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La zone du dehors

« La zone du dehors » d’Alain Damasio. Folio

Une société du contrôle. Notre futur ?

(p. 47)
Les gardiens de la paix ne servaient plus à rien. La paix, c’était la traçabilité. Le bon flic, c’était devenu celui qu’on ne voyait pas : le caché, le lâche… Sa bedaine cognait contre des bornes de vision. Sa voix dirigeait des machines. Son âme ? Un quadrillage opto-électronique Une mémoire morte saturée de fichiers de suivi, de contréchos, de grilles de coefficients remplies en fonction de l’importance de ce qui était vu et entendu. L’humain du pouvoir refluait dans les pestilences du voyeurisme. Voir sans être vu. Écouter sans être entendu. Sanctionner sans que le sanctionné puisse opposer son humanité à la sanction, puisse négocier. Pouvoir dissymétrique. Qui effaçait la résistance plus qu’il ne la matait.
Comment résister à une autorité qui jamais directement ne se manifeste ? Flinguer des caméras ? Une de tuée, dix autres vous mettaient en joue. Une fois shootée, vous vous retrouviez de fait en liberté conditionnelle. Ils appelaient ça «prévention».

(p70-71)
L’accès sélectif n’était à mes yeux qu’une extension à l’être humain de la traçabilité des marchandises. L’outil était resté longtemps cantonné aux banques, aux administrations publiques et aux entreprises et aux entreprises stratégiques pour lesquelles une justification sécuritaire avait le mérite de en pas paraître totalement infondée. Mais ne moins de cinq ans, les «points de sécurité» – en fait des sas, des seuils, des bornes, des portes et des portiques – avaient coupé un peu partout tout trajet un peu fluide, un peu libre, toute errance éclairée. Et il n’était pas jusqu’au centres de rencontre, aux salles de jeux et aux immeubles d’habitation qui ne trouvassent un excellent mensonge pour imposer leur implantation. (…) Conjonction de la pugnacité d’un groupe industriel, de l’avidité sécuritaire des nantis, des subventions bienveillantes du gouvernement et de la passivité du peuple, les points de sécurité avaient en une poignée d’année aboli… la liberté de circuler. Naturellement, n’était-ce pas une abolition univoque et dictatoriale, un couvre-feu général clouant les bonnes gens aux poteaux des portiques. L’abolition ne concernait que les citoyens «atypiques», ou leur synonyme : les pauvres.

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