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Faut-il re-mobiliser les Hussards-Noirs ?

Nous publions avec l’aimable autorisation de son auteur ce texte de mise en perspective historique publié dans le Café pédagogique du 4 février.

À la suite des attentats on mobilise dans les établissements scolaires les enseignants dans la plus pure tradition de la IIIème République en renvoyant à l’image des enseignants “serviteurs de la République sociale ; des instituteurs de la liberté qui doivent l’enseigner à l’école et la répandre en dehors, notamment quand elle est menacée” comme disait Jaurès (séance parlementaire du 20 juin 1894). Mais l’image a son revers, nous dit Gilbert Longhi. Et la routine pourrait vite enliser les élans des hussards…

Selon un mythe typiquement laïc (1), au début du vingtième siècle, le maître d’école est un Hussard-Noir. Sa présentation est souvent un triptyque (2). Avant tout, il installe les valeurs de la République au cœur des enfants, au nom du peuple, contre la monarchie et contre l’église. Ensuite, il est le prophète ébloui du monde nouveau (3) prônant la raison et la logique, imposant les lumières et l’esprit critique ; exhortant à la science et au positivisme. Enfin, le Hussard-Noir est considéré comme un missionnaire de l’instruction (4), habité par le devoir d’enseigner, cherchant l’intelligence des enfants en blouse et en sabots jusqu’au plus profond du pays dans les hameaux les plus reculés, permettant ainsi à la jeunesse de changer de condition.

L’allégorie du Hussard de la République est inspirée d’un texte de Charles Péguy qui en 1913 insistait, sur la tenue vestimentaire de jeunes instituteurs à l’allure martiale .(5) Il écrivait : Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. Un long pantalon noir, mais je pense, avec un liseré violet. Le violet n’est pas seulement la couleur des évêques, il est aussi la couleur de l’enseignement primaire … Rien n’est beau comme un bel uniforme noir parmi les uniformes militaires. C’est la ligne elle-même. Et la sévérité. Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République. Par ces nourrissons de la République. Par ces hussards noirs de la sévérité.(6)

Une empathie semble de mise au sujet des Hussards-Noirs. Ils seraient le parangon du véritable enseignant. Néanmoins, l’histoire factuelle de l’école atteste que leurs pratiques étaient parfois discutables. En l’occurrence, les Hussards-Noirs des origines ont francisé les campagnes, l’outremer et les colonies en interdisant les parlers vernaculaires (7). Les petits Bretons bretonnants et leurs pareils Occitans (8) ont dû ravaler leur langue native (9) à grand coups de règles sur les doigts et parfois pire. En l’occurrence, l’engagement exalté d’une école sans états d’âmes a même attribué de bons ancêtres Gaulois et blonds, des millions d’indigènes sénégalais, berbères ou indochinois .(10)

Sous la Troisième République, la gauche a perpétué la sublimation du Hussard-Noir. Durant la séance parlementaire du 20 juin 1894 (11), Jean Jaurès s’est opposé à la domestication des enseignants par la droite (12). À cette occasion, il définissait les Hussards-Noirs comme des serviteurs de la République sociale ; des instituteurs de la liberté qui devaient l’enseigner à l’école et la répandre en dehors, notamment quand elle était menacée. Il ne fallait pas la tuer en eux, sinon ils n’auraient pas pu l’apprendre aux autres.

Le Hussard-Noir était un peu rouge, souvent inflexible et sectaire. Il n’avait que faire de l’impartialité et la neutralité, il s’agissait pour lui d’accomplir un devoir monovalent matricé dans les Écoles Normales. L’ennemi d’alors était l’obscurantisme des masses et notamment celui qui frappait les enfants que les familles (13) élevaient dans la religion, les bigoteries et les superstitions, contre la raison et les progrès. Les hussards ne sont pas de fins pédagogues au regard des sciences de l’éducation contemporaines. Les châtiments corporels et les vexations sont pour eux des modes opératoires courants (14).

Au fil du temps, la figure tutélaire du Hussard-Noir des origines a subi quelques retouches. Certaines ont donné la caricature du laïcard intransigeant, partisan, militant anticlérical, intolérant et Jacobin (15). D’autres, tableaux sont plus nuancées et proposent un éducateur, rationaliste, positiviste, athée, radical-socialiste (social-démocrate), altruiste ; convaincu qu’ouvrir une école c’est fermer une prison (16) ). En définitive, le portrait robot du descendant du Hussard-Noir, en fait plutôt un humaniste (17), un voltairien (18), chatouilleux sur la préservation des libertés individuelles et collectives. Il défend une éducation (19) développant l’esprit critique et une culture ouverte au monde. Sa laïcité se présente comme un acte de citoyenneté, de socialisation, d’intégration à la Cité.

Alors qu’on parle officiellement de guerre, voire d’un choc de civilisations ; que peuvent les convictions des enseignants contemporains face à de telles forces ? L’école peut-elle encadrer les mentalités qui dérivent même à l’aide d’un programme d’éducation à la laïcité conçu dans les règles de l’art par les hiérarques avisés du ministère ? L’histoire de l’école montre dans de nombreux domaines que l’application des directives un temps surchargées de sens peuvent s’enliser dans la routine dès que la tension sera passée.

Gilbert Longhi

Notes :

1 Le moment Ferry : l’école de la République entre mythologie et réalité. Jean-michel Gaillard www.ac-grenoble.fr/patrimoine-education/seminaire/moment_ferry.htm (15 janvier 2007).

2 Dixit Charles Péguy.

3 Dixit Georges Clemenceau cité par Laurent Wauquiez in Rapport de mission parlementaire sur les aides sociales aux étudiants. Juillet 2006. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000549/0000.pdf (15 janvier 2007).

4 Laurent Wauquiez in Rapport de mission parlementaire sur les aides sociales aux étudiants. Juillet 2006. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000549/0000.pdf (15 janvier 2007).

5 Cité par Laurent Wauquiez in Rapport de mission parlementaire sur les aides sociales aux étudiants. Juillet 2006. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000549/0000.pdf (15 janvier 2007).

6 Charles Péguy. L’argent. In cahiers de la quinzaine XIV-VI ; 16 février 1913, in Œuvres en prose complète III La pléiade Gallimard p. 801.

7 Union des enseignants de Breton. www.ugbrezhoneg.com/keleier/28052003.htm (4 janvier 2006).

8 Pour l’occitan, l’arrêté du 3 janvier 2002 JO du 5 janvier 2005 instaure des épreuves spécifiques de langues régionales pour le recrutement de professeurs des écoles destinés à exercer dans les écoles maternelles et élémentaires bilingues de langues régionales www.ac-montpellier.fr/Examens_Concours/Concours/Enseignants/Concours_Ensei.htm (25 juin 2006).. Au demeurant, l’occitan peut faire l’objet d’une épreuve obligatoire au baccalauréat comme langue vivante JO du 26 avril 2005. Question écrite de Kléber Mesquida. 63715.

9 www.marraire.com/Oc/Alienation.php Térraw occitanas (9 avril 2006).

10 Le Nouvel Observateur. www.nouvelobs.com/articles/p2141/a287033.html 17 novembre 2005 n°2141.

11 www.philagora.eu/educatif/index.php/Jean_Jaures_6 (22 décembre 2006).

12 http://librepenseefrance.ouvaton.org/textes_fond/jaurès.htm (22 décembre 2006).

13 www.regard.eu.org/Famille/TXT.complet.Famille/SOIDLENSEIGNE.html (14 février 2007).

14 École : la violence et ses mensonges. http://freinet.org/ne/40/violence-40.rtf (14 février 2007).

15 www.france-catholique.fr/archives/forum/index.php?id=9 (28 novembre 2006).

16 www.parti-socialiste.fr/congres2005/article.php3?id_article=375 (5 décembre 2006).

17 Revue de l’humanisme laïque http://laicite.canalblog.com/ (29 novembre 2006).

18 http://monde-libertaire.info/article.php?id_article=3361 (2ç novembre 2006).

19 Guy Gauthier. http://laicite-laligue.org/laligue/laligue-laligue/pdf/guy_gauthier.pdf (26 juillet 2004).

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