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Histoire d’une école parallèle

Pendant une quinzaine d’années, un groupe d’enfants et de parents a participé à une aventure peu commune : une école à la maison, hors système, sans professionnel ni pédagogie particulière, nommée Le Groupe.
Partager le moment de l’enfance : une expérience enrichissante pour tous. Récit sous forme d’entretien avec Martine Bourgarel qui en fut l’une des fondatrices.

Guillemin Rodary : Comme introduction, comment définirais-tu Le Groupe rapidement ?
Martine Bourgarel : Le Groupe, ça a été la réunion de différents adultes qui avaient en commun l’envie de participer à la vie quotidienne et l’éducation de leurs enfants plus qu’on ne le faisait dans le circuit scolaire traditionnel.

G. R. : Quel était le contexte, politique, personnel, au début du Groupe ?
M. B. : Le contexte, c’était celui des années 70-75. Donc c’était post-68. C’était une époque ou les gens étaient dans le désir de vivre autrement, et il y avait les communautés, quantités d’expériences dites marginales maintenant. Le contexte était favorable à autre chose que ce qu’on avait toujours fait jusqu’à maintenant. Et on s’est lancé, alors là, pour moi, sans aucune crainte, ça ne pouvait être que bien.
G. R. : Il y a avait un arrière plan théorique, des idées politiques, des lectures ?
M. B. : Des lectures, ma lecture : Libres enfants de Summerhill que j’avais lu. Je ne m’en souviens plus du tout maintenant du contenu de ce bouquin, enfin ça m’avait emballé. Et puis, ce qu’il y a eu surtout, c’est des forums de discussion. Je n’ai pas souvenir que l’on ait eu une ligne théorique précise, si ce n’est d’avoir envie de partager avec les enfants ce temps de leur enfance et ce temps de leur apprentissage et de leur découverte du monde.

G. R. : Comment ça s’est passé au début concrètement ? Comment ça se passait au jour le jour ?
M. B. : On s’est retrouvé à 8 ou 9 familles. On a institutionnalisé assez vite une réunion en soirée, souvent jusque tard, tous les 15 jours pour faire un planning de l’organisation matériel et logistique : où ça se passe, quel jour, qui est certain d’assurer une présence, et qu’est-ce qu’on va faire. Le matin, celui chez qui ça se passait, par ce que ça se passait au domicile privé des uns et des autres, était prêt à accueillir les enfants à 9h30. Il était assisté de un, deux ou trois parents. Les parents assuraient la fabrication des repas, les enfants assuraient l’organisation des repas, la mise de la table, la vaisselle. Il me semble qu’on faisait une réunion le matin adultes et enfants pour organiser notre temps dans la journée. On partageait le temps entre des activités plus “intellectuelles”, d’apprentissage, et des jeux libres, des sorties. Il n’y avait pas de professionnels. Le postulat qu’on avait dans la tête, c’est que chacun qu’entre nous avait forcément quelque chose à apporter à l’ensemble des enfants : un goût pour la création artistique, une connaissance et une capacité pour le bricolage, un goût pour la littérature, pour les maths, un intérêt particulier pour l’histoire, un intérêt sportif… Les réunions du soir étaient des moments d’échanges, parfois musclés. Parce qu’effectivement comme les gens venaient d’environnements différents, d’histoires différentes, ils avaient peut-être des projets différents, et puis c’était de nos propres enfants qu’il s’agissait, et de nous avec nos propres enfants, beaucoup d’émotion se mêlait à tout le côté organisation matérielle. En journée, ce n’était pas comme dans les écoles classiques : il y avait un adulte et des enfants sous le regard des autres autour, un regard sur son comportement avec les enfants et sur les enfants avec lui. On n’était jamais à l’abri du regard des autres, et je vais dire que c’est l’un des bénéfices le plus important que j’en ai retiré tout au cours du temps.
G. R. : Il y avait un contrat pour rentrer, il fallait s’investir ?
M. B. : Il fallait au moins consacrer une demi-journée par semaine, minimum.

G. R. : Le mercredi, comment ça se passait ?
Les enfants avaient les uns et les autres des relais d’activités. Ils savaient à quoi ils étaient inscrit : la poterie, la danse, le chant… Et le reste du temps, ils organisaient eux même leur repas, il faisait leurs courses, ils avaient une somme d’argent à dépenser pour se nourrir et pour fabriquer leur repas. Ce qui était un bon apprentissage de l’autonomie dans la vie. En général, ils étaient content parce qu’ils pouvaient manger ce qu’ils voulaient, quelque fois même que des bonbons, quelque fois il y en avait un plus sérieux pour dire que c’était inadmissible de n’acheter que des bonbons. Mais bon, à la limite, cela ne nous regardait plus.

G. R. : Politiquement, vous aviez quelque chose à partager ?
M. B. : Je n’ai pas le souvenir d’avoir était très politisée comme on peut l’être maintenant. On était plus dans l’idée qu’il fallait la vivre, la politique. Il fallait la vivre au quotidien. Ce qu’il fallait c’est changer. Dans ce sens là, on peut parler d’un choix politique. Il y en a qui était plus anar, d’autres plus CGTistes. Ca a crée quelque fois quelques discussions un peu musclées, mais ça n’empêchait pas de fonctionner. L’un des présupposés théoriques quand même, c’est que chacun d’entre nous, qu’il soit adulte ou enfant, avait le même poids d’humanité et la même capacité d’apporter quelque chose à tout le monde.

G. R. : Il y avait des objectifs d’apprentissage ?
M. B. : Il y avait un objectif lointain qui était : il y a des choses à apprendre, il y a le fait que les enfants, c’est excessivement curieux par nature, ça a envie d’apprendre. On n’a jamais suivi réellement les programmes scolaires de façon rigoriste. On savait en gros quand même où on voulait les amener, c’est à dire éventuellement un jour de passer leur bac s’ils le voulaient.
G. R. : Comment ça se passait avec les institutions, l’Education Nationale ?
M. B. : On s’est inséré dans une loi qui avait été créée pour permettre aux enfants de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie d’être éduqués par des précepteurs et non pas par l’institution scolaire. Chacune des familles, utilisant ce texte, prévenait l’inspection académique qu’il prenait en charge l’éducation de ses enfants, ou l’instruction plutôt, car c’est d’instruction dont il est question, alors que pour nous c’était d’éducation.

G. R. : Quel bilan tires-tu du Groupe, pour toi et tes enfants ? Et quels seraient les prérequis pour faire un Groupe aujourd’hui ?
M. B. : Pour moi, j’en ai un bilan très positif, sans hésiter un quart de seconde. Ca m’a maintenue intellectuellement très active, plus que si j’avais été parent d’élève. Et puis ça m’a beaucoup apporté dans ma vie professionnelle. Pour les enfants, j’ai l’impression que ça leur a permis de conserver et de développer leur goût du savoir et leur curiosité. Et ça leur a permis de s’autonomiser et de se donner des règles de discipline intériorisées. Pas comme la discipline scolaire qui est en fait une discipline qui est plaquée de l’extérieur 80% du temps et qui fait que tu la respectes quand tu es sous le regard de celui qui est chargé de la faire respecter et dès qu’il a tourné le dos tu essayes d’y échapper. Les règles ont été construites ensemble adultes et enfants, et ils se sont bien rendus compte qu’elles étaient nécessaires pour vivre ensemble. Le Groupe a fondé chez les adultes et enfants la remise en question permanente, la nécessité de remise en question permanente de ce que l’on pense. Je pense quelque chose mais ce n’est pas forcément juste, ce n’est pas forcément vrai, il n’y a pas forcément que ça.
Peut être que la société complète à évoluer et que ce serait plus difficile aujourd’hui de tenir cette posture là, cette posture libertaire, dans une société qui l’est de moins en moins et qui est de plus en plus accès sur le désir de réussite sociale, et la crainte de ne pas l’atteindre cette réussite sociale. Au point de vue vie scolaire les choses n’ont pas changé à l’intérieur de l’école. Maintenant, c’est toujours globalement aussi difficile, fermé, restrictif. C’est-à-dire un adulte enfermé avec un certain nombre d’enfants, dans un seul lieu, duquel ils ne sortent pas, avec un programme qui ne dépend ni des uns ni des autres, qui a été pensé par quelques administratifs dans un bureau. Ca les empêche d’être dans le monde, d’être vivant, et ça les obligent, les petits, à rester assis quasiment six heures par jour, ce qui est infernal et impossible. Ce qui fait donc que ceux qui ne le supportent pas développent des comportements soit d’agressivité vis à vis des autres, soit de violence, soit d’excitation, soit d’extrême passivité, soit de déprime qui ne sont pas moindre. Par rapport à la force et la puissance créatrice et d’émerveillement qu’on les enfants, c’est quand même du gâchis.
Pour faire un Groupe aujourd’hui, je crois qu’il faut des aventuriers. Parce que c’est aussi une aventure, indépendamment de l’aventure économique ou politico-sociale que ça représente de ne pas rentrer dans le moule et le schéma scolaire tout tracé. Il faut vouloir y consacrer du temps, vraiment du temps. Faire autre chose que le chemin tracé doit être bien plus difficile aujourd’hui. Mais peut-être encore plus nécessaire.

Guillemin Rodary

5 Comments

  1. karine molinier

    Histoire d’une école parallèle
    Bonjour j’ai 42 ans, maman de deux enfants de 10 et 12 ans qui ont un peu tout essayé : Steiner ( maitresse maltraitante), ecole publique (no comment), école catho (abhérante).. pour finir par être descolarisé … mon fils l’est encore quand ma fille a pris la route du collège public qui s’avère être un gros ralentisseur d’apprentissage du “vivre ensemble”, mais heureusement ma fille en est consciente.
    Votre système de classe , j’avoue y avoir pensé, et j’aimerais beaucoup lancer un projet de ce type, mais je crois que depuis , la loi a changé car elle stipule que nous n’avons pas le droit de nous regrouper pour enseigner à d’autres enfants que les notres.
    Comment contourner la loi ? merci pour votre réponse

    • Guillemin

      Histoire d’une école parallèle
      Bonjour Karine,

      oui, la loi prévoit maintenant que l’instruction en famille dispensée au même domicile doit se faire pour les enfants d’une seule famille (art. L131-10 du code de l’éducation).

      Il n’est donc pas possible de faire “une classe” à la maison, mais a priori, rien n’empêche les enfants instruits en famille d’en rencontrer d’autres ?

      Guillemin

    • Guillemin

      Histoire d’une école parallèle
      Bonjour Dacia,

      les enfants du Groupe ont eu des parcours tous différents, aussi diverses que ceux des enfants issus d’une école traditionnelle !

      Heureusement, l’école n’est pas le seul élément qui façonne une personne !

      Je ne pense pas qu’il faille juger une école au devenir des enfants, cela tendrait à parler de “réussite sociale”, ce qui me semble très pernicieux, et cela inhiberait tout projet nouveau par peur de l’avenir. Je préfère parler de ce qu’apporte, ou n’apporte pas…, une école aux enfants !

      Guillemin

  2. Claudia

    Histoire d’une école parallèle
    Bonjour,
    c’est très intéressant, merci !
    Vous étiez vers où ?
    Vous habitiez exprès à côté les uns des autres ou c’est le hasard qui a fait qu’un groupe de parents vivant à proximité a eu envie d’organiser ce groupe ?
    Est-ce que les enfants devenus adultes ont eu envie de proposer quelque chose de similaire à leurs enfants ?

    Aujourd’hui, je dirais que c’est tout à fait possible de l’organiser, il ne faudrait juste pas que les enfants suivent ensemble un enseignement scolaire (l’apprentissage des matières scolaires serait à la charge des parents). Mais les enfants pourraient jouer, construire, bricoler, lire, se promener (et bon, s’ils apprennent des choses en faisant tout ça, on n’y peut rien ! ; -))

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