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Encombrements rue de Grenelle

Un article publié sur le site Aggiornamento histoire-géo et repris ici avec l’aimable autorisation de l’auteure.

Suzanne Citron
(Cette tribune est parue dans Libération le 3 décembre 2013)
Le feuilleton des rythmes scolaires devrait conduire à une interrogation plus générale sur l’enveloppe institutionnelle de notre Education nationale. Celle-ci demeure en effet une administration centralisée empilant directions, inspections, délégations, bureaux, coiffant un système hiérarchisé de 30 académies dans lesquelles chaque recteur dispose d’adjoints, services, directeur de cabinet, conseillers techniques, personnels d’inspection, auxquels s’ajoutent, dans chacun des 97 départements, le directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale (Dasen), ses adjoints, secrétaires, inspecteurs… L’organigramme de la direction générale des enseignements scolaires (DGesco) est l’illustration symbolique de cette gouvernance bureaucratique (cf.education.gouv.fr).

La centralisation administrative est un héritage napoléonien, entériné par les républicains opportunistes des années 1880, non mise en cause à la Libération, alors que la haute administration avait, en juillet 1940, dans sa quasi totalité, fait allégeance à Vichy. Certes des évolutions ont vu le jour, mais, créée à la Libération, l’ENA s’est coulée dans le moule des grandes écoles. Et la régionalisation et les différents actes de la décentralisation n’ont pas généré de révolution dans la pléthore des services centraux.

S’il est un point jamais abordé par Vincent Peillon, y compris dans sa récente interview à Libération (25 novembre), c’est bien celui-là. Comment expliquer que le projet de refondation de l’école ne s’accompagne pas d’un «choc de simplification» de ces institutions surabondantes, tant du point de vue de leur efficacité que de leur coût ? Cela porterait-il atteinte à la «République», dont les invocations n’ont jamais été aussi nombreuses, de tous les côtés de l’échiquier politique ? La fréquence de ces invocations ne serait-elle pas l’arbre cachant la forêt d’une crise profonde de la culture républicaine qui, sous couvert de ses valeurs fondamentales, amalgame de façon indécise la Nation source de la souveraineté, l’Etat détenteur du pouvoir et l’administration opératrice de l’Etat.

Dans cette culture, le dogme républicain de l’égalité, captif de la superstructure centrale, se mue en prescription d’uniformité. Et le système éducatif se révèle faussement égalitaire et profondément inefficace. La chape hiérarchique, garante de cette uniformité bureaucratique par un flux de circulaires et des programmes trop chargés et détaillés, bloque les initiatives du terrain quand elle ne les décourage pas, alors que celles-ci devraient être facilitées et soutenues pour répondre à la diversité et à la complexité des situations concrètes.

La France est le seul pays européen à entretenir pareil encadrement administratif pour l’éducation de ses enfants. Il est pour le moins curieux que cet état de fait ne soit jamais incriminé face aux résultats peu gratifiants des enquêtes Pisa ou autres tests internationaux. Il est symptomatique que Vincent Peillon, pourtant fin analyste du système, ait pensé, sans la moindre réforme de la structure administrative, faire assumer la refondation à 1400 inspecteurs réunis en février 2013. De même, en confiant à quelques-uns d’entre eux le soin d’un rapport sur le primaire, il a pris le risque que ces hauts responsables, évaluant les distorsions entre programmes et résultats, n’imputent la responsabilité des échecs et des précoces décrochages qu’aux seuls enseignants, sans mettre en cause la globalité du système (Le Monde du 23 novembre).

Parallèlement à la relance de la réforme financière, une réflexion plus générale ne pourrait-elle s’engager sur la confusion entretenue sous couvert de la République entre carcan administratif et service public. Cela pose évidemment la question du «millefeuille» et de son entrelacement d’instances, mais aussi celle de l’incapacité de la droite comme de la gauche à réorganiser l’Etat central.

L’Etat est aux mains de hauts fonctionnaires et de conseillers ministériels, la plupart issus des grandes écoles ou des grands corps qui, ENA comprise, sont nourris d’une même culture centraliste et hiérarchique combinée désormais à un management technocratique. Spontanément ils n’ont ni la formation, ni le contact avec le quotidien, ni la motivation pour repenser des institutions dans lesquelles ils baignent. Combien seraient prêts à mettre en cause les parcours méritocratiques qui les ont portés au sommet de l’appareil d’Etat et, pour quelques très hauts gradés, à supprimer le si confortable et si peu «républicain» pantouflage qui assure leur carrière ?

Les parlementaires, qui incarnent la Nation, ne pourraient-ils, a contrario, par-delà leurs invocations à la République, oser un inventaire des contradictions et des hypocrisies de cette République dans ses codes et ses pratiques et répertorier les impasses de ses méthodes. S’agissant de privilèges, auront-ils le courage de répertorier les leurs et d’y mettre bon ordre, initiant parallèlement réforme administrative et réorganisation du train de vie de l’Etat. Ils inventeraient ainsi une République de la sobriété et du civisme dont on avait pu croire qu’elle était celle de François Hollande.

Abolition des privilèges, reconfiguration de l’administration et en premier lieu celle de l’Education nationale : il faudrait aussi que les partis républicains cessent de se balancer des éléments de langage et que les langues de bois cèdent à des débats sans complaisance mais constructifs et réellement tournés vers le Bien commun. Utopie naïve, impossible gageure ? Face aux accents totalitaires de Marine Le Pen se voulant l’unique porte-voix de la Nation et de la République, cet aggiornamento est pourtant indispensable.

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