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La classe inversée, une révolution dans l’éducation ?

Le 3 et 4 Juillet 2015 s’est tenu à Paris, Lycée Montaigne, CLIC 2015. Ce premier congrès national de la classe inversée a rassemblé plus de 200 professeurs qui ont partagé leurs réflexions et expériences autour de cette nouvelle pratique, originaire d’Amérique du Nord, mais qui trouve cependant ses racines chez les tenants de l’Éducation Nouvelle.

Si la plupart de ces enseignants sont isolés dans leur expérimentation de la classe inversée, le congrès offre aussi l’occasion de se rencontrer à un noyau dur d’entre eux, déjà constitués en réseau sur Twitter, et qui sont heureux de mettre un visage sur un avatar et un pseudonyme.

Le principe initial de la classe inversée est déconcertant de simplicité : les cours à la maison et les devoirs/activités en classe. Les notions expliquées sont ainsi extériorisées de la classe, déposées sur des plate formes d’échange, le plus souvent sous formes de capsules vidéo. Concept simple mais qui, selon Héloïse Dufour, présidente d’Inversons la classe !, l’association organisatrice, «constitue une révolution dans l’éducation. La classe inversée n’est pas un dogme, mais un concept flexible qui offre une porte d’entrée accessible vers les pédagogies actives. C’est un levier pour transformer l’école en profondeur, et ce changement vient des praticiens eux-mêmes. C’est une révolution pacifique au sein de l’institution.»

La première invitée en plénière, Catherine Becchetti-Bizot, Directrice du Numérique au ministère de l’EN, tempère : «Je préfère le mot de métamorphose à celui de révolution», mais reconnaît : « les mouvements de fond comptent plus que les réformes, les grandes transformations viennent du terrain». Elle présente le rôle de la toute récente Direction du Numérique comme étant d’accompagner les nouvelles communautés d’enseignants. Et tout le monde ne peut qu’acquiescer quand elle déclare : «Ce n’est pas l’outil qui compte, mais le projet pédagogique”. Justement, en classe inversée, la pédagogie ne devient-elle pas trop dépendante des nouvelles technologies ? » «Non, les facteurs de motivation en classe inversée sont la relation privilégiée avec l’élève, la co-construction du savoir et l’individualisation,» selon Aurélie Stauder, professeure de lettres au lycée.

La quarantaine d’ateliers proposés sera l’occasion de démontrer qu’il y a autant de classes inversées que de professeurs renversés. Mais le point commun de beaucoup d’animateurs est le constat d’échec de l’enseignement traditionnel. Comme H. Benoît, directeur de l’UFR STAPS de Grenoble, qui, à l’appui de sondages effectués grâce à des boîtiers fournis aux étudiants en cours magistraux, annonce des résultats de décrochage de 60% au bout de 30 minutes. «Et au bout d’une heure, on fait cours pour 10% de l’amphithéâtre». Dans son université, le temps libéré grâce à l’e-learning est consacré à du tutorat, afin optimiser le temps de cours en présentiel.

Au gré des ateliers, on trouve des classes inversées 1° degré : avec une ressource en ligne accompagnée d’un questionnaire, ce qui permet d’individualiser en cours, en formant des groupes de besoin selon les résultats des QCM. On y croise la « classe inversée nomade » d’un professeur d’EPS, Julien Andriot, qui propose des capsules vidéo adaptées au niveau des élèves ; la « capsule mise en bouche » de Marie Soulié, qui éveille l’intérêt pour la notion ; la classe Freinet 2.0 d’Anne Andrist et de Pierre-Yves Aufranc, où la capsule vidéo est un outil qui vient s’ajouter aux techniques d’une Pédagogie Nouvelle numérique… Avec Annick Arsenault Carter, la classe inversée est un cheminement qui doit guider l’élève vers l’autonomie, à l’aide d’un plan de travail. La classe inversée s’adapte aussi aux évolutions du web, et devient même classe inversée 4.0, avec Virginie Marquet et Nathalie Fabien.

On y parle souvent de métacognition, lorsqu’il s’agit, par exemple de faire réaliser les ressources par les élèves eux-mêmes ou que l’on passe par la carte mentale. Et dans mon atelier « co-construction de capsules avec les élèves », je me réfère au Maître ignorant, de Jacques Rancière pour montrer que l’inversion se joue aussi dans la posture du professeur.

D’atelier en atelier, on voit la classe inversée se modeler selon les intervenants, se mouler selon les situations. Mais de tout ce bouillonnement d’idées et de pratiques, émerge toujours le désir commun de placer l’élève au cœur de ses apprentissages.

Une autre caractéristique de ce congrès est qu’il est collaboratif. Dans tous les sens du terme. C’est d’ailleurs le mot le plus employé pendant ces deux jours au Lycée Montaigne.

Collaboratif dans l’organisation d’abord, qui a consisté pour Inversons la classe ! à mettre en lien les praticiens, tout en jouant les équilibristes entre la volonté d’associer l’Institution, la nécessité de trouver des sponsors et le choix de proposer des prix d’inscription le moins cher possible (15 euros pour deux jours).

Collaboratif bien sûr, par les outils employés par les intervenants : plateformes numériques d’échange et réseaux sociaux ont une grande part dans la classe inversée, et en plus, ils permettent à ces praticiens de mutualiser les ressources.

Collaboratif aussi, dans les pratiques pédagogiques représentées à CLIC 2015, laissant toutes une large part à la coopération et l’activité. D’ailleurs, beaucoup d’intervenants voient en la classe inversée l’occasion de s’ouvrir aux pédagogies alternatives.

Collaboratif encore, dans le contenu d’ateliers axés sur l’échange d’expériences comme avec Fredéric Davignon et Christophe Le Guelvouit qui proposent d’apprendre à réaliser des capsules, ou comme Annick Arsenault Carter qui, en visioconférence du Québec, conseille sur la façon de préparer les parents au changement que constitue le passage en classe inversée.

Collaboratif surtout, par la place faite à la discussion dans les ateliers, et aussi par la proximité entre animateurs et participants. D’ailleurs « les grands noms »de la classe inversée, – qui la pratiquent depuis 3 ans déjà !- tels David Bouchillon, font preuve d’humilité : « À mes débuts, je demandais de prendre des notes devant des vidéos de 50 minutes : complètement irréaliste pour des 3° ! » Ou Olivier Quinet, qui, lorsqu’il se lance dans l’évaluation par ceintures de compétences, élabore une première grille d’évaluation, contenant plus de 50 critères ! Aucune expertise ici, rien que du tâtonnement expérimental. Pour Olivier Quinet : « Le changement, c’est tout le temps ! » On passe de l’autoformation à la formation par les pairs. Pour Marie-Camille Coudert, professeur de sciences physiques : « On est tous des professeurs-chercheurs ! » A CLIC 2015, la recherche et le questionnement sont permanents.

Collaboratif enfin, car on assiste, à l’heure du déjeuner, dans le patio du lycée Montaigne, sous la canicule, à la fédération des isolés, qui échangent leurs mails, leurs idées, et repartiront chacun dans son coin de France avec de nouveaux contacts, de nouveaux soutiens.

Chacun fait son miel de ces rencontres en se disant qu’il peut oser le changement. Et la métamorphose se réalise déjà.

Mais la Révolution ? Héloïse, tu n’as pas exagéré ?

« Il y a un dix-huit mois, les rectorats de l’Éducation Nationale ne savaient pas de quoi je parlais quand je leur téléphonais pour leur proposer des formations dans leur programme académiques. Et aujourd’hui, le congrès a dû refuser des inscriptions, faute de place. Pour CLIC 2016, on pourrait être mille ! » Tout cela devant un buste de Montaigne… Et si la classe inversée permettait de réaliser le programme éducatif de l’auteur des Essais, et de passer – enfin !- des vases qu’on remplit aux feux qu’on allume ? Une innovation vieille de plus de 400 ans…

5 Comments

  1. Albert Renard

    La classe inversée, une révolution dans l’éducation ?
    Sûrement pas une “révolution”! Mais une mode, sans nul doute. Pas la seule! En l’absence de perspectives, on se raccroche comme on peut, à des inventions qui n’en sont pas. Tout cela n’est pas rassurant : l’OCDE d’ailleurs applaudira des deux mains à la dernière Grande Réforme en date en vue de rendre aimable un libéralisme de l’esprit, qui essaiera de récupérer à son profit toutes les bonnes idées qui, naguère, allaient dans le sens de l’émancipation, et, en effet de l’espérance de révolution.

    Mais sûrement pas celle-ci : de nos jours, on gâche les mots. On l’a vu avec une “refondation” qui ne refondait rien du tout. On le verra dans ce nouveau dictionnaire des affadissements, sinon des inversions… du sens, sinon de classe.

    Les pédagogues véritables inventeurs se retournent dans leur tombe.

    A.R. (mésologiste – http://mesologiques.blog.fr/)

    • Héloïse Dufour

      La classe inversée, une révolution dans l’éducation ?
      Le terme révolution ne concerne pas l’innovation pédagogique que représente(rait) la classe inversée. Comme il est mentionné dans l’article, cette dernière s’appuie sur des concepts qui sont tout sauf nouveaux : la mise de l’élève au coeur de l’apprentissage, des outils tels que le travail en groupe, l’apprentissage par les pairs,

      La révolution vient du fait que ces pratiques, bien qu’elles aient une efficacité démontrée depuis longtemps, ne sont dans les fait que peu utilisées dans les classes. La lourdeur des programmes, les effectifs dans les classes rendent a priori difficiles la mise en oeuvre de pédagogies active, conceptuellement et pratiquement.

      La classe inversée propose un outil simple et flexible donc éminemment transférable qui offre une porte d’entrée à chacun pour effectuer une transition vers une plus grande différentiation. C’est pour cette raison qu’elle se diffuse comme une trainée de poudre.

      Pourquoi parler de mode alors que l’on est en train d’assister au début d’un changement profond, rapide et à grande échelle ?

  2. Annick Arsenault Carter

    La classe inversée, une révolution dans l’éducation ?
    N.B. Annick Arsenault Carter non du Québec mais du Nouveau-Brunswick, province à l’est du Canada.

  3. Jean Agnès

    La classe inversée, une révolution dans l’éducation ?
    Encore un beau sujet de débat… qu’il serait dommage d’esquiver, mais ce ne serait ni le premier ni le dernier.

    Je suis aujourd’hui “retiré”, et ai enseigné à tous niveaux : aurions-nous fait “de la classe inversée” sans le savoir ?

    Tant mieux si cette médiatisation apporte du frais : l’important philosophiquement reste de savoir quel est le sens de ce “mouvement”. Qui est à mettre en perspective avec le “sens de l’école” : celle que le libéralisme cherche à sauver s’accommode-t-elle de cette “révolution” ? Et pourquoi.

    J.A.

    http://www.phileduc.fr

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