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La force médiatique au cœur de la société

L’univers médiatique dans lequel enfants, jeunes et adultes vivent quotidiennement perturbe leur perception du monde, la place que chacun pourrait y avoir, les relations entre individus et avec la nature.

La marchandisation à l’œuvre !
L’univers médiatique aurait pu avoir comme préoccupation la transmission, la valorisation de la culture, la mutualisation de savoirs, la connaissance de l’autre. Mais soumis à la loi du marché et à sa recherche de profits à court terme, il réduit la nature, l’humain avec ses cultures et ses œuvres à de simples marchandises.
On comptabilise tout : l’audimat pour la télévision, le succès de vente pour un livre, le nombre d’entrées pour un film, le tirage des journaux, l’opinion avec les sondages….
On oublie qu’une œuvre culturelle est le fruit d’un univers social avec ses relations, ses espaces, ses critiques, un univers qui se construit peu à peu. Rien à voir avec la temporalité médiatique qui impose l’immédiateté ! L’œuvre récupérée se réduit ainsi à un produit « culturel » juste bon à nourrir la pulsion de consommation.
La concurrence, voire la rivalité entre les producteurs « culturels » est de plus en plus exacerbée. Elle les pousse à se copier les uns les autres (séries, divertissements, journaux télévisés, presse papier, enquêtes, reportages…).
Cette pauvreté culturelle et son uniformisation incitent à la passivité des citoyens et à leur résignation, car elles véhiculent une perception du monde qui serait trop complexe pour eux, incompréhensible et donc inchangeable. Le recours aux experts lors des grands problèmes de société comme les catastrophes naturelles, le réchauffement climatique, le chômage, les accidents de la route… permet de convaincre le citoyen lambda qu’il n’a rien à penser et à dire.
Le traitement spectaculaire des espaces de débat politique enferme les invités dans des positions caricaturales, l’animateur surfant davantage sur l’opinion que sur les questionnements de société. Cette théâtralisation privilégie l’instantané et exclut toute construction politique. Les sondages permanents pensent à la place des spectateurs.

Tout serait à vendre…
Avec la recherche permanente de profits financiers, les grandes entreprises chassent les marchés et les consommateurs potentiels. Tous les espaces de vie de la population sont visés.
Que reste-t-il de l’espace privé, de ses temps à rêver, à lire, à penser, à questionner, à débattre, à refaire le monde, à échanger entre amis… ? Un moyen radical de le contrôler serait de le réduire en réceptacle médiatique, ainsi l’individu deviendrait un spectateur permanent, coiffé d’ignorance entretenue et banalisée.
Les armes de prédation de ces chasseurs : la publicité et l’omniprésence des marques (logos, distributeurs, enseignes…) Les marques sont devenues incontournables, elles phagocytent l’espace psychologique, émotionnel et social des individus. Ce sont de véritables dispositifs machiavéliques qui sacralisent la marchandise et placent sa consommation au cœur des valeurs et de l’identité de l’individu. Avec en particulier, la mise en scène de spots publicitaires où les marques enchantent les actes quotidiens de la vie, proposent des modèles, une vision du monde utopique, des préceptes de vie… le tout sur des musiques qui rappellent les années 70 et les Trente glorieuses.
L’idéologie véhiculée est celle du bien-être individuel et familial, elle récupère sans complexe les valeurs du vivre ensemble, la défense de l’environnement, etc. Dès le plus jeune âge, elle influence la façon de voir et de comprendre le monde.
Ses principes : dire vite, sans effort de réception (logos, slogans, musique) et ainsi minimiser la pensée et le langage. Le tout forme un système individualiste qui tend à annihiler l’idée d’altérité. On « se marque » les uns des autres.

… même l’éducation !
Cet univers des marques arrive à l’école véhiculée de fait par les enfants, les jeunes et leurs enseignants, mais il pénètre directement dans les établissements scolaires par les produits pédagogiques et les partenariats. Il s’intéresse ainsi au jeune public captif et réceptif que représentent les classes.
Les marques offrent des kits pédagogiques avec une certaine discrétion dans leurs logos pour ne pas perturber l’enseignant, mais avec une image, une graphie suffisamment reconnaissable par l’élève imprégné des spots publicitaires à domicile. Ces entreprises profitent du manque de moyens des classes pour s’y installer.
Des sites internet proposent aux enseignants ces produits pédagogiques gratuits couvrant les domaines du programme. Certains apparaissent même comme « partenaires de l’éducation nationale ».
Et dernièrement, en novembre 2015, l’éducation nationale n’a pas hésité à signer un partenariat avec Microsoft qui lui permettra d’être au premier rang des fournisseurs du plan numérique à venir.
Des accords-cadres et des conventions (1) sont établis avec des grandes entreprises et le MEDEF pour faciliter la connaissance des métiers et l’orientation des élèves. Des semaines « Ecole-Entreprises », « Semaine de l’industrie », pour développer l’esprit d’entreprendre jalonnent les années scolaires.
Vouloir connaître et faire connaître le monde économique aux enfants et aux jeunes est une bonne initiative, mais il faut être vigilant pour que la formation à l’entreprise et ses métiers ne devienne pas un formatage du bon travailleur…

Et la résistance à cette machine médiatique libérale ?
Je vois trois niveaux.
Le premier se situe dans les fondements mêmes de l’éducation qui offrirait à chaque élève :
– de vivre des situations de vie coopérative, d’altérité et de fraternité ;
– des espaces et des temps suffisamment authentiques pour résister au spectaculaire et à l’instantané ;
– des espaces de parole où l’on prend le temps d’entrer dans la pensée de l’autre, où l’argumentation, le discours se nourrissent de langages ;
– des situations d’apprentissages qui sont de véritables constructions ;
– des situations de créations d’œuvres de communication et d’expression.

Le deuxième niveau serait de donner les outils nécessaires aux enfants et aux jeunes pour qu’ils désacralisent les médias et qu’ils séparent le voir su savoir, le voir du comprendre :
– en réalisant eux-mêmes des journaux scolaires, des vidéos, des documentaires, des films, des blogs ;
– en développant l’esprit critique ;
– en faisant émerger la manipulation de certaines images et de certains messages, mais en se gardant bien de tomber à notre tour dans le slogan simpliste « tous menteurs ! » qui serait une porte ouverte à la condamnation du politique en soi.

Le troisième niveau serait de conscientiser les acteurs de l’éducation pour qu’ils refusent l’utilisation de produits pédagogiques offerts par des entreprises et de trouver d’autres alternatives aux propositions commerciales : mutualisation des expériences, coformation, espaces d’échanges de savoirs et de matériel au sein des établissements scolaires, mobilisations collectives (syndicats et associations) sur les abus des partenariats…

C’est ainsi que nous éducateurs, pourrions enrayer cette machine infernale de la marchandisation humaine.

(1) http://www.education.gouv.fr/cid56432/les-partenaires-du-monde-professionnel.html

2 Comments

  1. Penet Marie-Françoise

    La force médiatique au cœur de la société
    Je suis tout à fait d’accord avec toi Catherine mais il y a du travail pour arriver à faire bouger les “professeurs d’école” actuels qui sont davantage des “consommateurs” que des consom’acteurs et toute la société chante la même chanson sauf quelques rebelles bien minoritaires malheureusement. Toutefois tu as parfaitement raison d’enfoncer le clou cela finira peut-être par faire de l’effet bon courage et bonne chance à tous ! Une retraitée freinetiste qui ne rate pas une occasion de vous lire !

    • pascale

      La force médiatique au cœur de la société
      Merci beaucoup pour ce message et les pistes que tu ouvres, qui sont très intéressantes !
      L’éducation à l’image est un vrai enjeu et je pense que l’on devrait donner les clefs minimum comme savoir ce qu’est un film, un documentaire, un dessin animé, un spot de pub, une information etc …un peu comme l’on fait dès la maternelle avec les livres …
      Un organisme qui lutte contre l’entrée de la pub dans les écoles “résistance à l’agression publicitaire” et qui ont des billes, je pense … J’ai eu la chance de suivre des cours d’ analyse d’image de pub et cela a été déterminant pour moi.

      Personnellement, c’est un prof de lycée qui a fait tilt un jour dans mes oreilles en faisant référence à une pub de l’époque et en disant que sans doute, même lui, avait du se faire avoir et acheter ce produit parce que c’est comme ça que marche la pub. Peut-être prendre conscience de sa force d’imprégnation (vous savez, la petite musique et “le soleil vient de se lever, encore une belle journée avec … l’ami Ricoré !”, ce genre de pub qui parle tout de suite (selon les générations bien sûr)) et une petite enquête bien concrète sur combien coûte 20 secondes de pub sur une chaîne… C’est ce deuxième élément personnellement qui m’a secoué et m’a sensibilisé à ce gros problème … parce que si une entreprise paye autant et le laisse, ce spot, c’est que ça fait vendre… et combien de yaourts vendus en plus pour payer ces milliers d’euros de pub …
      La force de la pub est de faire croire qu’elle n’en a pas sur les individus.
      C’est un bien beau défit que de donner à lire, à découvrir toute cette mécanique aux enfants. Et une fois découverte …

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