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Face à l’extrême droite et à l’islamisme : Que peut l’école ?

Aujourd’hui le système scolaire est interpellé sur fond de médiatisation de l’islamisme et de l’extrême droite. Ceux qui adhèrent ou adhéreront aux idées de l’extrême droite ou de l’islamisme sont passés par les bancs de l’école républicaine. Que s’est-il alors passé ? Que peut l’école ?

Crise sociale et crise de la conscience de classe

Il ne faut sans doute pas accorder à l’école un pouvoir qu’elle ne possède pas. Les causes des phénomènes médiatisés actuellement se trouvent largement à l’extérieur de l’école. Ils sont connus, mais il n’est pas inutile d’en rappeler aux moins quelqu’uns des éléments.

Le premier facteur consiste dans le creusement des inégalités sociales depuis la fin des « Trente glorieuses » et la montée du chômage.

Mais, il faut également sans doute dénaturaliser ce mouvement économique en rappelant comment il est également tributaire de la domination des orientations économiques néolibérales. Le libéralisme économique réduit l’être humain à un individu consommateur sur un marché. La société de consommation serait la voie d’accès au bonheur pour tous.

Ce mouvement s’est accompagné d’un démantèlement et d’un affaiblissement des institutions et des cultures populaires. Il faudrait sans doute remonter l’histoire du libéralisme économique pour constater comment ses tenants n’ont eu de cesse de détruire les organisations de solidarité du monde paysan, puis ouvrier. Dès le début des Trente glorieuses, la société de consommation a rendu caduc les institutions de l’économie coopérative. Le démantèlement des bastions ouvriers a contribué à l’affaiblissement des organisations syndicales.

Transformés en individus atomisés, au chômage ou précarisés, les cultures populaires ont été remplacées par le discours des masses médias. Au coeur de ce discours se trouve la publicité qui agite les produits d’une société de consommation dont les classes populaires précarisés sont en grande partie exclues.

Au niveau international, la lutte contre le bloc soviétique s’est parfois appuyé sur le renforcement de l’islamisme. Avec la disparition de l’alternative dite « communiste », face à l’impérialisme économique des Etats-Unis et de l’Europe, l’Islamisme politique a pu se présenter comme l’idéologie de résistance au néo-colonialisme. Soutenu économiquement par les Etats du golfe et par leurs masses média, l’Islamisme est devenu la figure mondialisée de l’Islam. Figure largement reprise par les médias occidentaux, mais cette fois à des fins sécuritaires.

Face à la montée du chômage et à la démission de la « gauche » au pouvoir en France, l’extrême-droite s’est présentée progressivement comme un exutoire contre les élites politiques et économiques bourgeoises. Le discours de l’extrême-droite s’est développé en proposant de substituer à la conscience de classe détruite, la communauté nationale, fondée sur une base identitaire.

Avec la montée du racisme agité par l’extrême droite, sur fond de crise économique et de réveil au niveau international de l’islamisme, il ne faut pas s’étonner que cette dernière idéologie trouve un écho auprès de jeunes racisés et précarisés économiquement.

En définitif, la montée de extrême-droite et de l’islamisme peuvent apparaître comme les conséquences du capitalisme néo-libéral. Non seulement parce qu’il génère des inégalités sociales, mais également parce qu’il atomise les individus et les rend d’autant plus vulnérables aux crises économiques. Ceux-ci recherchent alors des formes de solidarités dans des communautés imaginaires tels que « la nation » ou la « Oumma ».

Après les échecs de l’école républicaine, des solutions ?

L’Etat républicain de l’après guerre a tenté de se légitimer en partie par la mise en place d’un système de redistribution sociale : sécurité sociale, retraite.… Néanmoins, cette légitimité a été fortement affaiblie avec le triomphe du capitalisme néo-libéral.

L’école républicaine française depuis le milieu des années 1990 accentue le creusement des inégalités sociales au point que la France est classée au dernier rang des pays de l’OCDE en la matière. De fait, si l’école républicaine était déjà auparavant un vecteur de reproduction des inégalités sociales, l’accentuation de ces inégalités a renforcé la rupture entre l’école et les classes populaires, en particulier d’origine immigrés.

Avec le retour de la « morale laïque » (prévue à la rentrée 2015), on peut supposer que Vincent Peillon entendait en partie opposer à l’idéologie atomisante du néo-libéralisme, celle d’une communauté républicaine unie autour des mêmes valeurs.

On peut néanmoins douter de la portée d’un tel projet. En effet, si les valeurs républicaines n’ont pas été en mesure d’empêcher le discours de l’extrême droite de pénétrer les classes populaires d’origine française, on voit encore moins comment il saurait suffire à résister à la pénétration de l’islamisme.

Cela est d’autant plus le cas, qu’il faudrait commencer par sortir de nos propres contradictions sur le discours de l’universalisme républicain. En effet, l’enseignement affirme qu’il s’agit de valeurs universelles et ne cesse d’insister sur leur origine occidentale. Comment faire adhérer tous les élèves à des valeurs dites « universelles » si celles-ci sont en même temps présentées comme le triomphe de la supériorité occidentale ? Il faudrait peut être commencer par provincialiser le rôle de l’Occident dans la production d’un universalisme. En effet, est-il légitime d’affirmer que « la démocratie », « la tolérance  religieuse», « les libertés individuelles »… n’ont émergé qu’en Occident ? Des travaux scientifiques ont pourtant déconstruit de tels discours. Prenons le cas de la « démocratie. Cette notion continue d’être enseignée en la liant principalement à la Grèce antique, puis à l’histoire moderne occidentale. Or des travaux scientifiques se sont pourtant attaché à montrer comment il a exister des institutions de prises de décisions collectives dans les sociétés traditionnelles non européennes ou dans les communautés paysannes médiévales (voir par exemple à ce propos Dupuis-Deri Francis, Démocratie, histoire d’un mot ou encore Graeber David, Pour une anthropologie anarchiste).

Mais, plus encore, le véritable obstacle à un rôle positif de l’école dans la lutte contre la polarisation de l’espace public médiatique entre l’extrême-droite et l’islamisme tient au fait que l’idéologie républicaine ne peut donner les moyens aux élèves de théoriser ce qu’ils vivent au quotidien : la relégation sociale et les inégalités sociales. Il faudrait pour s’opposer à l’extrême-droite et à l’Islamisme être en mesure de construire une conscience de classe susceptible de donner aux élèves, révoltés par les injustices qu’ils subissent, une lecture théorique des inégalités sociales. Or l’école républicaine est par définition est un espace interclassiste, dont les orientations sont décidées par l’élite politique et économique bourgeoise, et où en outre la majorité des enseignants sont issus des classes moyennes. On voit mal alors l’école républicaine participer à la reconstruction d’une conscience de classe économique des couches populaires.

La difficulté est que face à la médiatisation de l’extrême-droite et de l’islamisme, il ne reste que peu d’espace pour construire une conscience de classe économique. Or l’école peu difficilement jouer ce rôle pour trois raisons : a) accentuation de la reproduction des inégalités sociales par le système scolaire b) ethnocentrisme des valeurs républicaines c) difficulté à construire une théorie d’analyse des inégalités sociales susceptibles de construire une conscience de classe économique auprès des élèves pouvant servir d’alternative aux discours de l’islamisme politique et de l’extrême-droite.

1 Comment

  1. jean-charles

    Face à l’extrême droite et à l’islamisme : Que peut l’école ?
    A quoi j’ajouterai, au risque de déplaire aux amis de Q2C, qu’une conscience de classe contemporaine est d’autant moins envisageable qu’on continue à faire vivre un athéisme au lieu d’un matérialisme. Le premier prend toute religion en haine, le second en fait une expression contradictoire -en même temps qu’une grille d’ interprétation- de la violence sociale imposée par le capitalisme. Si l’on veut bien se pencher sur ce qu'”Islam” veut dire : ni pur symptôme sans épaisseur, ni fait social autonome, on pourra peut-être entrer à nouveau en discussion. Le fil est ténu.

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