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La communication électronique, c’était il y a… trente ans !

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Article paru dans l’EPI – 1992

Ce texte a été écrit au moment où INTERNET n’était pas encore popularisé. Mais, depuis 1983 des écoles et des éducateurs, essentiellement Freinet, s’étaient déjà emparé du MINITEL. Un extraordinaire réseau naissait, d’abord sur les serveurs du conseil général de la Vienne et celui du CNRS (Isle d’Albot), puis sur le serveur ce la ville de Châtellerault (ACTI) ensuite sur celui du rectorat de Nice (EDUCAZUR), puis sur le 3614-MARELLE et il perdure sur INTERNET. Cet article est presqu’encore… d’actualité ! Il suffit de remplacer télématique et minitel par internet, twitter ou autres facebook !

Un problème, et j’ai bien envie de dire LE problème, s’est posé dès les premières tentatives d’introduction de l’informatique dans l’Ecole : Que faire lorsqu’il n’y a pas un appareil par enfant ? Problème peu abordé ou pudiquement ignoré : « Prenez votre ordinateur page …» (le rêve de beaucoup aujourd’hui, c’est que chaque élève ait un portable remplaçant tous les manuels ! Seul le poids du cartable y gagnera ! (Note de 2013 !) .

Jusqu’à ces dernières années, toute l’école fonctionnait, sauf quelques exceptions, selon ce schéma que l’on trouvera quelque peu simpliste dans quelques décennies. L’invention du nano-réseau [[ Dans une salle, un ordinateur T07 servait de serveur à 6 autres machines qu’il faisait fonctionner simultanément]] a permis de faire l’autruche pendant quelque temps encore : en mettant deux enfants par machine, on arrivait à faire fonctionner au moins une demi-classe simultanément ! Et plus l’école était grosse, plus on pouvait arriver à la classe presque entière, tant pis si on ne pouvait pas aller très souvent dans le lieu saint !

La disparition des TO7 et l’arrivée de PC a reposé LE problème avec encore plus d’acuité, d’autant que la volonté est cette fois affirmée : un ou 2 PC parc classe. Plus question de « faire travailler» même une demi-classe simultanément ! D’autant que l’accent est mis sur les traitements de textes, PAO, télématique et autres outils… professionnels ! Le problème était d’ailleurs posé en même temps que ceux embarrassants des cycles, de la pédagogie différenciée [[Loi d’orientation de 1989]].

Bref, bien au delà de l’introduction de l’informatique, bien au delà d’une simple initiation, c’est la conception même de la classe, de sa structure, des apprentissages et des pratiques qui était mise en cause. On peut regretter que cet aspect n’ait pas été d’emblée montré comme essentiel. Peut-être l’introduction d’un outil aurait-elle permis (et peut-être le permettra-t-elle encore) ce qu’aucune réforme n’a encore réussi : provoquer une mise en route de transformations profondes. Approche systémique contre approche analytique !

La télématique, petite sœur de l’informatique, a elle aussi porté des espoirs insensés, en particulier avec les expériences du Vélizy (ASPASI) de 83 à 87. Dès 1983 et surtout en 1985 fleurissaient un nombre impressionnant de serveurs : CRDP, Académies, Rectorats, Conseils Généraux, Villes, ou serveurs associatifs… Pratiquement tous mis généreusement à disposition des écoles. Pour la première fois de son histoire, l’école « collait » à la société. Des équipes de « spécialistes » s’investissaient dans la conception de magazines. Quelques IEN créaient des « réseaux d’écoles »… Chacun sait ce qu’il en est advenu dans la majorité des cas. Messageries désespérément vides, journaux cycliques de moins en moins alimentés, de moins en moins renouvelés, pratiquement non consultés. De nombreux serveurs de ville ou de conseils généraux ou associatifs s’éteignaient définitivement.

Et pourtant… ! Et pourtant, depuis 1983, il existe un certain nombre de classes ou d’écoles qui, depuis le début et dans une discrétion presque totale, ont fait un usage intensif de la télématique, comme d’ailleurs de l’informatique, de la vidéo et, depuis 89, de la télécopie ! Ce n’est pas un hasard et l’étude de leur fonctionnement et de leur réussite, démontre bien qu’il y a, comme pour l’informatique, une « problématique pédagogique » que l’on ne peut plus continuer d’ignorer.

La télématique est sans aucune ambigüité liée à la communication. Au premier abord cela a semblé plus simple et plus facilement maîtrisable que l’ensemble de l’informatique : un seul appareil (minitel ou ordinateur) mais pour une communication pouvant s’adresser à l’ensemble. On se retrouvait dans une situation apparemment plus classique. Il semblait bien que l’on allait pouvoir s’en servir sans trop toucher au reste de la pédagogie et en conservant la structure pédagogique habituelle des classes. On avait oublié un point capital : LA COMMUNICATION et que la télématique ne pouvait servir à rien d’autre qu’à communiquer ! Cette évidence n’en est pas une : on va s’apercevoir que la communication, y compris et surtout dans un groupe classe, n’existe pas par la magie d’un exercice, d’une programmation dans un emploi du temps ou par l’introduction d’un appareil, mais qu’elle implique une structure, la même que celle qui fait qu’un système quelconque est vivant, et qu’elle a des conséquences sur cette structure même.

Je ne parlerai pas de la consultation des différents services, banques de données… consultation qui n’implique pas de grands bouleversements. A noter cependant que celle-ci est loin d’être généralisée et les CDI qui utilisent le minitel sont je crois rarissimes.

Je ne parlerai pas non plus de la messagerie télématique en temps réel. Si elle a souvent été l’objet des premières expériences télématiques ou si elle permet encore des expériences intéressantes d’EXL100 à EXL100 [[Ordinateur qui permettaient la communication directe d’ordinateurs à ordinateurs reliés par les lignes téléphoniques]] ou de PC à PC (transmission de fichiers, jeux de déblocage de l’expression et de la créativité,…), dans une relation duelle directe et classique, elle n’a qu’un intérêt très relatif, téléphone ou tout simplement courrier ou encore télécopieur étant bien plus pratiques.

LA MESSAGERIE EN TEMPS DIFFERE ET LES RESEAUX.

Il s’agit, dans mon propos, de l’utilisation de la messagerie en temps plus ou moins différé dans un ensemble de classes que l’on appelle réseau. Je n’aborderai pas non plus ici les magazines et journaux télématiques (consultation et production) qui, bien qu’inclus eux aussi dans la problématique des réseaux, demandent à eux seuls un article complet [[Voir dans mes différents ouvrages, en particulier dans la « fabuleuse aventure de la communication »]] .

La télématique : technologie liant informatique et communication, permettant de transmettre une information écrite (messages), simultanément à plusieurs destinataires. C’est parce qu’elle permet à chacun de constituer des listes de diffusion et de communiquer la même information à de nombreux interlocuteurs qui peuvent en faire de même, que la télématique est réellement le premier média révolutionnaire. C’est là que commencent les vrais problèmes.

– L’information

Un message ne peut transmettre qu’une information ou faire appel à une information. Cela a l’air d’une lapalissade ! Pour qu’il transmette une information, il faut que le groupe qui utilise une messagerie, soit ait besoin d’informations produites par d’autres groupes, soit qu’il produise lui-même des informations.

Or, pour que des informations soient produites, il est indispensable que ce groupe ait une vie réelle, c’est à dire une activité induite par la réalité de chacun de ses membres, par la perception de l’environnement par le groupe et ses membres, par la pénétration de cet environnement (qui n’est que masse d’informations) dans le groupe lui-même et par la circulation des informations entre ses membres. C’est de par cette circulation des infos que se construisent et évoluent les langages de chacun.

Plus clairement, cela veut dire qu’une classe fonctionnant de manière traditionnelle ne produit et ne peut produire aucune information réelle, pouvant être transmise par l’intermédiaire d’un outil quelconque à un ensemble d’autres classes. Il ne s’agit pas d’assertion gratuite : toutes les classes ayant une organisation magistrale ou trop magistrale n’ont pu s’impliquer dans les réseaux télématiques, d’une part parce que les informations produites par la classe étaient, soit trop rares, soit d’un type trop scolaire ne provoquant aucune ou peu de réactions des autres, soit parce que les informations en provenance des autres ne pouvaient être prise en compte dans l’activité même de la classe.

On peut dire d’ailleurs que ce qui caractérise l’activité d’une classe à la structure classique est qu’elle est pratiquement entièrement induite, organisée, contrôlée par le maître lui-même. Les informations qui y circulent soit émanent du maître ou des outils dont ce dernier dispose (livres scolaires, fichiers), soit sont filtrées par lui-même et redistribuées (ou recherchées) au moment qu’il juge le plus adéquat par rapport à ses projets, ses objectifs ou son programme. Mais elle ne produit pas d’informations et celles utilisées passent par le maître… et les messages ne s’adressent pas au maître.

« Yann a vu passer un vol d’une cinquantaine de grues hier à 18H30. Qui en a vu ? Nous faisons une enquête sur leur passage ». Message devenu un grand classique, il avait abouti, à l’époque (84-85) à une enquête faite à plusieurs classes en temps réel, à des relations avec le groupe ornithologique des oiseux migrateurs, à de multiples autres interrelations non prévues… Ce simple message impliquait :

* que l’information « passage des grues » ait pu être transmise par un enfant au groupe classe, donc que la structure de la classe permettait déjà l’entrée d’informations extérieures et leur inclusion immédiate dans l’activité générale (entretien, plan de travail, observations, recherches …) ;

* qu’une décision avait été prise quant à la projection de l’information vers l’extérieur et qu’on en attendait quelque chose (appel à d’autres informations, réactions) ;

* que ces retours d’informations pouvaient être pris en compte s’ils arrivaient mais qu’il était impossible de les prévoir, et ceci est capital pour comprendre notre problématique, j’y reviendrai ;

* que d’autres classes allaient, éventuellement, pouvoir utiliser dans l’immédiat cette information qui n’aurait eu que peut d’intérêt si elle était retardée.

Ce qui veut dire que cette notion d’information, celle de sa circulation à l’intérieur du groupe comme entre plusieurs groupes, ont une importance primordiale dans les processus d’apprentissages des langages (oraux, écrits, mathématiques, scientifiques ..), donc dans la pratique pédagogique. Primordial dans son sens étymologique : « qui est à l’origine ». Ce qui veut dire encore que les information, en provenance aussi bien des individus, que de l’environnement, que d’autres groupes, et leur circulation dans la classe, vont devoir être considérées comme au moins aussi importantes que les activités pensées et organisées par le maître en fonction de ses objectifs et devront, de plus en plus fréquemment, pouvoir les supplanter. Ce qui suppose une remise en cause bien plus grande qu’il n’y parait, non seulement des pratiques, mais aussi de la structure pédagogique même de la classe.

La messagerie télématique est obligatoirement liée à l’apparition du « non-scolaire ». Lorsqu’il ne s’agit que d’une information de temps en temps, une structure classique le tolère. Par exemple, un seul « entretien » par semaine limite cette entrée non contrôlée. Mais dès l’instant où elles vont pouvoir pénétrer quotidiennement dans la classe, elles vont provoquer un tel chambardement que, soit les structures habituelles vont imploser et c’est l’échec, ou se modifier et la notion de réseau devient alors possible, soit les infos vont être refusées et la télématique abandonnée.

– L’interaction

On a parfois comparé la télématique au journal scolaire et beaucoup s’y engagent d’ailleurs un peu comme dans la réalisation de ce dernier. Cela serait possible si le JS était le média qu’il a été… il y a près de 70 ans ou qu’il est encore pour les quelques hebdomadaires qui circulent justement dans des réseaux et dont la fonction est bien de s’adresser à d’autres, parfaitement déterminés, et dont on attend des réactions aux informations que ce journal leur transmet; de la même façon que le leur transmet des informations qui aboutissent à une meilleure connaissance d’eux-mêmes (re-connaissance), donc à faciliter des relations plus intenses.

Mais telle n’est pas la fonction de l’immense majorité des journaux scolaires qui sont une fin en eux-mêmes : toute information qui s’y trouve y termine son parcours. Tout au plus son auteur y trouvera ainsi la justification et la valorisation de sa production. Le JS tentera d’être la fameuse « motivation», véritable pierre philosophale recherchée désespérément par tous les éducateurs d’aujourd’hui. Cependant cette justification reste trop factice pour entraîner de véritables processus d’apprentissages, tout au moins en ce qui concerne l’ensemble des élèves.

Mais aussi, réduit à un recueil de textes peu lus par d’autres ou lus d’une façon passive, il permet à la structure classique de la classe de persister, l’activité « journal» pouvant être programmée, organisée, maîtrisée, sa publication n’entraînant pratiquement aucune conséquence à posteriori.

Il est impossible de concevoir l’utilisation de la télématique dans cette perspective. Obligatoirement, il s’agit d’informations qui vont être adressées à d’autres dont on sera même presque certains qu’ils les liront (dans le cas de la messagerie). Un message n’est donc pas une fin en soi, comme la presque totalité des écrits habituels de l’école, mais soit un simple état passager d’une information, soit le début d’une série de transformations et de rebondissements de l’information émise en même temps que l’évolution des enfants transmetteurs et récepteurs. C’est à dire qu’immanquablement l’information que porte l’écrit télématique va revenir, modifiée ou différente, pour devoir être à nouveau reprise dans d’autres activités, transformée par d’autres écrits, d’autres langages, être à nouveau projetée vers d’autres sur peut-être d’autres supports.

Autrement dit, la diffusion d’une information via la télématique va faire perdurer dans le temps et d’une façon toujours non prévisible sa transformation et surtout sa complexification par le groupe qui l’a émise.

Autrement dit encore, va être perdue l’habitude, pour le maître surtout, de cerner à l’avance les implications de telle ou telle utilisation de l’information et d’en fixer les limites (programmation).

Un exemple très connu dans le petit monde des réseaux a été par exemple le message envoyé par la classe unique de Moussac (86), à la suite de la lecture d’un hebdo en provenance d’une école de la Réunion qui relatait la visite à un navire océanographique : « Qui peut nous dire comment écrire à un marin sur son navire » . Message envoyé en avril 86, qui obtenait une réponse en septembre 86 d’une autre classe unique bretonne : « si vous êtes toujours intéressés pour écrire à des marins, on en connaît un qui part sur la Calypso », ce qui a abouti à une extraordinaire aventure épistolaire entre une poignée de petits campagnards et la Calypso, aventure qui a rebondi dans tout le réseau jusqu’à une école italienne par l’intermédiaire des magazines télématiques et d’un journal scolaire [[Voir dans « La fabuleuse aventure de la communication]].

Dans la problématique télématique il faut donc intégrer dans la conduite de la classe les éventuels rebondissements de l’information. Pour cela la mémoire du groupe va devenir indispensable, ces rebondissements ne se faisant pas obligatoirement dans l’immédiat. Les exemples sont innombrables dans nos 9 années d’expérience (texte écrit en 1992). On sait depuis longtemps que tous les apprentissages s’inscrivent dans le temps et dans l’histoire personnelle de chacun. Ils s’inscrivent également dans l’histoire du groupe. L’usage de la télématique dans un réseau de classes impose de tenir compte de ce phénomène et de prévoir des structures le favorisant (archivage, accès aux infos, liaison entre toutes les activités…). Il va falloir même envisager que la vie du groupe dure plus d’une année. Les classes qui ont le mieux intégré l’usage des messageries sont les classes uniques ou à plusieurs cours. Ce phénomène est significatif et particulièrement intéressant dans la perspective des cycles [[Loi d’orientation de 1989]].

Mais aussi, cette structure ne pouvant se créer qu’au fur et à mesure que les informations vont entrer et circuler dans le groupe, qu’au fur et à mesure qu’elles vont provoquer actions et rebondissements, elle ne pourra être mise en place à priori et d’une façon définitive mais devra évoluer suivant le flux des informations reçues et leur impact. Ce simple fait remet en cause de façon parfois radicale bon nombre de pratiques pédagogiques : tout n’est pas forcément en place, prévu et programmé dès le début.

A contrario, si les informations émises par une classe ne provoquent aucune et jamais de réactions, très rapidement elle cessera d’émettre. Un message télématique n’a aucun intérêt en lui-même, comme on peut l’accorder à une rédaction, à un exercice, à un texte. Il n’a d’intérêt QUE s’il est lu et si l’on a un retour visible des conséquences de sa lecture. C’est ce qui en fait d’ailleurs son intérêt… et renverse bon nombre d’idées !

– La constitution de réseaux.

Information et interaction étant les deux « maitres-mots » de notre problématique, il est bien évident, et cela n’a échappé à personne, que l’outil télématique est lié à un groupe (de classes ou d’individus), que l’on a appelé tout naturellement réseau. Il faut être plusieurs. Mais cela ne suffit pas : il faut qu’il y ait quelque chance que des informations circulent entre ces éléments du futur réseau. La façon dont il se constitue va conditionner d’emblée ses chances de fonctionnement.

Nombreux ont été ceux impulsés par un IEN, un conseiller pédagogique, un instituteur détaché. Ils étaient caractérisés par une proximité géographique et une mise en place plus ou moins analytique (PAE, projet d’école..). L’important et le difficile semblaient être d’abord le problème technologique (usage des cartes MODEM et logiciels de communication). Très peu se sont préoccupés des structures des classes que l’on mettait ainsi ensemble. Le « contenu » du réseau était presque prévu. Parfois, un but précis était assigné à l’usage de l’outil télématique : réalisation de contes, gestion d’un journal commun interclasses, défi mathématique… D’une façon générale ces réseaux ont eu très peu de vie et très peu d’impact sur la pédagogie de la classe. Leur effet même sur la production de l’écrit et sa motivation a été souvent réduit, voire nul. D’où la tendance à jeter l’outil comme inutile !

Le réseau de près de 300 classes qui s’est développé sur ACTI (serveur de la ville de Châtellerault) et qui continue actuellement sur 3614-MARELLE et INTERNET s’est développé selon une approche que l’on qualifierait aujourd’hui de systémique. Ce n’est que progressivement que l’on a abouti à un vaste système ou plutôt à un ensemble de systèmes fonctionnant chacun avec des caractéristiques non prévues au départ. Il n’est pas lié à un serveur particulier puisqu’il a successivement et parfois simultanément utilisé : le serveur COMX (résultat de travaux de l’Université d’Aix en Provence), puis celui du Conseil Général de la Vienne et celui du CNRS de l’Isle d’Albot (TRAFIC), puis celui de Châtellerault (ACTI) puis celui du rectorat de Nice (EDUCAZUR) et enfin MARELLE (serveur des CREPSC). Si j’ajoute que quelques-uns de ses éléments (St-Simon de Bordes, Les Salles, Bollène, Moussac, ….) ont en même temps utilisé leur propre mini-serveur ou des serveurs locaux, on voit que les réseaux ne sont pas forcément liés à UN outil.

Mais sa caractéristique essentielle est qu’il a démarré avec quelques classes seulement ayant déjà une structure permettant la circulation de l’information et prête à évoluer. Et ce n’est que peu à peu qu’il s’est construit, que les structures des uns ou des autres ont évolué, qu’il a grandi. Et s’il a atteint et si certaines des classes le composant ont atteint, à certains moments, une très grande complexité et une véritable sophistication pédagogique, cela ne s’est fait que peu à peu et suivant un cheminement et un rythme absolument non prévisible. La plupart de ses participants considéraient d’ailleurs que ce cheminement était par lui-même facteur favorisant des apprentissages.

Aussi contradictoire que cela paraisse, la constitution de réseaux utilisant la télématique se réalise au fur et à mesure de leur vécu, quelle que soit la façon dont ils ont été mis en route. Ils ne sont jamais semblables, ni entre eux, ni dans le temps, et leur évolution pratiquement jamais prévisible. Ils peuvent croître, se stabiliser, décroître. Ce phénomène doit être intégré et accepté. C’est une habitude qui n’est pas encore courante dans l’Education Nationale où projets et objectifs définissent à l’avance le cadre, l’évolution prévisible et le stade final à atteindre. L’outil télématique, dans la mesure où il sert à permettre la circulation de l’information, va au contraire déstabiliser d’abord pour provoquer ensuite une restructuration mais progressive et parfois inattendue.

– L’imprévisibilité quotidienne

C’est je crois un des points qui inquiète le plus le monde enseignant. Et dans le cas de l’usage d’une messagerie télématique dans un réseau, impossible de prévoir ni la quantité, ni le contenu, ni la force d’impact sur le groupe, ni les conséquences immédiates sur l’activité de l’ensemble ou partie de la classe, des informations qui vont arriver quotidiennement via le minitel. Il va falloir donc que la structure et la pratique s’adaptent peu à peu à cette imprévisibilité, à une trop grande quantité d’informations… comme à leur absence. Il est évident que toute information non prévue et prise en compte par la classe bouleversera l’ordonnancement général et nécessitera une réorganisation sinon permanente tout au moins fréquente.

Arriver le matin sans savoir ce qui va peut-être se passer dans la journée, prévoir une structure qui pourra permettre à cet imprévisible de s’insérer harmonieusement dans d’autres activités programmées et préparées ou de les perturber, le considérer comme tout aussi important pour les processus d’apprentissages que l’activité traditionnelle, voilà induite une autre transformation profonde des pratiques qu’il va falloir accepter.

– L’alimentation d’une messagerie

Un des problèmes les plus simples qui a fait échouer bon nombre de réseaux est celui de son alimentation. Une messagerie doit être consultée quotidiennement. Le faire une seule fois par semaine n’a pas d’intérêt puisque disparaitrait son intérêt majeur : réduction maximum du temps entre l’émission et la réception. Au niveau des représentations mentales des enfants, ce fait est très important de même qu’au niveau de la dynamique du réseau.

Or, au bout de quelques consultations d’une boite aux lettres vide, la consultation est abandonnée. De même, au bout d’un certain nombre de non-réactions ou de non-réponses à ses messages, l’émetteur cesse d’émettre. Ce qui fait que parfois, le réseau pourtant bien « préparé »… n’a même jamais démarré !

C’est pour cela qu’il est indispensable que, pendant un « certain temps » comme aurait dit Fernand Reynaud, quelques éléments du réseau, sciemment, assurent cette alimentation, même s’il n’y en a pas un retour immédiat. Il s’agit en quelque sorte de l’apport de l’énergie initiale qui sera tout d’abord perdue pour ceux qui l’apporteront, mais qui permettra la mise en route du système. Sans cet apport initial, aucun réseau ne peut démarrer. Par la suite, il produira lui-même sa propre énergie (messages, réactions) et sa propre dynamique. On retrouve d’ailleurs dans son développement tous les phénomènes d’entropie, de feedbak… mis à jour dans l’étude des systèmes.

Si la participation à un réseau télématique implique que des informations soient diffusées, donc que les classes produisent de l’information, cette diffusion peut être très est inégale suivant chaque classe ou suivant les moments. On a vu ainsi des classes n’ayant jamais émis une seule info, protester fortement au moment où l’on a voulu fermer leur boite aux lettres la croyant inutilisées : elles « vivaient» littéralement des informations des autres, mais n’avaient pas encore atteint le degré d’évolution où elles allaient pouvoir projeter leurs propres informations. C’est souvent le cas de la majorité des classes lorsqu’un réseau démarre, d’où la nécessité absolue de quelques « apporteurs d’énergie ».

– Le problème du choix

On peut dire que l’usage d’une messagerie télématique n’a plus grand chose à voir avec la correspondance telle on a l’habitude de la concevoir à l’école. Tout ce qui précède le démontre. Ce n’est pas UNE activité, mais cela concerne TOUTE L’ACTIVITE de la classe. J’ai écrit par ailleurs que cela correspondait à l’extension des systèmes vivants. Dans la correspondance classique, une information (lettre) appelle presque obligatoirement à réponse. Je t’écris, puis j’attends que tu m’écrives ! Dans le cadre d’un réseau télématique cette conception rigide n’existe plus. Les réactions vont dépendre de la formulation des infos, de la vie du groupe ou des individus au moment où ils la reçoivent, de leurs intérêts, de leurs possibilités.

C’est à dire que l’on n’est jamais sûr d’obtenir une réaction ou LA réaction que l’on attend. De même il n’y a plus obligation de réaction. Nous sortons résolument de l’attitude scolaire : seule la vie (activité) du groupe ou des individus va motiver la réaction.

Pédagogiquement cela veut dire que les pratiques devront impliquer l’éducation au CHOIX. Réponse OU NON-REPONSES résulteront d’un choix, et ce choix ne sera plus celui du maître, même si celui-ci y est fortement impliqué.

– L’organisation de la lecture télématique

Un message télématique, encore plus une page vidéotex d’un magazine ou journal télématique, se lisent sur écran ! On le verra dans un autre article, l’écriture sur écran vidéotex répond maintenant à des règles de lisibilité qui ne sont plus du tout les mêmes que l’écriture sur papier. En particulier dans les magazines télématiques où on peut même parler de véritable littérature télématique. Il va falloir donc s’organiser pour que cette messagerie soit bien lue sur écran. Depuis la généralisation des PC, des cartes MODEM et des logiciels de communication, la capture de pages vidéotex permettant la lecture hors connexion ne posent plus trop de problèmes. Par contre, les utilisateurs vont vite se rendre compte

* qu’une lecture réelle, c’est à dire qui va obligatoirement avoir des conséquences sur la vie du groupe, n’est pas du tout évidente et va nécessiter un véritable apprentissage, même pour ceux que l’on prend pour des lecteurs avertis, y compris adultes,

* qu’une lecture collective n’est pas souvent la plus efficace… et il n’y a qu’un seul écran… encore des problèmes de structure !

* que généralement la discussion des infos contenues ne se fait pas toujours au moment de leur lecture.

Il va donc falloir intégrer ces nouveaux changements. Problème de structure.

– L’écrit télématique

Il y a deux sortes d’écrits télématiques, celui de la messagerie et celui des pages vidéotex de magazines. Ce sont tous les deux des écrits courts ayant de nouvelles caractéristiques, ce qui va obliger l’enfant et le maître à entrer dans de nouvelles formes de l’écrit, et même, lorsqu’il s’agira des pages magazines, dans une nouvelle syntaxe encore non enseignée dans les livres de grammaire ou de rédaction, j’y reviens longuement par ailleurs. [[Il s’agissait du minitel qui imposait d’autres contraintes]]

– L’interpénétration des médias

Beaucoup ont parfois cru que, dans un réseau télématique, il s’agissait uniquement d’essayer d’échanger quelques messages avec le minitel. Là encore on reste dans cette conception très classique de l’école découpée en activités. Il s’agissait en quelque sorte pour eux d’ajouter une activité à d’autres.

La télématique on l’a bien compris n’est pas une activité. Ce n’est qu’une technologie qui permet la mise en relation de plusieurs groupes. Et elle ne permet que la circulation d’informations relativement sommaires, tout au moins en ce qui concerne les messageries [[C’était encore l’époque du minitel]]. Ce qui implique obligatoirement que d’autres outils vont être utilisés en parallèle ou en complément : courrier, albums, téléphone, journaux, cassettes audio, vidéo… La télématique ne va constituer qu’un appareil circulatoire avec certaines spécificités (diffusion générale ou plus ciblée, interaction presque immédiate…). Il faudra absolument que les membres du réseau utilisent d’autres supports plus appropriés suivant les informations qu’ils voudront transmettre et le public à qui elles sont destinées : parfois il faudra répondre par un article sur le journal scolaire, ou par un album envoyé directement à ceux qui sollicitaient une réponse, ou une cassette vidéo sera mieux adaptée …. On voit les implications sur la pédagogie générale et la structure de la classe !

– Un nouvelle notion de responsabilité

Chaque fois que l’on va utiliser la télématique pour émettre dans un réseau, on va avoir une influence sur la vie même du réseau. Influence positive (apport) ou négative. Suivant les informations que l’on va émettre, suivant la façon dont on va les dispatcher, on va rendre la vie du réseau plus ou moins facile, on peut même l’engluer complètement et l’empêcher de fonctionner. Par exemple l’inonder de questions… dont on a la réponse dans son propre dictionnaire, dispatcher une réponse à des interlocuteurs qui n’ont pas eu le message initial etc…

Les autres médias ne comporte pas avec une telle acuité cette notion de responsabilité : seule la messagerie télématique impose l’obligation de lecture : un message ne peut être lu que si ceux qui le précèdent l’ont été aussi, la BAL devant être vidée régulièrement. Elle est intéressante sur le plan éducatif, mais aussi dans la compréhension même de la communication qui ne peut être sans une représentation de l’autre et des autres, qui n’a finalement d’autre but, en dehors de l’école, que de faire exister des groupes humains.

LES JOURNAUX ET MAGAZINES TELEMATIQUES (ancêtres des sites Web)

Ils sont une des pistes les plus riches de l’usage de la télématique… et probablement celle qui implique le plus de difficultés tant elle implique une conception de la communication qui n’a plus rien à voir à celle dont l’usage massif des médias unilatéraux (télévision en particulier) nous a habitué.

Ils posent problème quant à leur utilisation (production, lecture) mais aussi quant à leur écriture. Si l’écriture d’un message reste conforme à notre syntaxe habituelle, par contre il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’une page vidéotex. D’abord il y a des règles de lisibilité qu’il faut connaître et qui sont devenues incontournables. Ensuite ils s’insèrent toujours dans un ensemble (arborescence) qu’il est nécessaire de comprendre et de maitriser. Enfin ils nous emmènent dans un domaine de l’expression… où tout ou presque est encore à inventer. Je reviendrais plus longuement sur cette problématique particulière.

– Conclusion

Je n’ai pas voulu donner ici un « mode d’emploi » de la messagerie télématique, encore moins développer ses possibilités, toutes les pratiques qu’elle a favorisées, les expériences qu’elle a permises. J’ai simplement voulu montrer que son introduction n’était pas neutre, qu’il était même impossible qu’elle se fasse dans le cadre d’une pédagogie classique et que c’était même une des raisons essentielle à son échec dans de nombreux cas.

Pas plus que pour l’introduction d’une PAO, du LOGO, ou d’un télécopieur, ou d’un tableur … ou, autrefois, d’une imprimerie, il n’est possible de se contenter de l’analyser comme ayant une pédagogie particulière : c’est la totalité de la pédagogie qu’elle touche, c’est la structure même de la classe, la conception de la place et du rôle du maître, la mise en route des processus d’apprentissages… qu’elle va modifier, parfois bouleverser.

Je suis convaincu qu’un grand nombre de réticences, de refus ou d’échecs face à toutes les tentatives d’introduction des TNC tient, non pas à de soi-disant difficultés techniques, mais à l’impasse qui est faite sur la fantastique remise en cause qu’elles impliquent ou qu’elles vont engager. Croire que l’on va pouvoir les utiliser sans rien changer, ni dans les comportements, ni dans les structures de la classe, voire de l’école, dans la conception même de l’éducation, relève de la quadrature du cercle.

Bernard Collot, Juin 1992

J’ai abordé plus longuement le thème des TNC et des réseaux dans deux chapitres de « L’école de la simplexité » et dans « la fabuleuse aventure de la communication ».
http://pagesperso-orange.fr/b.collot/b.collot/livres.html

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