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Enseignement de l’arabe : le malaise d’une langue d’ici et d’ailleurs

Hayat El kaaouachi, membre du collectif aggiornamento.

Dans une période riche de réformes et débats sur les enseignements scolaires et leurs modalités pratiques, on retrouve certaines constantes sur le sort de la langue arabe à l’école de la République. Malgré les rapports critiques[1], les articles de fond[2]et les quelques sollicitations politiques[3]de ces dernières années, rien n’est fait pour prendre la mesure des conséquences sociales, politiques, économiques même, de ce renoncement scolaire. Au delà du simple rappel d’une discrimination implicite, le sort réservé à la langue arabe dans l’enseignement depuis une génération est surtout révélateur des difficultés de la République à vouloir concilier l’universel et le particulier quand, dans les discours, la citoyenneté se confond avec l’identité.

Pourtant, la France fut un des pays occidentaux les plus dynamiques et investis dans l’enseignement de la langue arabe avec la fondation de l’école des langues orientales en 1795, la création de l’agrégation d’arabe en 1905 et du capes en 1975. L’héritage des Lumières et les enjeux économiques et culturels de la colonisation furent décisifs dans cette volonté politique et institutionnelle de former des arabisants. Paradoxalement, alors qu’aujourd’hui la demande sociale et les incitations des multinationales sont bien plus fortes qu’au XIXème et au XXème siècle, aucune mesure politique ambitieuse n’est menée pour garantir la continuité d’un enseignement conséquent de l’arabe. Si cette langue est bien enseignée à près de 9000 enfants et adolescents du système scolaire aujourd’hui en France, plus de 40000 autres suivent des cours dans de nombreuses structures associatives. Non seulement, l’Etat accepte cette situation mais il consacre la plus grande partie du budget de l’enseignement de l’arabe aux lycées français de l’étranger. Dans les deux cas, que ce soit sur le territoire français ou dans les établissements français de l’étranger, comment ne pas voir là une volonté d’externalisation de l’enseignement de l’arabe, une mise en périphérie engagée par les institutions?

De fait, les résistances sont nombreuses et se retrouvent à toutes les échelles: prétextant le risque communautaire ou les dérives islamistes, beaucoup de chefs d’établissement refusent l’arabe comme LV2 ou LV3 quand les rectorats incitent davantage au développement du chinois (27000 élèves) jugé plus porteur et prestigieux que l’enseignement d’autres langues vivantes. La plupart des poncifs sont ici réunis : langue d’une « communauté », langue « religieuse », langue « dangereuse ». Le ministère de l’Education Nationale se positionne difficilement et, dans cet attentisme[4], révèle trois failles de l’idéal républicain qui devraient interroger les politiques. Le gouvernement cède le terrain à un enseignement associatif moins encadré participant de plein pied à une construction autonome de groupes sociolinguistiques communautaires. Le gouvernement ne prend pas en compte l’inclusion dans la République des citoyens français descendants de la colonisation et de l’immigration du Maghreb (dont la très grande majorité n’est pas arabophone). Enfin, supposant que la langue arabe ne serait étudiée que par des publics scolaires qui y seraient liés par leur histoire familiale, le gouvernement déconsidère la portée de cette langue, participant ainsi à sa dépréciation conjoncturelle. Et l’arabe souffre bien de glissements sémantiques et symboliques inconscients qui, implicitement, l’associent à une dangerosité pour la République. Or, loin de favoriser le communautarisme, toute langue étrangère enseignée à l’école est avant tout une connaissance de l’autre et un levier d’ambition. Faudrait-il donc rappeler à nos dirigeants que l’arabe est une langue sans religion, que l’enseigner, c’est ouvrir à une vision complexe et dynamique des mondes arabes pour en souligner justement la diversité culturelle, la richesse littéraire, historique et philosophique ? Faut-il aussi redire que le choix des langues vivantes n’est pas que le résultat de logiques identitaires, que les logiques d’offre ou de distinction sociale ( une logique autrement identitaire) sont bien plus déterminantes ? N’est-il pas enfin temps d’assumer qu’aucune langue n’est incompatible avec la République ?

Le parallèle avec le sort des langues régionales en France est instructif. Déconsidérées par le rapport de l’abbé Grégoire en 1794 et proscrites dans le cadre de l’enseignement sous la III ème République, elles ont retrouvé les bancs de l’école après la seconde guerre mondiale. Malgré les débats autours Charte européenne des langues régionales et minoritaires, le basque, l’alsacien, le breton, le flamand et d’autres ont été reconnus comme « appartenant au patrimoine de la France » et sont enseignés à près de 270000 élèves du secondaire. Que ce soit dans le cadre des langues régionales ou de l’arabe, on retrouve cette inquiétude de la République face à des langues qui, paradoxalement, ne sont pas étrangères à la Nation mais la rappelant à sa diversité pourraient en fragiliser l’unité. D’où ce choix récurrent des politiques d’intégrer en acculturant avec cette dialectique précoce et pas toujours résolue entre l’égalité proclamée d’un droit universel et l’acceptation d’identités plurielles, ou comment concilier l’unité et la diversité. A la fois langue d’ici[5] et langue d’ailleurs, la langue arabe est un marqueur de cet entre-deux historique et géographique, de cette multiplicité culturelle inconfortable pour une République qui, inquiète de son unité, tend à privilégier l’adhésion exclusive de tous, avec un risque de confusion entre sujet politique et individu culturel. Il s’agit bien, quand la République est en crise, de favoriser un retour à « l’imaginaire du corps politique fusionnel »[6].

Malgré tout et bien que perçue comme une persistance d’étrangeté, l’arabe doit être davantage enseigné en France. Tout d’abord pour répondre à une demande sociale légitime et, comme d’autres pays européens dont le Danemark, miser sur le potentiel des « heritage language students ». Il ne s’agit plus de prétexter le classique refus républicain de l’assignation à résidence identitaire d’un public présumé.

Il faut, par ailleurs, enseigner l’arabe parce que c’est une langue vivante importante du monde contemporain et qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’en proposer la connaissance à un maximum d’élèves issus de tous milieux et de tous horizons. Certains élus n’hésitent pas à le rappeler [7] : « l’arabe, cinquième langue la plus parlée au monde (environ 250 millions de locuteurs), est l’une des six langues officielles de l’ONU. Cette langue est essentielle pour dynamiser nos échanges économiques et culturels avec le monde arabe. Deuxième langue la plus parlée en France, avec quatre millions de locuteurs, l’arabe a été reconnu « langue de France » en 1999, par la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : l’enjeu sociétal est donc évident ».

Ainsi, question scolaire et bien plus, le cas de l’enseignement de l’arabe en France est aujourd’hui symptomatique d’une République inquiète et encombrée par sa diversité. Une République dont de nombreux élus y compris au gouvernement, trop sensibles à la confusion entre dissonances culturelles et risques identitaires oublient que ce qui nous lie doit être, avant nos langues et nos pratiques, l’adhésion au politique.

[1] Actes du séminaire national : “Le centenaire de l’agrégation d’arabe” et L’enseignement des langues étrangères comme politique publique par François GRIN Professeur, SRED N° 19 Septembre 2005 RAPPORT ÉTABLI À LA DEMANDE DU HAUT CONSEIL DE L’ÉVALUATION DE L’ÉCOLE.

[2] « La langue arabe chassée des classes in Le Monde, 08.09.2009, « Il faut enseigner l’arabe dans le service public » in Le Monde, 11.02.2014 ou encore «L’arabe, une « langue de France » sacrifiée in Monde diplomatique, octobre 2012.

[3] Question écrite n° 10571 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam (Français établis hors de France – UMP)

publiée dans le JO Sénat du 20/02/2014.

[4] Ainsi depuis un an, l’arabe est la seule discipline scolaire à ne pas avoir d’Inspecteur Général.

[5] L’arabe fut officiellement reconnue langue de France en 1999

[6] L’impossible citoyen, L’étranger dans le discours de la Révolution française, Sophie Wahnich, Albin Michel 1997.

[7] Question écrite n° 10571 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam (Français établis hors de France – UMP)

publiée dans le JO Sénat du 20/02/2014.

1 Comment

  1. François Spinner

    Enseignement de l’arabe : le malaise d’une langue d’ici et d’ailleurs
    Deuxième langue la plus parlée en France, avec quatre millions de locuteurs et seulement quelques centaines d’enseignants (de l’ordre de 200 au niveau national je crois) certifiés ou agrégés, quelle honte !

    Il est vrai que même pour les élèves de familles arabophones, la langue arabe au collège est difficile ; cependant probablement beaucoup moins difficile que le chinois (mandarin)…

    Dans mon collège, aux Ulis, j’ai vu passer plus de 10 collègues d’Arabe en 10 ans qui enseignent sur deux établissements ou qui viennent de loin et ne sont jamais certains de retrouver leur poste l’année suivante car ils sont TZR (remplaçants).

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