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Éducation prioritaire, la défendre ?

Enseignant en ZEP depuis longtemps et en REP depuis peu, j’ai toujours quelques scrupules à défendre un dispositif dont je doute de l’efficacité. Non pas que je n’adhère pas à la déclaration inaugurale de Savary en 1981, ni même que je doute de ce que j’y vis au quotidien comme enseignant et pédagogue, mais je ne crois pas à l’éducation prioritaire en tant que système.

A en croire ses déclarations, l’actuelle ministre, Najat Vellaud Belkacem, n’y croit pas non plus et parle de remise à plat… Budgétaire ?
Déjà en 1992, un premier audit de la ZEP concluait à l’innocuité de ses dispositifs sur la réussite des élèves et soulignait par ailleurs, combien les moyens financiers bien qu’exclusivement favorables aux enseignants, ne parvenaient pas à stabiliser les équipes pédagogiques et permettait donc pas l’évaluation de leur “réussite pédagogique”.
Depuis trente ans l’éducation prioritaire ne réussit pas à “corriger” les inégalités sociales face au savoir et à la réussite scolaire. Le ministère de l’Éducation nationale le confirme lui-même en citant le très controversé rapport PISA de 2013 : en France, le déterminisme social pesant sur la réussite ou l’échec scolaire s’est aggravé de 33 %. Par ailleurs, l’écart dans la réussite, entre les élèves issus de classes favorisés et ceux des classes défavorisés dans leur parcours scolaire s’est tellement peu réduit depuis 2002, que le ministère se donne pour objectif (non défini dans le temps) de le réduire à 10 %. Ainsi, au sortir des études secondaires, l’orientation des élèves venant de REP se résume souvent à une suite d’inégalités de chance d’accéder aux filières demandées. Enfin de 2007 à 2012, les atermoiements des représentants politiques locaux, la recherche de distinction sociale qu’offre le contournement possible de la carte scolaire ont, de façons différentes, diminué la mixité sociale des ZEP-REP et contribué dans certaines académies, à la ghettoïsation de populations socialement défavorisées.

Pourquoi alors poursuivre et reconduire ce dispositif ?
Pourquoi en 2007, en dépit d’un discours libéral, du retour idéologique à l’élitisme et au mérite républicain, le candidat Sarkozy ne promet pas l’abandon de l’EP mais bien son extension et le renforcement de ses moyens ? Bien sur, son gouvernement, n’a pas tenu sa promesse de d’embauche et de diminution des effectifs à 15 élèves par classe et a fini par baisser ses moyens humains et financiers. Bien sur, la concertation de ceux-ci dans les projets d’ambition réussite et sur les établissement éclair a accentué, par un phénomène de vases communicants, la mise concurrence des établissement et les inégalités de moyens sur un même secteur pédagogique. En dépit de ses promesses égalitaires non tenues ou de la crise financière, les gouvernements successifs reconduisent le dispositif, en le réformant à la marge, parce qu’il est une réussite politique !

  • il est un instrument utile de régulation des populations dans la politique de la ville : depuis trente ans sous la pression constante d’élus, le nombre d’établissements intégré au REP a été multiplié par trois.
  • Il est un moyen de contrôle des populations défavorisées. Le volet éducationnel de la réforme de Sarkozy, toujours en application, éclaire un autre aspect de cette dimension politique : des moyens pédagogiques et humains supplémentaires ont été attribués dans le cadre d’une politique de la ville ciblée au EP1 (établissement ÉCLAIR) en fonction des critères de prévention à la violence et du décrochage scolaire.
  • Il a une valeur symbolique qui maintient l’illusion d’une possible régulation positive de l’inégalité sociale au travers de structure institutionnelle de l’État républicain.

La réussite politique de l’Éducation prioritaire pourrait se résumer par la rencontre d’objectifs de nature politique, géographique, démographique et symbolique : un traitement sécuritaire de la jeunesse pauvre, une réponse aux besoins des familles, le maintien d’un service public de proximité, et, l’entretien d’une valeur nécessaire à la cohésion de la collectivité nationale . Sur de nombreux quartiers les établis-sements du REP participent du maintien de la paix sociale !
Les usagers sont d’ailleurs les premiers à le reconnaître : si des années 80 aux années 90, le label ZEP était considéré par les élus et les concitoyens comme péjoratif et stigmatisant, depuis 2002, on ne compte plus les mouvements de lutte des parents d’élèves et de citoyens pour le maintien de telle classe ou telle école dans le REP. Ce renversement de situation ne témoigne pas seulement d’un attachement à son inscription géographique mais également, de la réussite partielle du déplacement du débat politique sur l’intégration, la réussite individuelle et collective ou de l’égalité sociale sur celui de l’égalité des chances à l’école.
Cette réussite partielle est d’autant moins explicitée et défendue qu’elle est fragilisée par la remise en cause de l’institution scolaire, dans son ensemble, par la marchan-disation du savoir, de ses apprentissages et de ses usages par le capitalisme globalisé.
L’EP est un système malmené par ses contradictions, dans lequel s’opposent ses finalités sociales déclarées et celles d’une institution au service de la sélection d’une élite. Elle est en fait un lieu de conflit social et de lutte de classe non déclarée. L’institution sait bien que l’école seule ne peut résoudre ce conflit social et réformer la société. Handicapée par ses contradictions idéologiques et organisationnelles, elle serait bien incapable de se réformer et de s’appliquer les préconisations pédag-ogiques qu’elle destine aux enseignants et intervenants en REP. Comme dans tout système de domination, Elle compte sur l’investissement humain et professionnel de ses salariés au contact direct avec ses usagers pour entretenir sur le terrain, l’illusion que l’ascenseur social fonctionne encore.

Quelle éducation prioritaire défendre ? Pourquoi la défendre ?
S’il y a quelque chose à défendre, ce n’est pas le système mais la dimension humaine des REP. Il faut défendre les élèves, les équipes pédagogiques, les agents et tous les acteurs qui participent à rendre meilleur la vie collective dans les établissements et écoles des REP. Au pire, ils sont bien obligés de croire à ce qu’ils y font, au mieux, de s’interroger sur ce qu’ils font ensemble. Les contradictions de l’institution pèsent de façon concrète sur les conditions de travail des équipes pédagogiques. Les enseignants n’y sont ni meilleurs ni pire qu’ailleurs, mais les plus conscients ou investis, savent qu’il faut y penser collectif pour résister aux injonctions contradictoires et continuer à enseigner. Solidaires avec les élèves et leurs parents, réunies localement, ici et là, à l’occasion de mouvements de contestation de la DHG ou en réponse à des problèmes structurels ou éducationnels, ils expérimentent parfois, organisent des projets pédagogiques ou luttent pour pérenniser des postes et des moyens vitaux.
Je pourrais conclure rapidement que l’expérience est positive malgré elle, comme l’adversité est formatrice. Mais je préfère retenir qu’on y apprend que l’enseignement est une activité sociale et socialisante. En REP, quand on est un enseignant conscient de son rôle et de ses limites, on fait de la pédagogie différenciée, non pour se conformer à la demande d’un IA-IPR, mais pour répondre aux besoins de classes très hétérogènes. En REP, quand on est enseignant dans le secondaire et qu’on veut faire progresser une classe ou résoudre des conflits, on joue collectif et on consulte ses collègues. En REP, quand on veut maintenir des projets pédagogiques ou des dispositifs d’aide menacés par une diminution de la DHG, on se met en grève. Pour des raisons évidentes de survie, les enseignants de REP, contraints ou conscients, redécouvrent la solidarité et la revendication quand ces habitudes se perdent dans les zone d’enseignement dite normale.
Les acteurs de la REP qui continuent à défendre une égalité concrète de moyens ( financiers, humains et horaires) pour assurer la réussite de tous les élèves, ne le font pas par idéologie mais par expérience sociale. ils ne font pas que demander un effort aux contribuables, mais renouvellent la revendication d’un partage équitable des richesses, y compris intellectuelles. Celle-ci interroge à nouveau le problème de la finalité de l’école en ce qu’elle s’oppose pratiquement à l’ idéologie individualiste prônant l’exclusion et encourageant la concurrence.
Malheureusement en dépit de leur conscience professionnelle ou de leur esprit collectif, les équipes pédagogiques des REP ont du mal à faire de leurs revendications très localisées, des revendications plus générales, plus programmatiques. Alors qu’il y aurait du contenu ils peinent à constituer le début d’un programme de contre propositions. Ils ne sont certes pas aidés par une majorité de syndicats qui, aveuglés par des stratégies politiques et corporatistes un peu dépassées, ne savent pas reconnaître dans leurs actions des revendications de portées plus globales. Aucun n’a par exemple profité des mobilisations locales contre les nombreuses diminutions de DHG et la sortie de 200 établissement de REP, pour appeler à une grève nationale et pour dénoncer comme en d’autres temps le “désengagement de l’état”.

Enfin s’il fallait renverser le paradigme et s’interroger sur ce que l’organisation de la REP peut apporter à l’école publique comme avancée pratique , il suffirait d’étendre et généraliser la diminution massive du nombre d’élèves par classe, de la maternelle au secondaire, pour que les conditions d’une pédagogie plus adaptée en classe s’en trouvent améliorées.

1 Comment

  1. VANHEE Francis

    Vivre ensemble ? Mixité sociale ?
    Texte paru dans Combat Laïque du Comité de Réflexion et d’Action Laïque -CREAL 76- http://www.asso76.com/creal76

    Vivre ensemble ? Mixité sociale ?

    Ces deux expressions sont invoquées depuis les assassinats à Charlie Hebdo et au magasin casher de Vincennes. Comment croire au vivre ensemble quand on habite à La Madeleine à Evreux, aux Sapins à Rouen, à la Mare Rouge au Havre…, quand on fait partie des 5,2 millions de chômeurs ou des 8 millions de personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté (dont 2 millions d’enfants), quand on vient grossir les rangs de bénéficiaires des Restos du cœur ? Comment patrons et nantis peuvent-ils en parler tout en pratiquant l’évasion fiscale (presque équivalente à la dette annuelle de l’Etat) et en vivant dans des quartiers protégés où l’entre soi social est de stricte observance ? Comment le gouvernement peut-il invoquer ces expressions, lui qui refuse d’augmenter les minimas sociaux et le SMIC tout en faisant des cadeaux au MEDEF, en diminuant les dotations aux collectivités locales qui taillent ensuite dans les subventions aux associations, à la culture, dans leur budget social ruinant dès lors les efforts pour plus d’égalité et pour développer le lien social ?

    Une ségrégation qui rend sourd aux injonctions républicaines

    Le discours sur « la grande mobilisation sur les valeurs de la République » (Manuel Valls) est en effet inaudible comme le remarque Philippe Tournier (Syndicat des Personnels de Direction de l’Education Nationale-SNPDEN) : « Il faut comprendre que tant que la réalité vécue par ces jeunes et leur famille est le contraire de ce qu’on dit, il ne sert à rien de parler de valeurs républicaines. On parle de vivre ensemble mais une partie de la population voit bien qu’elle ne vit pas avec les autres ». Analysant le bilan de la réforme de l’école à mi-mandat fin 2014, le sociologue Pierre Merle note que l’école reste inégalitaire et par suite « un ferment de l’extrémisme ».(1) Comment adhérer aux objectifs de mixité sociale et de vivre ensemble du Service civique universel alors que, dès le plus jeune âge, la jeunesse scolaire est séparée en deux systèmes scolaires à forte différenciation sociale s’ajoutant -et l’aggravant – à la relégation d’un grand nombre de quartiers urbains périphériques ?

    Dualisme social et dualisme scolaire

    L’analyse des résultats des évaluations PISA de 2012 montre en France une aggravation des « difficultés » des élèves des catégories populaires -dont ceux issus de l’immigration- dans un contexte d’accroissement des écarts de réussite. On peut noter un contraste entre les écoles françaises et suédoises d’une part, avec des inégalités croissantes et une baisse du taux de réussite et, d’autre part, les écoles allemandes et polonaises où la réussite progresse. La Suède a privilégié depuis quelques années, abandonnant la tradition nordique, les écoles privées et les cursus différenciés. En France, nous avons des filières très hiérarchisées et une sélection sociale renforcée par les écoles privées. Au contraire, les écoles allemandes et polonaises ont favorisé « l’hétérogénéité sociale et académique ». (2) Cette politique inclusive a produit « augmentation du niveau et baisse des inégalités ». De plus, pour le cas de la France, malgré une politique affichée en faveur de « zones prioritaires », la Cour des Comptes pointe en 2012 « l’inégalité des moyens sur le territoire » (voir article ‘Education Nationale ?’ dans Combat Laïque N°55). Ceci est confirmé par le sociologue Pierre Merle : « Le principe d’égalité à la française est étrange : il est sollicité pour ne pas donner réellement plus à ceux qui ont moins, vite oublié pour donner plus à ceux qui ont plus ». Philippe Tournier (SNPDEN) et Pierre Merle se rapprochent sur un point : « Ce que souhaitent les habitants des quartiers, c’est fuir ailleurs. On peut toujours améliorer les conditions d’apprentissage. Si les élèves d’une zone reléguée restent entre eux, même avec des classes de 15 élèves, on ne règlera rien » note l’un (3), « le label éducation prioritaire fait toujours fuir les élèves de catégories moyennes et aisées », remarque l’autre.(2) Les stratégies d’évitement passent souvent par les options linguistiques, européennes, sportives. L’enseignement privé en use beaucoup et agit de plus en franc tireur, étant une pièce essentielle du tri social, de la ségrégation sur fond de confessionnalisme renforcé par l’adoption de nouveaux statuts de l’enseignement catholique (95 % des établissements privés) en 2013. Nous nous sommes déjà fait l’écho d’une étude (accessible en tapant : Du Parquet, Brodaty et Petit ) pointant que près de 20% des établissements privés ont recours à la discrimination ethnique dans leur stratégie de recrutement. Dès lors, bouleverser la carte scolaire parait nécessaire pour aller vers plus de mixité sociale mais restera illusoire tant que subsistera un système d’enseignement privé fonctionnant sur fonds publics et libre de toute entrave pour choisir le profil de ses élèves et de ses enseignants. Et si toute la jeunesse se retrouvait sur les mêmes bancs des écoles dès la maternelle, ne serait-ce pas un grand pas vers la confrontation aux différences, la lutte contre les communautarismes sociaux, religieux… et vers la mixité sociale ?

    Renforcer l’autorité du maître ?

    Dualisme social et dualisme scolaire se conjuguent sur fond de confessionnalisme réaffirmé par la hiérarchie catholique et les établissements privés d’enseignement sont aussi utilisés par des familles de confession juive ou musulmane (ou non) permettant une stratégie de fuite particulièrement néfaste dans les quartiers populaires. Parmi les mesures proposées par le gouvernement figure la réforme de la carte scolaire au niveau des collèges. Pourquoi pas dès le début de la scolarité ? Les autres mesures proposées ne sont pas forcément nouvelles et semblent privilégier une optique autoritaire et sécuritaire si l’on en croit cette affirmation de F.Hollande : « C’est en renforçant l’autorité du maître qu’on fera partager les valeurs républicaines ». (4) Au demeurant, « la grande mobilisation » décrétée par Manuel Valls le 22 janvier débouche sur un budget chiffré à…250 millions € en 3 ans pris sur des crédits gelés. Les autres annonces relèvent essentiellement d’une utilisation « d’un esprit du 11 janvier » pour enjoindre au respect de valeurs républicaines. Les questions de la mixité sociale et du vivre ensemble -qui resterait à définir- ne peuvent trouver une solution crédible, concrète et durable qu’en liant le combat social au combat laïque.
    (1) Editorial du Café Pédagogique 159 de janvier, lien vers article de Pierre Merle
    (2) Interview de Pierre Merle dans le Café Pédagogique du 5.12.2013
    (3) Interview de Ph.Tournier dans le Café Pédagogique du 13.01.2015. Sur la question particulière de la réduction des effectifs, on ne peut être d’accord avec Tournier, plusieurs études et thèses montrent le contraire, à savoir l’effet bénéfique d’un allègement: STAR aux Etats-Unis, Picketty en 2006, Valdenaire en 2011 (zonez prioritaires).
    (4) Hollande : Acte II pour rappeler l’autorité à l’école (Café Péda 159 de janv. 2015)

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