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Humanitaire ou pas, un camp est un camp. 11 questions avant l’ouverture du camp de Paris

Précis, argumenté, le regard de cette association experte et engagée qu’est le Gisti :

À la veille de l’ouverture à Paris d’un « camp humanitaire », conçu selon les normes internationales, pour accueillir les réfugiés ou « primo-arrivants », on s’interroge sur le sens et la portée d’une telle initiative.

Présenté comme une « alternative aux campements indignes », permettant une « mise à l’abri avant orientation », le projet parisien peut être lu comme une manifestation d’hospitalité, une démarche de solidarité. Au moins comme un pis aller en matière d’accueil. Reste qu’on se demande pourquoi ajouter un dispositif dérogatoire à l’empilement des multiples dispositifs imaginés pour l’hébergement (des pauvres, des SDF, des demandeurs d’asile, des travailleurs migrants…), tous saturés faute d’une réelle volonté politique d’offrir des espaces de vie dignes à chacun ?

Depuis des années, des personnes migrantes survivent à la rue dans Paris, installant des campements précaires systématiquement évacués par la police avant de se reconstituer un peu plus loin. Elles sont encore plus nombreuses depuis la fin 2014.

Ces personnes ont certes en premier lieu besoin d’un refuge, parfois de soins, mais pas seulement.

Le contexte national – semblable en cela à celui de bien d’autres pays, dont tous ceux de l’Union européenne – auquel sont confrontées les personnes qui veulent voir leur situation administrative réglée et/ou demander l’asile, est fait de fermeture des frontières, de peur de l’étranger, de suspicion à toutes les étapes de leurs parcours et d’une multiplicité d’obstacles pour bénéficier de droits pourtant inscrits dans les textes.

Les campements indignes de Paris, comme les jungles de Calais et de tout le littoral nord français, comme les regroupements à Vintimille et le long de la frontière avec l’Italie, ne sont que les effets de politiques hostiles aux étrangers. Toutes ces nasses où viennent échouer celles et ceux qui ont été désignés comme indésirables sont les symptômes de l’impasse où mènent ces politiques.

Dans ce contexte, si on peut certes se réjouir de ce que des personnes puissent dormir quelques nuits au chaud et non sous les ponts ou le long des quais, on voudrait être certain que le projet leur permettra d’être « orientées » vers de véritables structures d’accueil et d’accéder effectivement à leurs droits.

Or le système d’asile, de l’enregistrement des demandes à leur examen, continue d’être caractérisé par des dysfonctionnements systémiques, parfaitement identifiés, mais jamais résolus.

Or le nombre de places dans les structures ad hoc pour l’accueil des demandeurs d’asile reste largement insuffisant au regard des besoins, même en comptant l’ensemble des dispositifs d’hébergement de second rang qui se sont multipliés au fil des années.

Or les empêchements à la liberté de circuler des migrants, et la lutte contre les migrations dites illégales dont même les personnes en quête d’asile sont victimes, restent l’alpha et l’oméga des politiques européennes et nationales.

Dès lors comment faire ? Comment « orienter » vers autre chose que des voies sans issue ? Comment garantir aux personnes accueillies qu’elles resteront libres de déterminer leurs choix au sortir de cette « mise à l’abri » ?

Faute de changer radicalement ce contexte, on n’aura abouti, avec le camp à Paris, tout humanitaire qu’il soit, qu’à rendre les migrant.e.s moins visibles en les cachant en périphérie de la ville ou en les contraignant à se disperser, une fois écartés du dispositif de mise à l’abri, et surtout à fournir à l’administration des moyens pour mieux les contrôler, des moyens pour les trier, afin d’en renvoyer ou expulser le plus possible.

Compte tenu du nombre et de la gravité des questions restées à ce jour sans réponse, alors que le camp va ouvrir, on ne peut que nourrir de sérieuses inquiétudes quant aux conséquences de cette initiative.

Le recensement qui suit [1] des interrogations qui subsistent, parle de lui-même, qu’il s’agisse de ses conditions de fonctionnement, de l’accueil « inconditionnel » qu’il est censé mettre en œuvre, ou des modalités de sortie du dispositif.

Aux abords du camp

Le camp sera constitué de deux centres différents, l’un, boulevard Ney dans le 18e arrondissement, destiné aux célibataires, l’autre, à Ivry-sur-Seine, destiné aux familles et aux personnes dites « vulnérables ».

On peut craindre les effets d’une éventuelle présence policière à proximité de lieux d’accueil où se rendront des personnes qui risquent d’y être interpellées comme « sans papiers » ; en effet, les dysfonctionnements du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile sont tels que des personnes sont bien souvent empêchées d’entrer dans la procédure et ne disposent donc pas des documents qui devraient leur être remis à ce titre.

D’autre part, l’affluence de personnes qui suivra l’implantation du camp humanitaire est susceptible en elle-même d’entraîner le recours à des interventions policières : on doit ici rappeler la multiplicité des opérations de police, souvent brutales, qui ont accompagné les évacuations des campements spontanés qui se sont succédé tout au long de l’année 2015 et en 2016, notamment au cours du mois d’août dernier.

Les attroupements créés par le sous-dimensionnement du dispositif de pré-accueil des demandeurs d’asile, à proximité de la Pada (plateforme d’accueil pour demandeurs d’asile) gérée par France Terre d’asile, ont donné lieu à une répression disproportionnée. De nombreuses personnes qui n’avaient même pas eu la possibilité d’introduire une demande d’asile ont été arrêtées, ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et ont été placées en rétention au mépris du droit en vigueur.

1 – Quelles dispositions seront prises pour éviter qu’une présence policière à proximité du camp n’ait un effet dissuasif pour les personnes susceptibles de s’y rendre et ne soit perçue comme un piège pour les personnes qui se verraient refuser l’accès à la « halle » ?

Passage (ou non) de la « bulle » à la « halle »

Le principal centre, celui du boulevard Ney, comprendra deux espaces : une « bulle », conçue comme un sas de premier accueil, et une « halle », destinée à assurer une mise à l’abri qui ne devra pas excéder quelques jours.

Si l’accueil dans la « bulle » est dit inconditionnel, il semble qu’un certain nombre de critères subordonneront l’admission dans la « halle » des personnes qui y passeront, comme le fait d’être « primo-arrivant ». Même si ce critère ne devrait pas, selon les représentants de la mairie, être interprété de façon stricte, mais plutôt sous l’angle du besoin évident de mise à l’abri, les personnes considérées comme inéligibles seront, a-t-il été dit, orientées vers le droit commun (ESI – espaces solidarité et insertion -, prise en charge par des travailleurs sociaux et constitution d’un dossier SIAO – service intégré d’accueil et d’orientation).

2 – Dans la mesure où le dispositif de droit commun pour l’hébergement d’urgence est déjà saturé, comment éviter la reconstitution de campements de personnes qui n’auront pas pu être admises dans la halle ni se voir offrir une solution d’hébergement ?

Une incertitude demeure par ailleurs quant au sort des demandeurs d’asile déboutés et des demandeurs d’asile placés sous convocation « Dublin » qui demanderont à être admis. Selon Emmaüs Solidarité, ces personnes n’auraient pas vocation à être hébergées dans la « halle ». Cependant, il est expliqué aussi que la pré-évaluation qui sera opérée dans la « bulle » le sera sur base déclarative, et que les auxiliaires socio-éducatifs qui mèneront les entretiens n’ont ni compétence juridique particulière ni pour mission de faire du diagnostic.

3 – Si leur situation est immédiatement identifiée, au stade de l’entretien opéré dans la bulle, les personnes déboutées ou placées sous convocation « Dublin » seront-elles également obligatoirement orientées vers la procédure de droit commun ?

Traitement des données recueillies dans la « halle »

Quelle est la finalité des informations individuelles recueillies une fois les personnes admises dans la « halle » ? À cette question, les responsables du projet répondent que, s’agissant des primo-arrivants ou des personnes qui n’ont pas encore pu déposer de demande d’asile du fait de la saturation des Pada, l’enregistrement de ces données permettrait l’accès à la procédure d’asile et le suivi de cette procédure depuis les centres d’hébergement où ils seront orientés, en Île-de-France ou ailleurs.

Mais reste incertain le sort des personnes admises dans la « halle » dont l’examen de situation ferait ensuite apparaître qu’elles ont été déboutées de leur demande d’asile ou qu’elles sont placées sous procédure « Dublin », alors que leur situation administrative n’aurait pas été identifiée comme telle lors de l’entretien dans la « bulle ».

4 – Ces personnes devront-elles quitter la « halle » pour ce motif ?

5 – S’agissant des personnes déboutées, pourront-elles le faire sans être prises en charge si elles ne le souhaitent pas ?

6 – Si c’est le cas, dès lors qu’il aura été procédé à l’enregistrement de leurs données d’identification, pourront-elles également quitter la halle sans risquer que ces données soient transmises à l’administration préfectorale et que celle-ci prenne aussitôt une OQTF sans examen du droit à un titre de séjour (ce que la loi autorise) ?

Sortie de la « halle »

Le séjour dans la « halle » ne devant pas excéder quelques jours, se pose le problème de l’orientation des personnes à l’issue de cette courte période. Quel lien y aura-t-il entre l’entrée dans la procédure d’asile et la possibilité d’être transféré dans un centre d’hébergement (CAO – centres d’accueil et d’orientation -, CHU-migrants ou Cada) ?

7 – Sachant que l’accès en Cada est réservé aux demandeurs d’asile, le dépôt d’une demande d’asile pendant le séjour dans la halle conditionnera-t-il néanmoins l’orientation dans l’une des deux autres solutions d’hébergement envisagées (alors même que les CAO, notamment, ont été conçus comme des lieux de « répit » pour permettre aux personnes de réfléchir à leur orientation) ?

8 – S’il faut avoir clairement exprimé son intention de demander l’asile pour être orienté vers un lieu d’hébergement, quel sera le sort réservé aux personnes qui ne feront pas ce choix ? Pourront-elles quitter la « halle » sans être orientées, si elles ne le souhaitent pas, vers le dispositif de droit commun ?

9 – Dans ce cas, seront-elles assurées que les données individuelles les concernant ne seront pas transmises à l’administration préfectorale ?

Les dispositifs d’hébergement prévus pour accueillir les personnes à l’issue du séjour dans la « halle » diffèrent beaucoup en termes de conditions d’accueil et d’accompagnement social et juridique. L’expérience montre que selon les lieux où ils ont été ouverts, les CAO offrent des modalités très variables d’accueil. Quant aux CHU-migrants, ils ne sont par définition conçus qu’à titre de solutions d’urgence où rien d’autre que la mise à l’abri n’attend les personnes qui y sont accueillies. Ces caractéristiques pourraient amener des personnes à refuser l’orientation qui leur est proposée à l’issue du séjour dans la « halle ».

10 – En cas de refus de l’orientation qui leur est proposée, les personnes pourront-elles quitter la « halle » sans que cela se traduise par un refus de ce que la réglementation de l’asile désigne par « conditions matérielles d’accueil », lequel implique le non versement, ou une coupure, de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) ?

11 – Dans ce cas, seront-elles assurées que les données individuelles les concernant ne seront pas transmises à l’administration préfectorale ?
28 octobre 2016

[1] Cette liste d’interrogations « techniques » a été dressée après des rencontres récentes avec des représentants d’Emmaüs-solidarité d’une part, de la Mairie de Paris d’autre part, qui ne nous ont pas permis de trouver réponse.

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