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Encore une louche de sang impur, les enfants…

A l’Assemblée nationale, la séance du 29 juin dernier a donné l’occasion aux députés d’agiter l’un de leurs fétiches préférés : les symboles nationaux à l’école. En réalité, derrière le comique involontaire du débat, un projet de société brutal et rétrograde.

« Quand les drapeaux sont déployés, toute l’intelligence est dans la trompette. » Un aphorisme que Stefan Zweig aurait très bien pu appliquer à la séance de l’Assemblée nationale du 29 juin dernier : autour de la place des symboles nationaux à l’école, les députés ont fait assaut de poncifs patriotiques dans une surenchère certes grand-guignolesque mais qui en dit long sur le climat ambiant.

Hystérie nationale au Palais-Bourbon

Que les paroles de la Marseillaise soient affichées dans toutes les salles de classe, c’est effectivement la proposition de Bernard Debré (LR), justifiée par cette lumineuse interprétation des attentats terroristes : « Depuis un certain temps règne dans certaines écoles, et même dans de nombreuses écoles, l’indiscipline, voire le rejet des valeurs de notre République, comme en témoignent les réactions de certains élèves aux attentats survenus à Paris en janvier et en novembre de l’année dernière. Les comportements communautaires, les atteintes à l’autorité et les manifestations de rejet de la République s’y multiplient. » Vieille rengaine, entendue sur tous les bords depuis 18 mois mais néanmoins reprise et amplifiée par l’inénarrable Ciotti qui croit nécessaire d’en rajouter une couche en demandant que le drapeau tricolore soit accroché dans toutes les classes avec cet autre argument de haute volée : « Au moment de l’affaire Benzema, j’ai entendu quelqu’un déclarer, lors d’une interview, « On ne nous a pas appris à aimer la France. » Tout le problème est là ! C’est le problème d’une grande partie de la jeunesse. Aujourd’hui, nous avons besoin de réécrire notre roman national ; nous avons besoin de brandir nos drapeaux […] » Emporté par l’enthousiasme et les encouragements de ses collègues, Ciotti se fait alors lyrique, il décolle : « Il faut aujourd’hui avoir la fierté d’aimer la France, et de le dire. C’est un enjeu essentiel, ce n’est pas anecdotique […] Il faut apprendre à aimer l’hymne tricolore, apprendre à aimer le drapeau, parce qu’on n’a pas suffisamment enseigné aux jeunes cet amour des symboles de la République. » Poursuivant sa brillante analyse : « Nous avons été témoins, depuis un an et demi, de l’affaiblissement de ces valeurs tricolores aux yeux de beaucoup de jeunes, de trop de jeunes, qui nourrissent même une haine de ce que représente leur pays, ce pays où ils sont nés et pour lequel ils nourrissent pourtant une haine viscérale. » Avant de conclure, au bord de l’épectase : « Notre société connaît assez de maux et de difficultés, elle est suffisamment marquée par la désagrégation sociale, avec une jeunesse en perte de repères, de valeurs et de garde-fous, pour que nous nous accordions sur l’importance d’aller plus loin dans l’affirmation des symboles de la nation. »

Surenchère patriotique

De Ciotti, de Debré (le même qui, dans la même séance, suggère d’instaurer l’uniforme scolaire) et de leurs collègues, ce type d’interventions ne surprend pas, s’inscrivant dans un confusionnisme qui tient lieu de ligne de conduite, amalgamant tout et n’importe quoi : terrorisme, jeunes, école, crise sociale, repères, valeurs, communautarisme, nation, république etc. Mais poser les symboles nationaux comme ultime horizon, réduire la question scolaire – question sociale par excellence – à un défaut d’intégration d’élèves toujours considérés comme « issus de l’immigration », être incapable de concevoir une vie en société qui trouverait ses références ailleurs que dans une identité nationale largement fantasmée, cette perception des choses n’est malheureusement pas l’apanage d’une droite politique dite « décomplexée », en réalité contaminée par les représentations identitaires de l’extrême-droite. De fait, au cours de cette séance, non seulement il ne s’est trouvé aucun parlementaire pour relever le caractère aberrant, quasi surréaliste du débat, mais au cours de leurs interventions, les députés de gauche ont au contraire cru nécessaire de surenchérir sur les thèses des comiques de la droite, redoutant comme la peste un procès en anti-patriotisme. Aux revendications de Ciotti sur la place des symboles nationaux à l’école, c’est Annick Lepetit (PS) qui répond qu’ils y sont déjà : « le drapeau tricolore ne vous appartient pas, Monsieur Ciotti ! » Ou encore, Brigitte Bourguignon (PS) : « nous aimons autant la France que vous. » Quant à André Chassaigne (PC), qui se désolait de l’absence des scolaires devant les monuments aux morts, il a, lui, « l’immense bonheur de constater aujourd’hui que les instituteurs viennent le dimanche avec les élèves, et avec eux les parents d’élèves. » Et en plus, ils chantent la Marseillaise… Histoire de ne pas rater le train, Kanner, le ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports se félicite de voir les efforts fournis par l’EN dans « l’affirmation des principes que sont l’amour de la patrie, la reconnaissance de ses valeurs et la défense de la République. » De quoi se plaint-on ?

Les oripeaux nationaux comme cache-misère

En réalité, ces propos d’estrade, ces disputes factices ne peuvent pas faire oublier qu’en la matière – la célébration de l’identité nationale – non seulement l’unanimité règne dans l’hémicycle mais que, ces derniers mois, l’Education nationale a joué un rôle moteur dans sa promotion, entraînée dans une sorte de griserie dont on ne voit pas la fin même si on en pressent les effets. Drapeau tricolore accroché dans les écoles, Marseillaise envahissante (2016, année de la Marseillaise), enseignement de l’histoire en primaire confisqué par le roman national, participation plus ou moins forcée aux commémorations qui s’affichent ouvertement comme patriotiques, renforcement de l’éducation à la défense visant à légitimer la guerre, détournement identitaire du principe de laïcité : l’école est tout bonnement en train de devenir le terrain d’expérimentation d’une idéologie profondément malsaine, qui consiste, par delà une unité contrainte, de commande, à imposer aux élèves dans un premier temps, puis à toute la société, une très discutable vision du monde, de la vie en société, du rapport au politique. Quelque chose qui tient davantage du conditionnement que de l’adhésion critique et raisonnée et qui tourne facilement à l’addiction avec des conséquences qu’on peut mesurer, par exemple, dans le programme éducatif – c’est ainsi qu’il l’appelle – présenté par Copé (LR) pour les présidentielles : mieux que Debré ou que Ciotti, ce leader de droite se délecte à l’image des élèves en uniforme, au garde-à-vous devant le drapeau et chantant la Marseillaise. Un objectif – « transmettre la fierté d’être français » – curieusement couplé à un autre – « renouer avec l’égalité des chances » – et dont Copé donne une vision très personnelle, puisqu’il ne s’agit pas moins que de supprimer le collège unique et de rétablir l’apprentissage à 14 ans, deux mesures défendues de longue date par toute une mouvance réactionnaire qui n’a jamais accepté la démocratisation scolaire. Une ségrégation sociale clairement assumée, camouflée derrière une unité nationale qui, pour hypothétique qu’elle soit, prend ici sa pleine signification : occulter la question sociale, noyer le débat politique derrière une identification arbitraire.

Il y a encore quelques années, aucun politicien soucieux de sa carrière ne se serait laissé aller à un discours sur l’école dont l’effet le plus sûr aurait été de susciter l’incrédulité voire l’hilarité générale. Mais aujourd’hui, les vannes sont ouvertes, tout est permis, même le plus stupide et le moins fondé, dans une dérive qui balaye tout l’échiquier politique, comme le montre cette séance de l’Assemblée nationale et n’épargne pas une large partie de l’opinion publique. Agiter les oripeaux nationaux n’est pas anodin : il est très significatif que l’injonction identitaire qui cible l’école intervienne à un moment de l’histoire où le régime républicain, empêtré dans ses contradictions et dans la nostalgie d’un passé largement falsifié, n’ait plus guère que la propagande et la brutalité pour se défendre. Marseillaise et drapeau à l’école ; violences policières dans la rue : tout se tient.

Au cours de la même séance, un parlementaire (Morel-A-L’Huisser, LR), convaincu de la nécessité de « sanctionner le fait de tenir des propos injurieux à l’encontre de la France » a défendu un amendement créant le délit d’ « outrage à la république » – en plus de celui qui existe déjà, punissant l’ « outrage aux symboles nationaux ». Amendement certes rejeté, pour l’instant, mais qui illustre cette tendance lourde qui consiste à pénaliser, donc à interdire, toute remise en cause des institutions politiques.

De façon très révélatrice, cette séance de défoulement patriotique s’est déroulée dans le cadre de la discussion de la loi égalité et citoyenneté. Ce qui dit beaucoup de choses sur les représentations et les arrière-pensées des parlementaires : à l’école, la citoyenneté, c’est d’abord l’apprentissage de l’obéissance à un ordre politique considéré comme le seul possible, le seul légitime.

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