le gouvernement officiel, la société civile zapatiste a commencé à marcher à pas de géant dans cette direction. On peut faire trois lectures de cette situation : la première, c’est que la voie institutionnelle pour répondre à ces demandes d’autonomie est fermée ; la deuxième c’est que l’appareil politico-militaire mexicain a commencé une stratégie de siège invisible ; enfin, que les institutions officielles (santé, éducation, droits, communication) sont capitalistes, coloniaux, patriarcaux et reposent sur la négation de l’humanité indigène.

Face à cette lecture, s’est établie une série de principes que Martinez Espinoza a souligné comme ceux qui organisent la démocratie zapatiste : commander en obéissance, décisions prises collectivement par consentement, respect de la différence, participation de la communauté aussi bien à l’auto-gouvernement qu’ à la prise de décisions et à la révocation des charges quand les engagements ne sont pas tenus. L’EZLN créé les municipalités autonomes rebelles zapatistes et les cinq « caracoles »*, chacun avec une Assemblée de Bon Gouvernement comme organe du pouvoir populaire. Ce nouveau cadre tente de s’ajuster à la réalité culturelle et organisationnelle du territoire pour construire la démocratie zapatiste, qui comme le remarque Pablo Gonzales, « intègre une culture du pouvoir qui émerge de 500 années de résistance des indiens d’Amérique ».

Système d’éducation autonome

Les écoles autonomes sont allées en se fortifiant formant une colonne vertébrale en dépit de la guerre « invisible » du gouvernement parce qu’elles ont su s’adapter aux nécessités des communautés. Avec beaucoup de travail, le système éducatif autonome a été en décolonisant la pensée et en restituant « les écoles » comme des espaces intégrateurs, parvenant à se convertir à une structure au service de la vie indigène en ré-existence par opposition à l’école officielle, au service d’intérêts extérieurs à la communauté.

Ce modèle éducatif s’est conçu et structuré lentement dans le territoire rebelle à travers ce questionnement du système éducatif officiel, mais, surtout, en se centrant en répondant collectivement à la nécessité d’une éducation réelle et en accord avec les rythmes paysans. Comme il est affirmé sur la page Web du système d’éducation des Altos de Chiapas (une des cinq régions), il s’agit de créer une éducation semeuse de consciences. Non seulement ce processus se déroule sans aucun type d’appui de l’État mexicain, mais les écoles sont des objets d’attaques de la part des acteurs militaires et paramilitaires.

La structure créée jusqu’à présent se divise en deux blocs : celui qui comprend l’ensemble d’écoles primaires situées chez les peuples en résistance (EPRAZ) et celui organisé par les écoles secondaires, généralement situées dans l’espace physique des Caracoles (ESRAZ). Les écoles sont organisées par niveaux, mais sans division stricte en fonction de l’âge. Bien que cette division se fasse parfois pour des nécessités matérielles réelles, la philosophie c’est que les écoles essaient de se souvenir des différentes étapes et besoins des jeunes zapatistes, qui ne sont pas nécessairement liés par l’âge. Le résultat, c’est qu’il y a une coexistence dans les salles de classe d’étudiants de différents âges que renforcent le principe que personne n’éduque personne et personne ne s’éduque seul.

Dans cette approche du système de l’éducation autonome, nous devons regarder un trait fondamental : il s’agit d’un éducation créée par et pour des femmes et des hommes paysans indiens qui, organisés en résistance, ont choisi les contenus. L’éducation est créée et conçue comme ayant en son centre l’apprentissage : apprendre qui l’on est, quelle est son histoire passée et présente, doter du sens de la collectivité indigène, se reconnaître dans l’autre. Cependant des personnes qui ne sont pas indigènes ou paysans ou qui ne parlent pas la langue indigène ne peuvent pas mener cette tâche à bien. L’espagnol comme langue officielle est considérée comme un instrument pour l’homogénéisation de la population mexicaine, car c’est le support par lequel s’introduisent des éléments culturels du pouvoir dominant. Ce mépris historique envers les langues originaires a conduit à générer de l’insatisfaction dans les communauté indigènes et c’est pour cela que pour l’école zapatiste autonome la langue a été centrale comme élément intégrateur.

C’est quelqu’un de la communauté qui gère l’école et facilite l’apprentissage des plus petits. La première étape c’est le consentement de l’assemblée durant l’élection d’une compagnon-ne qui assume la charge d’éducateur/trice. Il/elle accompagnera l’apprentissage des mineurs et entreprendra également un processus de formation propre qui sera guidé par d’autres personnes qui ont de l’expérience. De cette manière, on génère un effet multiplicateur durant la formation, dans une logique d’accompagnement sans dépendances externes. Tandis que le maître de l’école officiel bénéficie d’un statut supérieur dans la communauté, le ou la nouvel-le enseignant-e accompagne l’activité lié à cette charge en même temps que les tâches quotidiennes de sa vie paysanne.

Pour aucune des charges municipales, et pas plus pour l’éducation, il n’y a de salaire payé, mais seulement des bénévoles. L’éducation se fait à partir de la communauté en résistance et c’est le peuple qui doit chercher les manières de l’assurer. Cela suppose pour la communauté, entre autres choses, d’aider avec de la nourriture, des vêtements, d’adapter les horaires au calendrier agricole des semences et de la récolte agricole, appuyer la formation, la construction des écoles. Le contrôle se réalise par la communauté, avec la possibilité de révoquer la charge si la personne n’agit pas en fonction des principes partagés.

D’autre part, depuis depuis la loi révolutionnaire des femmes (1993), la participation des femmes à toutes les charges de responsabilité a augmenté, révolutionnant les vieilles structures. Le fruit de ce changement consiste dans le fait qu’il soit chaque fois plus accepté le maintien des femmes dans le système éducatif secondaire, bien que ce soit une bataille de second rang.

San Marcos Avilès, une école en contexte de guerre

Un bon exemple du harcèlement dont souffrent les communautés zapatistes de la part du gouvernement, c’est le cas de San Marcos Avilés. A partir d’août 2012, cette communauté a souffert, durant des mois, du siège de groupes paramilitaires avec la connivence du gouvernement. Les bases des de l’appui zapatiste avaient terminé la petite construction de bois qui abriterait la nouvelle école primaire, Emiliano Zapata. Peu après la fin de la construction, s’est constitué une unité de choc dans le but de la détruire. Ce groupe, formé par d’autres membres de la même communauté, mais acquis à d’autres partis politiques, commença à attaquer systématiquement avec une agressivité croissante et en utilisant des armes de gros calibre, afin de sécuriser ses bases d’appuiset de diffuser les rapports qui dénonçaient l’Assemblée du Bon Gouvernement. Étant donné le cessez le feu de 1994, les zapatistes n’ont pas répondu avec violence devant ces attaques et beaucoup se déplacèrent dans la montagne pendant quelques mois. En même temps, ils analysèrent et expliquèrent le problème : «  les zapatistes sont des gens de raison et de principes et ne veulent pas s’affronter avec leurs propres frères indigènes. Mais les mauvais gouverneurs de notre Etat et de notre pays cherchent à tout prix à ce qu’entre frères indigènes nous nous voyons comme des ennemis et que nous nous tuons ».

Ces types d’attaques ne sont pas isolées, et ce type de réponse non plus. C’est sans doute pour cela, que le zapatisme est parvenu à générer un mouvement de solidarité de niveau mondial qui durant des mois s’est concentré dans une campagne menée, comme l’expliquent Zesar Martinez, Beatriz Casado et Pedro Ibarra « depuis une logique de conflit, signalant les responsabilités politiques et identifiant adversaires à travers des pratiques de mobilisation lors des occasions de confrontations et de transgression ».

Le développement d’un processus d’autonomie entraîne par lui-même d’énormes difficultés, mais elles sont d’autant plus grande quand le contexte dans lequel cela se déroule est violent. L’État mexicain a décidé d’invisibiliser la violence qu’il organise en isolant médiatiquement le zapatisme, il a prétendu que celui-ci devait être considéré comme une réalité dépassée. Cependant, les zapatistes ont fait le pari de se maintenir maîtres de leur parole et de la faire parvenir au monde en brisant ce cercle de désinformation. Il n’y a pas de doute que le Système autonome de l’éducation transgresse et se confronte à la normativité du système éducatif public mexicain, pointant les piliers sur lesquels il s’appuie, en particulier une pédagogie au service du commandement et de l’obéissance. Pour le zapatisme, l’horizon, c’est l’autonomie des peuples indigènes : décoloniser l’être suppose de décoloniser la pensée. C’est en dernière instance, la raison d’être des écoles zapatistes en résistance et en ré-existence.

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