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La laïcité, c’est le refus des dogmes et l’exercice de la raison critique

Chacune et chacun a conscience de la gravité de la période depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper casher. Tout naturellement l’école et la formation des maîtres sont interpellées. Mais on entend, et jusqu’au sommet de l’Etat, de nombreuses bêtises. Comme s’il s’agissait d’inculquer la laïcité dans le cadre d’un enseignement de « morale civique ». Exit donc l’ambition (déçue) de l’ECJS : une formation au débat public argumenté (un échange public d’arguments fondés en raison). Bien mieux, on invoque la menace de sanctions contre les élèves qui poseraient de mauvaises questions et la laïcité, qui devrait s’inscrire dans un projet éducatif émancipateur, est associée au renforcement de l’autorité. Comme si, en lieu et place de « la force du meilleur argument » (P. Bourdieu), on faisait appel au conseil de discipline. On entend aujourd’hui des appels au rétablissement de l’ordre, comme si la menace de sanction pouvait contraindre les élèves à adhérer à l’idéal laïque

Dans cette perspective évidemment, le rappel des textes officiels, un vague catéchisme républicain et l’étude de « cas pratiques », peuvent tenir lieu de formation des futurs enseignants.

Les textes officiels sont utiles à connaître, mais le catéchisme républicain ne sert à rien. Faut-il rappeler sur ce point la position de Condorcet (que tout futur professeur devrait connaître) ?
Former les futurs enseignants à la question laïque, ce devrait être aujourd’hui aborder de front les enjeux sociaux et politiques de la laïcité. Prolonger ce qu’avaient fait Hugo quand il combattait la loi Falloux et Jaurès lorsqu’il se battait “Pour la laïque”. Ces textes pourraient d’ailleurs être utilement étudiés avec les futurs professeurs.

Aujourd’hui cependant, la situation est pire qu’à leur époque. La droite et l’extrême-droite se présentent comme “laïques”. La laïcité est mobilisée comme argument de maintien de l’ordre, plus que comme composante de l’émancipation. Elle est parfois utilisée de façon discriminatoire contre les musulmans. Des sites internet se présentant comme défenseurs de la laïcité sont en réalité des bastions de la réaction et du racisme.

Les professeurs doivent donc prendre la mesure des enjeux politiques de la question laïque. Car les élèves, si on les autorise à s’exprimer, posent des questions politiques : celles de la situation au Proche Orient, celles de la liberté d’expression, celles de l’égalité entre les différentes confessions, celles des discriminations. Bien sûr ces discours véhiculent parfois des propos inacceptables (antisémites ou islamophobes), ils s’inscrivent parfois dans une logique de concurrence mémorielle, ils reposent sur des préjugés et des références complotistes. Mais les professeurs ne peuvent y faire face que sur la base de savoirs solides, de la maîtrise des enjeux politiques et culturels. Pour cela il faut plus de formation en histoire des relations internationales, en sociologie et en histoire des religions, en philosophie politique. Au lieu de quoi on nous propose d’imposer des valeurs et de menacer de l’appel au CPE et au chef d’établissement.

Combien de nos futurs professeurs en dehors peut-être de ceux de SES, d’histoire-géographie et de philosophie, sont capables d’expliquer que les USA sont un Etat laïque, combien peuvent parler avec recul et de façon pertinente de la situation au Proche-Orient, combien savent ce qu’est le Syllabus de Pie IX, combien savent ce qu’est un concordat, combien peuvent parler des positions de Locke et de Voltaire sur la tolérance, combien peuvent distinguer « laïcisation » et « sécularisation », combien peuvent traiter sérieusement du communautarisme, combien disposent de la formation épistémologique permettant d’éviter à la fois l’arrogance scientiste et la démission relativiste ? etc.

Un discours aseptisé et moralisateur sur la laïcité, sur fond d’évacuation du politique et de maîtrise insuffisante des enjeux est la pire chose que l’on puisse faire en matière de formation des enseignants !

La laïcité, c’est le refus des dogmes et l’exercice de la raison critique. La laïcité est une question politique ou elle n’est rien !

Alain Beitone

1 Comment

  1. alphonse

    La laïcité, c’est le refus des dogmes et l’exercice de la raison critique
    Combien de nos futurs professeurs en dehors peut-être de ceux de SES, d’histoire-géographie et de philosophie, sont capables d’expliquer que les USA sont un Etat laïque, combien peuvent parler avec recul et de façon pertinente de la situation au Proche-Orient, combien savent ce qu’est le Syllabus de Pie IX, combien savent ce qu’est un concordat, combien peuvent parler des positions de Locke et de Voltaire sur la tolérance, combien peuvent distinguer « laïcisation » et « sécularisation », combien peuvent traiter sérieusement du communautarisme, combien disposent de la formation épistémologique permettant d’éviter à la fois l’arrogance scientiste et la démission relativiste ? etc.


    Putain, demain je crois que je vais rester coucher parce que là c’est vrai que je ne peux que constater mon incompétence… (en plus je ne suis pas un futur professeur mais un vieux professeur)!
    J’adore ce genre de discours, surtout ici…
    Quand l’émancipation rime avec le paluchage de la raison…

    adieu questionsdeclasses

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