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Inégalités hommes-femmes : les leurres du 8 mars

«L’égalité hommes-femmes passe par une remise en cause du fonctionnement de l’entreprise, de la famille ou de l’école.»

Une très pertinente analyse de Louis Maurin sur le site de l’Observatoire des inégalités

3 mars 2015 – 50 % de femmes députées ou chefs d’entreprise, pour quoi faire ? L’égalité hommes-femmes passe par une remise en cause du fonctionnement de l’entreprise, de la famille ou de l’école. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

C’est devenu une tradition. Officialisée en 1977 par les Nations Unies, la Journée internationale des droits des femmes devient une sorte de fête de « la » femme aux relents commerciaux. Un rituel qui laisse un goût amer aux femmes les 364 jours restants, jours de « l’ » homme. En outre, cette journée est de plus en plus dévoyée par des marques qui y voient la célébration de l’idéal féminin. Enfin, une partie du discours féministe occulte totalement les inégalités sociales dont sont victimes les femmes de milieu populaire.

La récupération par la publicité prend de plus en plus d’ampleur. La journée internationale des droits des femmes se transforme alors en une célébration de l’image de « la » femme – ou de la « pouffe » – pour employer l’expression de Laurence Defranoux, journaliste à Libération. Un fabriquant de vêtements « équitables » propose une promotion spéciale, une franchise de fleuristes invite à « couvrir sa femme de fleurs », des bars et restaurants parisiens offrent une rose… Le 13 mars, Carrefour, gros pourvoyeur de temps partiel contraint pour les femmes, sponsorise la « Journée de la femme digitale » (sic). Il finance d’ailleurs le « Laboratoire de l’égalité ».

Les médias jouent un rôle dans cette mascarade. Ils dénoncent les inégalités hommes-femmes le 8 mars mais relayent tous les autres jours des publicités ou clips vidéos sexistes qui renforcent les stéréotypes sans se poser de questions. Les femmes doivent être belles et douces, prêtes à servir les hommes et à s’occuper des enfants. Exactement l’inverse des idéaux de celles qui ont combattu ces préjugés.
Le refus d’un modèle masculin de compétition

Le 8 mars est aussi l’exercice obligé du bilan des inégalités hommes-femmes. L’Observatoire des inégalités participe d’ailleurs à ce phénomène (lire notre article), comme il le fait tout au long de l’année (voir notre rubrique hommes-femmes). Pourtant, la plupart des états des lieux publiés s’en tiennent à une vision restrictive de la question, qui se résume au pourcentage de femmes en haut de la hiérarchie sociale, parmi les députés ou les chefs d’entreprise. Une partie de ceux et de celles qui se battent pour la progression des femmes parmi les élites s’accommode fort bien de la précarité dans l’emploi – qui touche les femmes peu qualifiées au premier chef – comme de la promotion des heures supplémentaires au détriment de la vie de famille. La parité fait souvent bon ménage avec la précarité. Quand elle ne sert pas à faire diversion.

Réduire le problème à l’accès des femmes aux postes de direction permet de combattre les inégalités entre les hommes et les femmes tout en défendant un modèle concurrentiel de société. Qu’importe la forme de la compétition, pourvu qu’elle soit « équitable » [1]. Cela permet d’éviter de débattre du fonctionnement de nos sociétés.

Les femmes sont peu nombreuses dans les sphères de direction, au niveau de l’entreprise comme dans la fonction publique. Mais cette situation ne reflète-t-elle pas, aussi, un refus, par les femmes, de rentrer dans le jeu d’un modèle de société d’hyper-compétition qui prévaut, en particulier dans le monde du travail ? Une partie des « inégalités » relève de choix assumés. Le temps partiel, par exemple, est très majoritairement choisi : seules 27 % des femmes en temps partiel indiquent souhaiter travailler davantage. Ce taux est sous-estimé : une partie des femmes ne veulent pas travailler plus car elles savent qu’elles n’ont aucune chance d’obtenir un temps plein, d’autres doivent assurer de trop lourdes tâches domestiques. Mais une majorité des femmes opte pour le temps partiel simplement pour se libérer du travail et non par aliénation ou parce que leur « nature » les prédispose à une moindre ambition. Ces choix résultent de leur socialisation : les filles, puis les femmes prennent aussi les décisions qu’on leur a appris à prendre, dans la famille ou à l’école notamment.

Cette socialisation ne leur apprend-elle pas, aussi, à résister au modèle masculin de société ? Il faut au moins s’interroger sur la question. Depuis le début des années 1990, la part des femmes dans le secteur de l’informatique diminue : ne peut-on pas y lire les conséquences de la dégradation des conditions d’emploi dans ce secteur ? La lenteur de la progression des femmes aux postes d’encadrement supérieur du secteur privé et leur forte présence dans la fonction publique peuvent aussi résulter du rejet d’une lutte forcenée pour le rendement, de la quête du pouvoir pour le pouvoir.
Transformer le modèle dominant

Il est facile d’évoquer la « nature féminine » pour refuser de voir les inégalités dont sont victimes les femmes. Mais les défenseurs de l’égalité hommes-femmes acceptent le plus souvent les inégalités sociales sans sourciller. Les hommes perçoivent environ 20 % de salaire de plus que les femmes, c’est scandaleux. Les femmes cadres touchent trois fois plus que les ouvrières, cela ne frappe pas grand monde. Cette insensibilité aux inégalités sociales, dont les femmes sont les premières victimes, constitue une vision élitiste du problème.

On ne peut espérer améliorer la situation des femmes dans le monde du travail sans lutter pour l’égalité des chances en même temps que l’on remet en cause les hiérarchies sociales. Combattre les inégalités entre les sexes passe par exemple par une limite au recours à la précarité et au temps partiel, par l’élévation du salaire minimum, par les restrictions aux heures supplémentaires, la réorganisation des rythmes de travail, etc. Pour cela, il faudrait concevoir l’égalité hommes-femmes non comme un alignement de la situation des femmes sur le modèle masculin, mais comme une transformation de ce modèle dominant. Les hommes y gagneraient largement.

Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, est auteur notamment de « Déchiffrer la société française », éditions La Découverte, 2009.

Notes

[1] Le phénomène est exactement identique sur le thème de la « diversité » qui permet de mettre en avant les discriminations sans changer, au fond, ce qui fait les écarts selon l’origine.

Date de rédaction le 28 février 2013

Dernière révision le 3 mars 2015

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