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La relation entre Éducation aux droits humains et Pédagogie critique

Abraham Magendzo Kolstrein est un universitaire chilien. Il est le coordinateur de la chaire Unesco sur les droits humains. Dans le texte ci-dessous, publié en 2002, il montre les liens qu’il existe entre l’Éducation aux droits humains et la Pédagogie critique.

La relation entre Éducation aux droits humains et pédagogie critique est très forte. Nous pouvons affirmer sans aucun doute que l’éducation aux droits humains est une des expériences les plus concrètes et tangible de la pédagogie critique. En outre, l’Éducation aux droits humains – afin de remplir son propos principal : encapaciter les personnes pour qu’elles soient des sujets de droit – requière une atmosphère éducative appropriée.

Les deux, la pédagogie critique et l’Education aux droits humains, sont très intéressées par l’observation des structures de pouvoir dans et en dehors du système éducatif. La Pédagogie Critique est surtout intéressée par l’examen de la manière dont la structure éducative et les curriculum interagissent et donnent forme à la connaissance. L’éducation aux Droits humains se préoccupe essentiellement de la manière dont la structure éducative et le curriculum s’occupent de modeler le « sujet de droits ». La hiérarchie éducative, l’idéologie éducative, les modèles de discipline, les normes légales de l’État et les régulations scolaires, entre autres, sont des expressions du pouvoir. Le curriculum, comme système de pouvoir en lui-même, reproduit, soutient et accommode les autres systèmes de pouvoir. La pièce maîtresse qu’utilisait le curriculum pour promouvoir ses intérêts est le pouvoir de créer et de légitimer la connaissance. Cette connaissance, dans sa forme et son contenu, est prise entre les intérêts des concepteurs du curriculum et ceux des groupes de pouvoirs dans la société. Les éducateurs en droits humains, qui assument une perspective qui est celle de la pédagogie critique, doivent comprendre, analyser et être conscients de la manière dont la composante de pouvoir de l’éducation et du curriculum fonctionnent et interagissent, déterminant comment les personnes se forment et s’encapacitent pour être des sujets de droits. En faisant cette analyse, l’Education aux droits humains devient critique et laisse de côté les positions innocentes et ingénues.

Une pédagogie critique considère la liberté de choisir, de s’exprimer, de prendre des décisions – au sein des conditions générales du curriculum, le contenu à couvrir, les textes que l’on utilise, les questions des évaluations et les thèmes de rédaction – comme une importante composante de pouvoir. Quand il existe ce type de liberté, il existe une marge considérable pour changer les contenus, montrer un large spectre de points de vue, interagir ouvertement…. Une pédagogie critique exige d’introduire des méthodes d’enseignement qui donnent à l’étudiant plus de contrôle sur son apprentissage. Quand les étudiants choisissent quoi apprendre et comment apprendre, ils ont plus de possibilité de développer des perspectives critiques. L’éducation aux droits humains ne peut pas fonctionner dans une atmosphère éducative de restrictions, d’impositions verticales, de relations rigides et autoritaires ou dans une ambiance sans dialogue et communication. L’Education aux droits humains comme la pédagogie critique stimule l’étudiant à devenir un apprenant indépendant, qui ne dépend pas du curriculum et du contrôle des enseignants. L’Education aux droits humains, par définition, doit fournir au étudiants le pouvoir et le contrôle sur son propre apprentissage. A partir de cette perspective, l’Education aux droits humains adopte différentes initiatives qui ont été utilisées dans l’enseignement : l’apprentissage auto-régulé, le choix des thèmes par l’élève, la conception de l’apprentissage par l’étudiant, l’apprentissage orienté par les étudiants, dans lequel les étudiants s’aident les uns les autres à apprendre, le travail en petits groupes pour promouvoir un apprentissage égalitaire et auto-suffisant (groupes d’études, groupes de discussion, groupes de conscientisation et groupe de recherche communautaire).

– Aussi bien la Pédagogie critique que l’Education aux droits humains s’orientent vers l’empowerment des personnes pour qu’elles soient des sujets de droits. Un sujet de droits est quelqu’un avec une connaissance basique des droits humains fondamentaux et qui les appliquent à la promotion et à la défense de ses droits et des droits des autres. C’est quelqu’un de familiarisé avec la Déclaration universelle des droits humains et avec certaines des résolutions, pactes, conventions et déclarations nationales et internationales en lien avec les droits humains. La connaissance de ces normes légales se transforme en un instrument de demande et de vigilance pour rendre effectif l’accomplissement des droits humains. Ce sujet de droits a également une connaissance basique des institutions qui protègent les droits, spécialement ceux de sa propre communauté, auxquels il peut recourir quand on viole ses droits.

Avoir une connaissance des normes et des institutions des droits humains n’est pas un apprentissage académique, c’est une connaissance qui offre de plus grandes possibilités pour l’action et ainsi plus de pouvoir pour développer la promotion et la défense de leurs propres droits et des droits des autres.

En outre, dû à l’étroite relation entre sujet de droits et pouvoir, nous croyons fermement qu’une personne – sujet de droits – nécessairement doit développer beaucoup d’habileté qui lui permettent de dire « Non » avec autonomie, liberté et responsabilité quand il s’affronte à des situations qui menacent sa dignité ; le pouvoir de refuser des demandes arbitraires, injustes et abusives qui lèsent ses droits ; avoir le droit de dire : « cela est inacceptable pour moi et c’est pour cela que je le refuse » ; être capable de défendre et de demander l’accomplissement de ses droits et des droits des autres avec des arguments solides et bien fondés, avec des expressions affirmative, bien structurées et rationnelles. Cette personne utilise le pouvoir de la parole, et non pas la force, parce qu’elle veut convaincre au moyen de la raison, et non pas subjuguer par la force.

La pédagogie critique et l’éducation aux droits humains impliquent une action pédagogique stratégique de la part des maîtres de la classe orienté pour émanciper de toute forme de domination, ouverte ou couverte. Il ne s’agit pas simplement de questionner les pratiques existantes du système, mais de chercher à comprendre pourquoi le système est comme il est et le questionner, en même temps que l’on est conscient que le propre sens de la justice et de l’égalité sont également sujets au questionnement. La problématisation de la conscience et des valeurs affirmés en elle est alors, la caractéristique clef de la Pédagogie critique et de l’Education aux droits humains.

La pédagogie critique est une pédagogie conçue avec le propos d’encapaciter celui qui apprend pour qu’il devienne conscient des conditionnements dans sa vie et dans la société et qu’il dispose des habiletés, de la connaissance et des ressources pour pouvoir planifier et créer des changements. Elle est conscientisatrice. La pédagogie critique, comme la Théorie critique, s’efforce d’aider à voir la véritable situation, qui souvent est une forme d’oppression qui restreint la liberté et à aider à comprendre que cette situation peut changer, en d’autres mots, révèle des possibilités : qui apprend est capable de découvrir les possibilités et alors d’agir à partir d’elles.

Dans la même ligne de pensée et de propos, l’Education aux droits humains joue un rôle fondamental quant au fait d’effectuer une contribution critique à la prévention des violations des droits humains en stimulant les personnes à participer de manière effective à la société comme des membres actifs, informés, critiques et responsables.

A partir de cette perspective, l’Education aux droits humains doit être considérée comme une éducation éthique et politique. L’Education aux droits humains considère que l’apprentissage est une part de la vie, avant que d’être quelque chose de séparé des autres dimensions de la vie et sans pertinence pour elle. L’éducation aux droits humains est en lien avec les grands problèmes dont souffre la société, par exemple : la pauvreté chronique et démoralisante, les démocraties fragiles et instables, l’injustice sociale, la violence, le racisme, la discrimination et l’intolérance à l’égard des femmes, des homosexuels et des lesbiennes, l’impunité et la corruption. L’Education aux droits humains doit fortifier les habiletés des étudiants pour qu’ils puissent identifier, analyser et offrir des solutions à ces questions, qui soient en accord avec l’éthique des droits humains et pour qu’ils aient des habiletés pour demander, négocier et agir.

En ayant cela à l’esprit, on assume que l’Education aux droits humains doit être une part intégrante de la démocratisation des sociétés et que le respect et l’exercice effectif des droits humains n’appartient pas seulement à la dimension politique de la démocratie, mais également aux dimensions économiques, sociales et culturelles.

La pédagogie critique avant de considérer la connaissance comme une accumulation de faits neutres objectivement vérifiés, la conçoit comme construite socialement, et pour cela, comme quelque chose que les différents groupes soutiennent de manière différente. Elle conduit à comprendre les valeurs des personnes et les utilisations des significations au lieu de découvrir la « vérité ». A partir de cette perspective, la Pédagogie critique comme l’éducation des droits humains implique une méthodologie active, où les gens confrontent des idées, problématisent la réalité et affronte des situations et des problèmes de la vie personnelle et collective. Affronter les problèmes signifie admettre les conflits, analyser les contradictions, gérer des tensions et des dilemmes qui sont impliqués dans la connaissance et l’expérience quotidienne. Nous devons nous rappeler que, historiquement parlant la pédagogie critique comme l’éducation ds droits humains sont en lien avec l’injustice sociale, l’oppression et la violence et qu’elle est le résultat de luttes intenses et incessantes des gens pour faire une réalité de leurs droits. Cette lutte est pleine de contradictions et de conflits.

En considérant toutes les difficultés qui existent pour incorporer une vision de la pédagogie critique et une pratique de l’éducation aux droits humains dans le système éducatif, on produit la tentation de commencer non à partir des institutions existantes, mais en construisant une alternative éducative à partir d’un idéal. Cette position s’appuie sur le fait de considérer que la pédagogie critique et l’éducation aux droits humains questionnent profondément les structures sociales oppressives de l’éducation, ce qui est préférable au fait de construire une stratégie rénovatrice. En d’autres termes, la pédagogie critique et l’éducation aux droits humains, pour être pertinente et avoir du succès, doit devenir radicale et assumer une position très critique au sujet de la structure éducative traditionnelle, sa conception, la forme dans laquelle a lieu l’apprentissage et la distribution du pouvoir.

A mon avis, la Pédagogie critique et l’Education aux droits humains peut produire un changement important dans l’éducation en maintenant une position critique et non une position radicale. En étant beaucoup plus réaliste et en prenant en considération que l’éducation est résistante aux changements, je pense que la pédagogie critique et l’éducation aux droits humains doivent et peuvent contribuer au changement en intégrant dans la durée l’éducation et le curriculum pour la justice sociale, l’empowerment et avec des thèmes sociaux, culturels et politiques comme la pauvreté, la discrimination, la paix, le genre et le racisme…

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