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La famille ça s’enseigne !

Jean-Yves Mas nous a signalé cet intéressant billet publié sur son blog (Médiapart)

Mariage pour tous, G.P.A. (Gestation Pour Autrui), P.M.A. (Procréation Médicalement Assistée), théorie du genre, P.A.C.S., homo-parentalité, droits des beaux-parents, transmission du nom de famille par la mère… ces derniers temps le champ lexical concernant l’institution familiale ne cesse de s’enrichir. Ces nouveaux termes – même si la plupart existent il est vrai depuis longtemps- viennent s’ajouter à des concepts déjà anciens apparus dans les précédentes décennies, comme ceux de familles recomposées ou de familles mono-parentales. La famille fait en effet la une de l’actualité « sociétale » en raison des nombreuses mutations qui la touchent. Face à ces mutations, de nombreux jeunes se sentent un peu perplexes et parfois démunis parce qu’ils n’y comprennent souvent pas grand chose ;or on le sait, la méconnaissance est un terrain fertile sur lequel se développent rumeurs et confusions. Face à cette situation, il existe un remède, qui ne soigne hélas pas tous les maux mais qui peut au moins limiter certaines dérives : ce remède, c’est l’enseignement !

La famille est en effet un objet d’étude privilégié pour les sciences sociales qui ont accumulé un certain nombre de connaissances à son sujet et pour des instituts comme l’ I.N.S.E.E. ou l’ I.N.E.D. qui publient régulièrement des enquêtes ou des statistiques sur son évolution. Mais la famille est aussi un thème que l’on peut aborder dans un cadre scolaire puisque l’étude des « mutations de la famille » était, jusqu’en 2010, inscrite dans les programmes officiels de S.E.S. ( Sciences Économiques et Sociales) en classe de seconde.

Cet enseignement permettait par exemple d’étudier les différentes formes de famille dans le monde ou les conséquences du déclin du mariage et de l’augmentation des divorces sur la structure des ménages en France. Mais l’étude de la famille était aussi l’occasion d’ évoquer des questions comme l’évolution des relations familiales, la formation des couples, le choix du conjoint, la prégnance de l’homogamie, la répartition inégale des tâches ménagères, la remise en cause du patriarcat ou l’évolution de l’exercice de l’autorité parentale. Enfin l’étude de la famille permettait aussi de mettre en avant son rôle dans la socialisation des enfants et sa contribution à la construction des identités de genre (thème qui est resté au programme).

L’objectif de ce cours était notamment de montrer aux élèves que si la famille conjugale monogame et hétérosexuelle, mais aussi patriarcale, est bien le modèle familial le plus fréquent dans les sociétés contemporaines, l’expérience ethnologique montre que ce modèle souffre de nombreuses exceptions : dans certaines sociétés primitives, les familles peuvent être polygynes ou polyandriques, matri ou patri-linéaire, viri, matri ou même nato-locale. Il existe aussi en matière familiale des exemples plus étonnants : certaines sociétés autorisent le mariage légal entre femmes (chez les Nuers une femme stérile est considérée comme un homme et peut donc épouser une autre femme) et le mariage fantôme (toujours chez les Nuers, une femme peut épouser à titre posthume un homme mort sans descendance), il existe aussi des familles sans père chez les Nas en Chine. L’ethnologie montre que si la famille peut être considérée comme une institution naturelle au sens où elle est présente dans pratiquement toutes les sociétés humaines, l’extrême diversité de ses formes en fait surtout une institution « culturelle », ce qui signifie que sa formation obéit à des normes et à des règles qui ne sont pas forcément toujours et partout les mêmes. Il n’existe donc pas un seul et unique modèle familial « naturel » et immuable (voir à ce propos l’article du 24/12/1975 de Françoise Héritier sur “Les mille et une formes de famille”).

Aborder ces problématiques dans un cadre scolaire permettait de relativiser les discours catastrophistes sur la crise de la famille et de montrer que l’institution familiale est davantage en mutation qu’en déclin. Cet enseignement avait aussi des effets réflexifs car il permettait à nos élèves d’objectiver leur propre expérience familiale. Il s’agissait, conformément aux principes de l’enseignement laïque d’aborder la famille à partir de l’observation des faits et non, comme c’est trop souvent le cas dans les débats contemporains, à travers des jugements de valeurs ou des principes normatifs. Nous nous permettons d’ajouter que l’étude de la famille ne renvoie pas uniquement à des enjeux épistémiques, mais qu’elle comporte aussi des enjeux éthiques : l’étude de familles différentes ou atypiques, si elle suscitait parfois l’étonnement et la curiosité de nos élèves, favorisait aussi leur ouverture d’esprit et la prise de conscience de leur tendance à l’ethnocentrisme, elle était donc un facteur de tolérance. Au final l’étude de la famille était un thème riche qui provoquait un vif intérêt de la part de nos élèves. Cela n’a évidemment rien d’étonnant, puisque la famille, que ce soit celle d’origine ou celle qu’ils seront un jour amenés à fonder, est bien une des préoccupations majeures de la jeunesse d’aujourd’hui.

Or, aborder ces questions dans un cadre scolaire, n’est désormais plus possible puisque lors de la réforme du lycée en 2010 le précédent gouvernement a retiré des programmes de SES le chapitre concernant les mutations de la famille. Voilà pourquoi, si on veut lutter contre l’intolérance, il faut donner aux citoyens de demain des repères afin de les aider à mieux comprendre les mutations de l’institution familiale. Réintroduire l’étude de la famille dans les programmes de SES de seconde pourrait contribuer à cet objectif, car « la famille » , au même titre que la religion, la politique ou la sexualité, « ça s’enseigne » !

Jean-Yves Mas (professeur de SES )

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