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« L’argument décisif… »

Texte de notre ami Raymond Millot publié dans Politis

Une table ronde organisée par le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) à propos de « la réussite scolaire » donne l’occasion exceptionnelle, au moyen d’une passionnante vidéo, de découvrir le fonctionnement et la pédagogie du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers.

En Seine Saint-Denis, dans le sulfureux « 9-3 » !

La parole est tout d’abord longuement donnée à une dizaine d’élèves de « l’atelier culturel » qui se sont réparti les interventions autour de trois thèmes : « l’importance de la pression subie par les élèves et les profs, l’importance de la culture, l’importance du plaisir ».

Puis c’est le proviseur. Puis deux profs. Puis une responsable du « Théâtre de la Commune ».

Témoignage capital pour trancher dans le procès fait aux « pédagogues » par les « républicains ».

Déjà, dans son ouvrage « L’école des réac-publicains » Grégory Chambat montre d’une manière très documentée ce qui se cache, et ceux qui s’affichent aujourd’hui sans vergogne dans ce procès, comme les défenseurs de la République, les champions de la transmission des savoirs et du grand Récit national indispensable à la formation des futurs citoyens, les chantres des vertus « de l’ennui et du silence » (c.f. Finkielkraut et Redeker dans un récent débat avec Meirieu).

A savoir, le bien fondé d’un système constitué de dominants et de dominés.

Dans l’affrontement entre les tenants de l’école de Jules Ferry et ceux de l’école ouverte sur la vie, sur les réalités du monde (de différentes obédiences ICEM, GFEN, AFL, etc…), tout le monde parle au nom de l’enfant. Les satisfaits de l’ordre existant célèbrent l’effort pour l’effort et la nécessaire adaptation à un monde de compétition, les autres justifient leurs convictions, et ce n’est pas mince, par le fait que les enfants viennent dans leurs écoles avec plaisir, trouvent de l’intérêt dans ce qu’ils apprennent et ne connaissent aucune discrimination. Mais les enfants, principaux intéressés, n’ont pas les moyens, ni l’objectivité, pour dire ce qui est réellement bien pour eux.

Le témoignage des Le Corbusier est ici décisif. Les enfants sont devenus de jeunes adultes et n’ont plus besoin qu’on parle pour eux. Ce qu’ils disent est déterminant.

Ils dénoncent ( ce qu’ils ont connu) « l’école lieu de souffrance », « la compétition malsaine pour la meilleure note (de la classe) au détriment du savoir», la pression qui s’exerce sur eux, celle de l’institution avec ses notes ses classements, ses évaluations formelles, ses effectifs, ses horaires, celle des parents par conformisme (la sacralité de l’école, même quand ils en ont été les perdants) ou par réalisme (le monde est dur, il faut qu’ils s’y préparent) et dont « les notes sont les seuls critères ».

Ils vont même jusqu’à établir un lien entre cette école et le monde néolibéral (et n’allez pas leur dire que ce sont leurs profs qui les formatent !).

Ils savent expliquer ce qu’ils vivent aujourd’hui et tout ce que leur apporte « la solidarité, l’entraide, le travail en groupe et la mutualisation qui permet de combler les lacunes avec les points forts des autres », ils savent « qu’il faut défaire la représentation qu’ont les parents de l’école et leur montrer que la qualité de l’apprentissage est plus important ». Ils dénoncent encore « la pression sur les profs qui doivent finir le programme et ne donnent pas le temps de comprendre, et sur l’élève qui doit restituer ses connaissances sans même les comprendre ».

Ils saluent « la pédagogie de l’écoute et du dialogue pour connaître les élèves » et tel prof allant jusqu’à « fournir son adresse mail pour connaître leurs difficultés ». Ils savent les inconvénients des effectifs chargés et remercient « le proviseur qui a instauré de nombreuses classes à effectifs réduit ».

S’agissant de « la culture pour tous», ils constatent que « les élèves issus de l’immigration ne connaissent pas leur culture, les mythes structurant leur culture d’origine, que les parents ne sont pas en mesure de transmettre ». Ils doivent « savoir d’où ils viennent que seule l’école peut leur enseigner objectivement » et ce dès « la maternelle avec des jeux éducatifs, des histoires ». Au collège et au lycée « une matière portant sur les cultures et les civilisations…il faudrait des moments d’échanges entre élèves et utiliser le théâtre, la littérature et même la nourriture », « créer un site internet où parents élèves et profs pourraient partager les histoires, les mythes » et ils insistent «pas les religions, les cultures ! »

Précision : on est frappé par les « couleurs » des élèves (et une réelle mixité) qui se sont réparti la parole : noirs, basanés, asiatiques et (?). Une prof (de philo) intervient pour dire que « les trois monothéismes ne concernent qu’un secteur du monde et ne concernent dans ce lycée que la moitié des élèves, pour les autres (il peut s’agir) de polythéisme, de culte des ancêtres, de vaudou. En revanche les mythes de leur culture d’origine permettent à tous de parler, alors qu’enseigner le fait religieux, c’est s’adresser à la moitié des élèves ». Un nouvel élève enchaîne : « je me suis pour la première fois adressé à ma mère (sur les mythes) et ça a été un formidable moment de partage ». Puis une autre « ça nous a permis de nous enrichir mutuellement, de découvrir nos racines, des histoires inconnues » et une dernière ajoute « et de retrouver notre identité ».

Il s’agit enfin de parler du plaisir à l’école.

Un élève revient sur « cette école néo libérale qui broie les plus faibles, accentue les écarts, repose sur la compétition, (se préoccupe de produire) des individus performants et productifs. La peur de l’échec renforcée par l’évaluation réduite à la notation, installe la concurrence, classe les élèves, les rend individualistes et insensibles à l’échec des autres. Dans ce contexte, penser à la réussite à l’école conduit à poser les questions : L’égalité est-elle la condition nécessaire à la liberté ? La fraternité peut-elle nous unir ? L’école fabrique-telle de la passivité ? Le droit au plaisir peut-il être perçu comme émancipateur ? Comment concilier les valeurs républicaines et la recherche jubilatoire du savoir ? »

Une autre poursuit : «réussir à construire son avenir semble toujours supposer de travailler dans la souffrance. Une condition de la réussite de tous (c’est) une école du plaisir d’apprendre, du travail en commun, (où) on a envie, on a du plaisir et de l’intérêt (…) Le plaisir ne rejette pas la notion d’effort. Le savoir par et pour lui-même doit être le projet des élèves et des profs ».

La même élève aborde un sujet majeur (et souvent caricaturé) des « pédagogues » : la pédagogie du projet. Elle voit « une solution : des projets culturels facultatifs où chacun serait considéré en fonction de ses qualités propres, sans être noté, classé, mis en compétition, où chacun est à l’égalité des autres, libre de s’investir, où tous partagent et échangent pour participer à l’œuvre commune ».

Au cours de cette présentation vivante, où l’on voit que les inégalités dans l’expression n’empêchent pas la participation de chacun-e, il est évoqué l’intérêt du travail centré sur différents grands projets (Thélème, Atome…). On ne peut malheureusement qu’imaginer le travail inter disciplinaire qu’ils supposent. On aurait aimé en savoir plus…

L’équipe (ce n’est pas ici un vain mot), l’équipe des profs, proviseur compris, a dû jongler avec les emplois du temps, les effectifs, les programmes, les horaires, le bénévolat (fatigue et joie), pour travailler sur ces projets et pour, en définitive clore le bec des « réac-publicains » puisque cette pédagogie a permis à ce lycée ( du 9-3 !) de passer de 65% à 90% de réussite au bac !

Le lecteur pourra vérifier ces citations et écouter les interventions remarquables du proviseur, des profs, de la directrice du Théâtre de la Commune en suivant ce lien :

http://www.lecese.fr/travaux-publies/une-cole-de-la-r-ussite-pour-tous « table ronde » de février 2015

Merci au CESE !

Raymond Millot le 21 octobre 2016

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