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L’Education nationale, un Etat dans l’Etat.

Ce billet a été publié sur un blog de [bleu]mediapart[/bleu]

Dans le [bleu]post précédent[/bleu], j’avais indiqué comment l’Education nationale s’assoyait sur la démocratie en ignorant l’expression de ceux concernés par ses décisions (parents et « petits » élus), en falsifiant l’information (les enfants apprendraient moins bien dans les petites écoles multi-âge), voire en s’assoyant sur les décisions de justice (dernièrement décision d’un Tribunal administratif jugeant illégale l’interdiction de l’inscription des enfants de moins de 5 ans dans les classes uniques), etc. Il est devenu inutile pour une commune ou une association de parents d’élèves de demander à un tribunal de trancher : chaque fois qu’une décision est en leur faveur, l’administration n’en tient généralement aucun compte ou utilise ses moyens (appels sur appels) pour la rendre obsolète au moment où elle doit l’appliquer.

Mais, de tout temps, l’Education nationale et son administration se comportent comme un État (totalitaire) dans l’État.

Vis à vis de ses propres fonctionnaires (enseignants), depuis la célèbre [bleu]affaire Freinet[/bleu] (1933) qui obligea Célestin Freinet à quitter l’école publique, chaque année et jusqu’à ce jour des affaires du même genre, se multiplient. J’en ai suivi plusieurs dont une au jour le jour il y a deux ans ([bleu]voir affaire N[/bleu]).

Il suffit généralement que le dernier échelon de la hiérarchie, l’inspecteur qui a la même place qu’un contremaître dans une entreprise (mais sans ses compétences), ait une opinion personnelle de la pédagogie opposée à celle pratiquée pour que s’enclenchent tracasseries, mesures de rétorsions, sanctions… et souvent destruction psychologique de l’enseignant.

Si toutes ces affaires concernent essentiellement des enseignants pratiquant des pédagogies différentes (mais reconnues depuis quelque temps comme acceptables par le ministère !), il y en a bien d’autres où pour se débarrasser d’un enseignant syndicaliste ou trop remuant (« l’ouvrant » trop facilement et trop publiquement), l’administration n’hésite absolument pas à le traîner devant le conseil de discipline en « fabriquant » un dossier. Ces conseils de disciplines sont de véritables tribunaux peu éloignés des anciens tribunaux militaires. Jean-François Fontana, syndicaliste de Sud-Education et probablement le meilleur connaisseur juridique du fonctionnement de l’EN, parcourt la France depuis des dizaines d’années pour défendre ses collègues impliqués (accusés !) et peut témoigner des multiples falsifications de l’administration, toujours impunie, dans ce qu’on ne peut qu’appeler des procès. Des cas dépassent même l’entendement comme celui d’un enseignant de l’Isère qui se bat depuis près de 30 ans (trente ans !) pour que les dizaines de décisions judiciaires demandant à le rétablir dans ses droits, aucune faute ne pouvant lui être imputée, soient appliquées un jour par l’administration. Celle-ci, comme l’Armée, ne se déjuge jamais.

Les résistants à « base élève » où aux évaluations en savent quelque chose. Il a fallu du temps pour que les sanctions financières subies et déclarées illégales par les tribunaux soient levées. Inutile de parler des conséquences sur leur avancement, leur mutation ou sur leur carrière.

Dans son ensemble et cette fois y compris les profs, l’EN est certainement l’administration la plus opaque qui soit. On ne sait pas ce qui se passe réellement derrière les grilles de l’école soigneusement closes même sans vigie-pirate. Pas de possibilité d’y jeter un œil, pas de possibilité de discuter, critiquer, voire même proposer quoi que ce soit bien que les ministères successifs clament la nécessité de collaboration parents/école. Même dans les instances officielles que sont les conseils d’école, conseils de classe, conseils d’administration, on ne peut y parler pédagogie, domaine réservé, bien qu’aucun texte ne l’interdise. Il faut reconnaître que les représentants élus des parents ne s’y comportent pas toujours comme des élus devant défendre les intérêts des familles et des élèves dans leurs droits et sont souvent toujours comme des élèves qu’ils ont été face aux enseignants ([bleu]un autre billet[/bleu]). Lorsqu’ils le font, ils sont regardés comme des perturbateurs (de mauvais élèves), y compris par leurs propres pairs. La collaboration n’est demandée que si elle prend la forme d’allégeance. Il s’en suit une impuissance de ceux pour qui ce service public est soit disant fait, impuissance qui résulte parfois en violences qui, si elles ne sont pas excusables, sont au moins explicables.

L’ignorance de la majorité des parents d’élèves sur le fonctionnement interne de l’école est sidérante, ils y sont d’ailleurs soigneusement maintenus (dans l’ignorance). Très peu savent que d’autres pédagogies sont reconnues par le ministère lui-même qui se garde bien de les en informer. Il est étonnant de constater la somme de connaissances que la population a sur les maladies, les médecines alternatives, le fonctionnement des services de santé, les dangers des pesticides, etc. et l’ignorance totale de ce qui concerne une grande partie de la vie de ses enfants captifs de l’école.

L’Education nationale ne protège pas les élèves mais s’auto-protège elle-même de la façon la plus hermétique. Cette autoprotection est même allée jusqu’à la dissimulation d’exactions de son personnel, jusqu’à la plus grave de la pédophilie.

On peut aussi parler de l’impuissance du ministère lui-même face à son administration. Aucune de ses réformes un tout petit peu progressiste n’a pu être relayée par tous les échelons de son administration si celle-ci n’y adhérait pas massivement. Exemple de la réforme des cycles jamais annulée depuis 1989, jamais appliquée dans les faits. Quant à l’exemple des devoirs écrits interdits à la maison, cela fait plus d’un demi-siècle (1957 !) que c’est imperturbablement ignoré. Chaque DASEN (ex inspecteur d’académie) est tout puissant dans son département et décrète ses propres directives, fait appliquer à sa seule façon celles du ministère. En remontant l’échelle, les élèves se demandent s’ils vont avoir un bon enseignant, les enseignants s’ils vont avoir un bon inspecteur, les inspecteurs s’ils vont avoir un bon DASEN, et cela s’arrête là, sans oublier que le qualificatif « bon » n’a pas le même sens pour tous !

Le droit commun doit s’appliquer aussi dans les écoles. Les enseignants le rappellent sans cesse aux élèves (tolérance zéro), mais ne se sentent pas forcément concernés eux aussi. Il suffit d’éplucher les bulletins scolaires pour y trouver des propos, voire des termes, insultants ou diffamatoires, qui devraient conduire leurs auteurs en correctionnelle (sans même tenir compte que ce sont des éducateurs qui les profèrent). On peut aussi en trouver dans les rapports d’inspection. Mais qui va oser porter plainte sachant les mesures de rétorsions qui s’en suivront immanquablement ? Quant à la chartre du droit des enfants… ! Il a fallu que des tribunaux interviennent en faveur des élèves lors de la parution des premiers fanzines ou plus tard des blogs pour que la liberté d’expression leur soit reconnue.

Bien sûr on va me dire que mon tableau est caricatural, et il l’est… à peine. Bien sûr que dans cette « machine », il y a des femmes et des hommes démocrates et respectueux de la démocratie et qui font ce qu’ils peuvent, souvent à leurs risques et périls. Il n’empêche que l’Education nationale est bien intrinsèquement un appareil qui se place hors des normes démocratiques, voire républicaines… ce qui est quand même le comble quand elle prétend vouloir former des citoyens. Il est vrai qu’il s’agirait de se demander quels citoyens ?

L’Education nationale n’est pas un service public au service du public qui y est captif. Elle s’isole même du public considéré souvent comme un ennemi, elle est autocentrée sur elle-même.

Un livre noir à écrire qui mériterait de faire l’objet d’investigations… et qui surprendrait.

2 Comments

  1. pascal

    L’Education nationale, un Etat dans l’Etat.
    Merci pour cet article. Mais on reste sur notre faim.. encore un effort Mr Collot ! Il me semble qu’une critique de la nature même de l’état, consubstancielle au capitalisme devrait être faite. A moins de croire en un retour possible aux trentes glorieuses !
    Les intérêts d’un état et de ses services publics sont contradictoires avec tout projet d’émancipation.

    Voir notamment: http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_nouvelle_ecole_capitaliste-9782707174383.html

    Bonne journée !

  2. alphonse

    L’Education nationale, un Etat dans l’Etat.
    Toujours et encore scolaro-centré.
    Que dire de n’importe quelle entreprise. Le fonctionnement d’une boite privée n’aurait-elle rien à faire avec la démocratie et la république. N’y a-t-il pas là aussi des règles (conventions collectives, droit du travail…), des élections, des pouvoirs (CE et CHSCT…) mis à mal aujourd’hui.

    Pensez-vous que les copains de la cegete soient mieux traités que les élus de la FSU. Pensez-vous que les élèves soient mieux traités que mes copains de la boite de luminaires d’à coté de chez moi (parents d’élèves, bien entendu). Cela ne justifie rien, évidemment mais pourquoi toujours cette prétention à faire de l’école un cas d’école!
    Camarade Bernard, tout ça ne sont que des rapports de force, de classe…
    Penser que que la classe pourrait faire l’économie des rapports de force c’est encore renforcer le mythe de cette grande école Jules Ferryenne, de cette éducation NATIONALE que le tout le monde libre nous envie (enfin sur papier parce qu’au niveau des résultats qu’elle produit c’est un autre débat …).

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