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La loi (dite) de refondation : vous avez dit rupture ?

Nous proposons ici un texte que nous a très gentiment proposé Choukri Ben Ayed (Université de Limoges, GRESCO) pour le site Questions de classe(s)

La loi (dite) de refondation : vous avez dit rupture ?

La preuve par le socle ou le renoncement au projet d’une école émancipatrice

Au sein des débats éducatifs il est certaines récurrences qui ne s’étiolent pas avec le temps, quand bien même les contraintes, les urgences ou le poids des pensées dominantes pourraient nous conduire à une certaine forme de résignation. Parmi ces récurrences le thème de l’émancipation occupe une place de choix. Non pas uniquement en raison de sa puissance sur un plan éthique, politique ou philosophique, mais parce que l’émancipation est la clé voûte de toute démocratisation scolaire autant que sociale. L’exposition prolongée à une certaine forme d’enseignement peut parfaitement se solder par davantage de conformisme ou de soumission. C’est le propre même de la sociologie de l’éducation que d’avoir démontré que, sous sa forme instituée, l’exposition prolongée à l’école conduit à l’intériorisation du probable et à l’apprentissage de la docilité pour les fractions d’élèves les plus dominés. Prôner une éducation émancipatrice, c’est estimer que la fonction de l’éducation est de conduire à l’auto-détermination, à l’acquisition des valeurs humanistes et d’ouverture aux autres. Une école émancipatrice, est une école qui favorise l’autonomie de pensée et l’esprit critique, qui implique une certaine forme de désintéressement et de rapport non utilitariste aux études, qui érige la culture et la connaissance comme les objectifs ultimes de l’apprentissage.

Forts de ces convictions il est inutile de rappeler ici combien les réformes éducatives n’ont jamais été à la hauteur de ces idéaux. Parmi les réformes récentes, celle concernant l’introduction de la notion de compétences est sans doute à considérer avec une attention particulière. Si notion de compétence n’est pas totalement nulle et non avenue, elle devient en revanche très problématique dès lors qu’elle s’instaure comme la seule finalité de l’école, et lorsque les compétences en jeu sont celles jugées comme les plus opérationnelles sur le marché du travail. À ce titre il n’est pas inintéressant d’analyser le projet de loi (dite) « de refondation de l’école » à partir de ce prisme et de nous interroger sur le degré de « rupture » que celle-ci prétend introduire avec les périodes précédentes. Un examen attentif de la loi montre au contraire comme celle-ci est bien en continuité avec les lois antérieures, notamment la loi Fillon de 2005 qui avait introduit le socle commun de connaissance dans le dispositif législatif.

Refondation ou consolidation ?

Que peut-on en effet lire dans la loi dite de « refondation de l’école » ? Elle s’évertue à amender de façon insistante le code de l’éducation : les missions de l’école sont désormais ouvertement liées au à l’acquisition et au développement des compétences. Les objectifs de l’école y sont en effet ainsi décrits :


« (l’école) (…) Elle développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l’information et de la communication. Elle favorise l’esprit d’initiative. »

Curieuse et bien triste formule que de réduire la société d’aujourd’hui à sa seule dimension « d’information et de communication » et d’y associer de surcroît le qualificatif de « citoyenneté » ? Qu’est-ce donc qu’un citoyen dans une société de l’information et de la communication ? N’y a-t-il pas d’autres notions à mettre en avant pour qualifier une société ? Pourquoi n’avoir pas davantage souligné les impératifs d’égalité, de solidarité et d’attention aux autres, plutôt que cette référence implicite à la vulgate des « autoroutes de l’information » ? Si tel n’est pas directement ici notre sujet, il était impossible d’en faire l’impasse.

La loi dite « de refondation de l’école » n’est pas non plus en rupture avec l’idée d’individualisation des parcours et d’orientation précoce. Si elle abroge les dispositions Chatel en matière d’orientation vers l’apprentissage précoce dès 14 ans, elle maintien la possibilité d’orientations courtes avant la fin de la scolarité obligatoire. Les articles faisant référence à l’élaboration individualisée d’un projet d’orientation, de sensibilisation aux milieux professionnels en deviennent même envahissants : « il est proposé à chaque élève « un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel ».  L’orientation dans ce texte est érigée en véritable doxa donnant lieu à de nouvelles modifications du code de l’éducation renouant ainsi avec les vielles lunes des aspirations et des aptitudes :

« Art. L. 331-7. – L’orientation et les formations proposées aux élèves tiennent compte de leurs aspirations, de leurs aptitudes et des perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire » (…).

« Afin d’élaborer son projet d’orientation scolaire et professionnelle et d’éclairer ses choix d’orientation, un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel est proposé à chaque élève aux différentes étapes de sa scolarité du second degré. Il lui permet de se familiariser progressivement avec le monde économique et professionnel, notamment par une première connaissance du marché du travail, des professions et des métiers, du rôle et du fonctionnement des entreprises ainsi que des modalités et des perspectives d’insertion professionnelle ».

Ce qui est frappant dans ce texte, c’est que les « besoins » de l’économie et des territoires ne sont même plus euphémisés, et c’est en leur nom, comme nous le verrons plus loin, que la régionalisation de la formation et de l’orientation sont considérés comme des objectifs impérieux. Revenons au socle commun de connaissances et de compétences. Curieux texte que cette loi qui, tout en feignant de le critiquer, l’inscrit dans le marbre. Le socle est partout. Les objectifs d’acquisitions du socle sont mentionnés pour tous les niveaux d’enseignement – primaire, collège, lycée : le socle y est même mentionné comme étant au centre des apprentissages. Concernant le collège par exemple : « Le collège unique est un principe essentiel pour conduire tous les élèves à la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». Le diplôme national du brevet des collèges : « il atteste de la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture » ; les objectifs visés par la création d’un conseil école-collège sont « de mettre en œuvre des projets pédagogiques communs visant l’acquisition par les élèves du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».

On retrouve encore des références au socle commun dans les attributions du Conseil supérieur des programmes ; celui-ci « émet des avis et formule des propositions sur le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires, et leur articulation en cycles » (…). Et c’est au détour de cet article que l’on peut lire cette formule sans aucune ambigüité : « La conception et les composantes du socle commun seront donc réexaminées par le Conseil supérieur des programmes, afin qu’il devienne le principe organisateur de l’enseignement obligatoire ». Oui, il s’agit bien d’un « principe organisateur de l’enseignement obligatoire », il est clair donc que la loi dite « de refondation de l’école » franchit un cap supplémentaire par rapport à la loi Fillon.

Quant à la territorialisation et à la régionalisation de l’action éducative, prémisse à l’Acte III de la décentralisation, elle s’inscrit bien dans le même registre en le consacrant. Les objectifs visés par la régionalisation de la carte des formations ne peuvent en effet qu’accroître les logiques utilitaristes par une recherche d’adéquation très forte entre offre de formation et besoins économiques à court terme. Nous sommes en conséquence bien éloignés d’une vision émancipatrice de l’école :

« La région définit et met en œuvre la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes sans emploi ou à la recherche d’une nouvelle orientation professionnelle. Elle élabore le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles défini à l’article L. 214-13 et arrête la carte des formations professionnelles initiales du territoire régional définie à l’article L. 214-13-1. ».

Par ailleurs on constate également que l’un des risques de la régionalisation est de mélanger, superposer différents registres : scolaires, apprentissage, formation continue, VAE, par la médiation des « campus des métiers » et autres « pôles d’excellence » :

« Au-delà de la nécessaire modernisation de la carte de formation, il conviendra de faire émerger des campus des métiers, pôles d’excellence offrant une gamme de formations professionnelles, technologiques et générales, dans un champ professionnel spécifique. Ces campus pourront accueillir différentes modalités de formation (statut scolaire, apprentissage, formation continue, validation des acquis de l’expérience) et organiser des poursuites d’études supérieures et des conditions d’hébergement et de vie sociale » (…).

Le fameux « esprit d’entreprendre » du socle commun européen écarté par le HCE sous Fillon en 2005 entre officiellement dans la loi

Dans son rapport de 2011, consacré à « la mise en œuvre du socle commun », le Haut Conseil de l’Éducation, principal promoteur de la politique du socle en France, rappelait ses préconisations en la matière. Il attachait manifestement une grande importance à la traduction du cadre de référence européen des « compétences-clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie » aux particularités françaises. La traduction de « l’esprit d’entreprendre » en « esprit d’initiative », apparaissait ainsi comme l’emblème de cette adaptation contextuelle :

« Il (le Haut Conseil de l’Education) a par exemple parlé d’esprit d’initiative et non d’esprit d’entreprise considérant que ces deux expressions étaient synonymes, et pour éviter tout débat idéologique. Il a insisté sur l’ambition de culture humaniste, affirmée par la loi d’avril 2005, et a donc modifié l’ordre et le contenu des compétences-clés ».

Si la loi dite de « refondation » met fin aux fonctions du Haut Conseil de l’Éducation (remplacé par le « Conseil national d’évaluation du système éducatif »), elle reprend en revanche à son compte l’idée d’esprit d’entreprendre :

«  L’école doit également s’ouvrir à tous ceux qui peuvent contribuer à cette information : témoignages de professionnels aux parcours éclairants, initiatives organisées avec les régions, avec des associations et des représentants d’entreprises, visites, stages et découverte des métiers et de l’entreprise, et projets pour développer l’esprit d’initiative et la compétence à entreprendre ».

Cette incise autour de la problématique du socle commun de connaissances et de compétence peut-être lue comme un analyseur de la loi dite de « refondation de l’école ». Il faut mettre cette analyse de la loi en relation avec les discours épars dans la presse, les assemblées diverses, etc. Si le discours sur la critique du socle commun de connaissance est bien identifiable, la réalité du texte de la loi révèle une réalité bien plus sombre.

Choukri Ben Ayed

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