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La « bourde du ministère », ou compétence et lutte des classes

Le jour de l’épreuve de philosophie du baccalauréat, le site du Figaro publiait un article titré « La bourde du ministère de l’Éducation nationale sur les sujets de philo du bac », accompagné d’un portrait de la ministre Vallaud-Belkacem légendé « Une édition 2016 qui commence mal… ».

De quoi s’agissait-il ? En fait, le ministère a envoyé aux journalistes les sujets de philosophie sortis la veille en Guyane, et a rectifié son envoi quelques minutes plus tard. Voilà ce que l’article n’hésite pas à qualifier d’« énorme bourde », et à considérer que de ce fait le bac « commence mal ».

On a déjà là une manipulation, puisque les épreuves du baccalauréat ne sont nullement concernées : les élèves ont reçu les bons sujets, il n’y a eu aucun problème. De même, la ministre n’est pas en cause : ce n’est pas elle qui envoie les sujets aux journalistes… Pourtant l’article va déclencher une avalanche de commentaires tous plus hargneux les uns que les autres, mettant en cause Vallaud-Belkacem, le gouvernement, la gauche, etc.

Sur les sites où la modération est faible, les commentaires virent facilement à l’ignoble, au racisme ou au complotisme. Sur le site de MSN, par exemple, qui reproduit l’article, on trouve très rapidement « Elle à [sic] confondu avec les sujet en arabe cette sale B…… », « une poufiasse arabe au ministère de l’éducation de nos enfants ! » ou « L’espionne du roi du Maroc est toujours aussi incompétente !!! ».

Mais ce qui domine, en particulier sur le site du Figaro, plus modéré, c’est l’accusation d’incompétence, mise à toutes les sauces : « Eh oui, l’incompétence ça finit par se voir. », « Il ne peuvent rien faire correctement. Quelle honte ce gouvernement. », « Tous les jours les socialistes français font la démonstration de leurs incompétences… », « Amateurisme ordinaire. », « A la base, l’erreur c’est d’avoir voté pour hollande qui a nommé des ministres plus incompétents les uns que les autres…! », et même, pour faire bonne mesure, « c’est l’une des innombrables manifestations d’incompétences inhérentes aux gouvernements français … ».

Cette accusation d’incompétence doit être analysée au fond. Au-delà de la hargne propre aux réseaux sociaux, elle représente dans le domaine politique un moyen pour délégitimer l’adversaire en évitant d’aborder, précisément, les aspects politiques.

Accuser un gouvernement d’incompétence est une démarche apolitique, voire antipolitique (*).

C’est en effet croire, pour les naïfs, ou faire croire, pour les manipulateurs, qu’il existerait un « bien commun » que les gouvernants seraient incapables de promouvoir, qu’il existerait des convergences d’intérêt entre un actionnaire du CAC 40 et un salarié au Smic, un chômeur au RSA ou un retraité au minimum vieillesse.

C’est croire ou faire croire qu’un gouvernement n’applique pas une politique déterminée, suivant une orientation particulière, sociale ou libérale, coopérative ou autoritaire, démocratique ou oligarchique, égalitaire ou inégalitaire. C’est, dans le domaine éducatif, croire ou faire croire que la politique scolaire n’est qu’une question de « compétence » indépendamment de toute orientation politique.

C’est aussi croire ou faire croire qu’un politique « compétent » pourrait, tel un sauveur suprême, résoudre les problèmes qui se posent à tou-te-s et à chacun-e, échappant aux conditions socio-économiques générées par le système capitaliste. C’est donner prise au « tous pourris » qui caractérise le rejet de la politique et l’aspiration à un pouvoir autoritaire établissant une forme de « mains propres et tête haute » qui fait fi de ce qu’est réellement et inévitablement la démocratie, avec ses oppositions, ses conflits et ses rapports de forces.

Alain Chevarin

(*) Il est d’autant plus désolant de la retrouver trop souvent chez des militant-e-s de gauche.

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