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Écoles citoyennes, cités éducatrices

Projets et pratiques en action

En septembre 2016, Moacir Gadotti, président d’honneur de l’Institut Paulo Freire au Brésil a rédigé un texte contre le mouvement de l’école sans parti. Il y voit en particulier une attaque contre le mouvement des écoles citoyennes. Le texte ci-dessous, daté de 2002, montre comment il présente le mouvement des écoles citoyennes, il y a une quinzaine d’année, peu de temps après leur émergence. En 2014, se tenait le VIIIe congrès international du mouvement des écoles citoyennes et des villes éducatrices.

Moacir Gadotti (2002)
Directeur de l’Institut Paulo Freire
Professeur titulaire de l’Université de San Pablo

La relation entre « école citoyenne » et « cités éducatrices » se trouve dans l’étymologie même des paroles « citoyen » et « cité ». Les deux dérivés de la même parole latine « civis », citoyen, membre libre d’une cité à laquelle il appartient par origine ou par adoption, néanmoins sujet d’un lieu, celui qui s’est approprié un espace, un lieu. Ainsi cité (civitas) est une communauté politique dont les membres, les citoyens, s’auto-gouvernent et citoyen est la personne qui profite d’un droit de cité. « Cité », « citoyen », « citoyenneté », se réfèrent à une certaine conception de la vie des personnes, celle qui vivent de manière civilisées (de civilitas, affabilité, bonté, courtoisie), participant d’un même territoire, s’autogrouvernant, construisant une « civilisation ».

Il est clair qu’à Rome, ce concept de sujet de la cité était limité seulement à quelques hommes libres, dont la culture était le reflet du loisir et non du travail. Le travail était réservé aux nombreux esclaves. Ils étaient des sujets « assujettis », soumis et, cependant, ils n’étaient pas considérés comme des citoyens, n’avaient par les droits de la citoyenneté, ni n’étaient considérés comme civilisés, mais comme des étrangers, des barbares, ne pouvant pas profiter des bénéfices de la civilisation. De l’origine du mot dans l’Antiquité, nous passons aux réalités qui aujourd’hui désignent ce que l’on appelle « l’école citoyenne » et la « cité éducatrice ».

L’école citoyenne

L’idée et le projet d’une école citoyenne sont nées au Brésil, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, en étant fortement enracinées dans le mouvement de l’éducation populaire et communautaire qui durant la décennie 80 a introduit l’expression « école publique populaire ». On désigne communément par « École citoyenne » une certaine conception et une certaine pratique de l’éducation « par et pour la citoyenneté », qui sous différentes dénominations, sont réalisées, dans différentes régions du pays principalement dans les municipalités où le pouvoir local a été assumé par des partis du camp démocratico-populaire.

La plus grande ambition de l’école citoyenne est de contribuer à la création des conditions pour le surgissement d’une nouvelle citoyenneté comme espace d’organisation de la société pour la défense des droits et la conquête de nouveaux droits. Il s’agit de former pour la gestion d’un nouvel espace public non-étatique, une « sphère publique citoyenne » (Jurgen Habermas), que amène la société à prendre une part active dans la formation des politiques publiques, visant à un changement de l’État vers une forme radicalement démocratique.

Ce fut Paulo Freire qui le mieux a définit une éducation pour et par la citoyenneté quand dans les Archives Paulo Freire, à San Pablo, le 19 mars 1997, dans un entretien avec la télévision éducative de Rio de Janeiro, il parla de sa conception de « l’école citoyenne » : « L’école Citoyenne est celle qui s’assume comme un centre de droits et de devoirs. Ce qui la caractérise, c’est la formation pour la citoyenneté. L’école citoyenne, alors, est une école, qui rend réalisable la citoyenneté de celui qui y participe et de celui qui y vient. Elle ne peut pas être une école citoyenne en soi et pour soi. Elle est citoyenne dans la mesure même où l’on s’exerce à la construction de la citoyenneté dans son espace. L’école citoyenne est une école cohérente avec la liberté. Elle est cohérente avec son discours formateur, libérateur. C’est toute l’école qui s’efforçant pour être elle-même, lutte pour que les éducateurs et les éduqués soient eux-mêmes. Et comme personne ne peut l’être seul, une Ecole Citoyenne est une école de communauté, de compagnonnage. C’est une école de production commune du savoir et de la liberté. C’est une école qui vit une expérience intense de démocratie ». Paulo Freire associait citoyenneté et autonomie. Dans son dernier livre, il affirme que « le respect de l’autonomie et de la dignité de chacun est un impératif éthique et non une faveur que nous pouvons ou non nous concéder les uns aux autres ».

Tant dans sa conception que dans ses pratiques, l’école citoyenne se traduit par différents noms et caractéristiques propres. On peut ainsi parler de diverses tendances de l’école citoyenne. Cela est naturel dans la mesure où nous ne pouvons pas séparer la « citoyenneté » de l’autonomie. L’éducation citoyenne se retrouve sous différents noms :  École publique populaire (San Pablo), École démocratique (Betim), École plurielle (Belo Horizonté), École vagabonde (Brasilia), École minime (Gravatai), Écoles sans frontières (Blumenau), École Guaycuru (Estado del Mato Grosso do Sul), École du temps integral (Colatina), École du défi (Ipatinga). Ce qui importe ce n’est pas le nom, mais la pratique d’une école honnête, sérieuse, amicale, avec une nouvelle qualité, une école attentive aux besoins des enfants, des jeunes et des adultes, des communautés, qui contribuent au « buen vivir », cela pour une vie en meilleure santé, productive, soutenable et heureuse.

L’exemple le plus remarquable « d’école citoyenne », c’est celle de Porto Alegre. A Porto Alegre, dès la première gestion démocratique-populaire, initiée en 1993, l’école citoyenne comprend, principalement, le plan participatif, l’autonomie de l’école comme stratégie de qualité d’enseignement et la construction de la citoyenneté comme pratique pédagogique.

Avec un autre nom, entre 1993 et 1996, dans la municipalité de Belo Horizonte, s’est déroulé l’expérience de l’école plurielle qui a servit d’aide pour que beaucoup de municipalités élaborent leur politique éducative pour une éducation pour et par la citoyenneté. L’école plurielle, dans une perspective citoyenne, a pris ce nom pour construire une politique éducative municipale à partir de la pluralité des expériences émergentes dans le réseau municipal d’éducation.

Dans d’autres municipalités et États, l’idée de l’école citoyenne s’est traduit par des caractéristiques locales propres, comme à Gravatai, où, dès 1997, le secrétariat municipal de l’Éducation a entamé un riche processus de réorientation curriculaire et de formation continue des maîtres relié aux racines populaires. La même chose est arrivée dans des villes proches : Viamâo y Alvorabda. A Caxias do Sul, de la même manière, le Secrétariat de l”Éducation a mobilisé toute la ville pour la construction de la participation et de la démocratie dans le mouvement civique pour la proposition participative dans l’éducation. Appuyé sur Paulo Freire, il a compris cette évaluation comme une redéfinition conjointe des chemins qui doivent être parcourus par les citoyens.

Des expériences similaires ont eu lieu dès la fin de la décennie des années 1990 dans des villes comme celles de Chapeco et Dionisio Cerquiera dans l’État de Santa Catalina, Mau Diadema, Santo André y Franca, en el Estado de San Pablo, Icapui, en el Estado del Ceara, en Goiâna, en el Estado de Goias, en Belem, en el Estado de Para, avec la dénommée « École cabane » entre autres. Le grand défi de ces projets a été la discontinuité administrative des gouvernements municipaux. De là l’insistance de beaucoup d’éducateurs dans l’autonomie de l’école, fortifiant le projet politico-pédagogique de l’établissement scolaire.

Dans deux gestions, dès 1993, la secrétaire de l’Éducation de Uberaba a développé un beau projet avec comme base les principes de l’Ecole citoyenne, initialement orientée par Paulo Freire. Uberaba a compris l’école citoyenne comme une « construction amoureuse  de la citoyenneté » et fit une nouvelle contribution au projet en associant connaissance, sensibilité et soutenabilité. Comme le voulait Paulo Freire : une école « sérieuse, curieuse, problématisante, critique, créatrice et, surtout, joyeuse et plaisante ».

A Blumenau a partir de 1977, le gouvernement municipal a travaillé sur le concept d’Ecole sans frontières- « construisant une citoyenneté par l’éducation »-, une proposition exposée un an avant par le syndicat comprenant « la gestion démocratique, la qualité sociale de l’éducation et de l’accès, permanence et succession de tout-e-s les éduqué-e-s », « re-signifiant » les expériences du réseau.

En 1999, l’État du Rio Grande do Sul a lancé un grand mouvement pour la construction de l’École démocratique et populaire » au travers de la « Constituante  scolaire » avec comme base la méthode de Paulo Freire et avec les propositions suivantes : l’éducation comme un droit de tous les citoyens et les citoyennes, la participation populaire quant à la méthode de gestion des politiques publiques, le dialogisme comme principe ethico-existentiel d’un projet humaniste et de solidarité, la radicalisation de la démocratie en tant qu’objectif stratégique d’un gouvernement de gauche et l’utopie comme rêve impulsant l’éducation et l’école.

On espère que l’État du Rio Grande del Rio Grande do Sul, au côté de l’État de Minas Gerais avec son « école Sagarana » et le Mato Grosso du Sud avec son « école Guaicuru » avancent au niveau de l’État, avec une proposition alternative au néolibéralisme d’éducation pour et par la citoyenneté. L’école citoyenne est en train de cesser d’être une « utopie municipaliste » comme le disait en 1989 Genuino Bordignon, pour se transformer aussi, dix ans après, dans une utopie à niveau de l’État fédéral.

Ce sont quelques exemples, entre tant, pour illustrer ce riche et varié mouvement d’éducation qui associe une conception pédagogie chaque fois plus solide et que nous avons appelée « conception dialectique de l’éducation » en suivant les chemins de la pédagogie de la praxis. Tous ces exemples, directement ou indirectement s’inspirent de la pensée de Paulo Freire, ce qui montre son actualité et sa force transformatrice. Certains de ses principes pédagogiques et de ses intuitions originales dans sa pratique sont facilement reconnaissables dans ces expériences d’éducation citoyenne, fondées sur des relations éminemment démocratiques. Voici ici quel qu’uns de ces principes : 1) partir des besoins des élèves et des communautés 2) instituer une relation dialogique entre professeur et élève 3) considérer l’éducation comme production et non comme transmission et accumulation de connaissances 4) éduquer pour la liberté et l’autonomie 5) respecter la diversité culturelle 6) défendre l’éducation comme un acte de dialogue dans la découverte rigoureuse, et cependant, à la fois, imaginative, de la raison d’être des choses 7) organisation communautaire et participative.

L’école citoyenne au début très centrée sur la démocratisation de la gestion et l’organisation participative, en peu de temps à rempli ses préoccupations pour la construction d’un nouveau curriculum (interdisciplinaire, transdisciplinaire, interculturel) et de relations sociales, humaines et intersubjectives neuves, affrontant les nouveaux problèmes générés par l’augmentation de la violence et la détérioration de la qualité de la vie dans les villes et dans les campagnes.

Une décennie d’innovation et d’expérimentation avec comme base une conception citoyenne de l’éducation a été suffisante pour générer un grand mouvement, une perspective concrète de futur pour l’école publique, démontrant que la société civile réagit à la tendance officielle néolibérale et à un modèle d’internationalisation de l’agenda éducatif qui suit la même « recette » contenue dans les « recommandations » des organismes internationaux comme la Banque mondiale et le FMI.

En octobre 2001, durant la réalisation du Forum Mondial de l’Éducation, l’Institut Paulo Freire a coordonnée la « première rencontre national des écoles citoyennes » et durant le Forum Social Mondial, en Février 2002, il a coordonné une « première rencontre international des écoles citoyennes ». J’ai la ferme conviction que le Mouvement pour l’école citoyenne né à la fin du XXe siècle aura un fort impact sur l’éducation de la première moitié du XXIe , semblable au Mouvement de l’école nouvelle, né à la fin du XIXe siècle. Le mouvement de l’école nouvelle s’opposait à l’éducation traditionnelle comme aujourd’hui, le mouvement de l’école citoyenne s’oppose à l’éducation néo-libérale.

La Cité éducatrice

Quel est le rapport entre le Mouvement de l’école citoyenne et le Mouvement des cités éducatrices entamé à la même époque ? Ce fut de nouveau Porto Alegre – qui a intégré dès 2001 le mouvement des Cités éducatrices – et qui a donc donné le « la », initiant une nouvelle orientation avec cette association, comme nous avons pu le constater durant la réalisation du Xe séminaire national d’Éducation, qui a eu lieu à Porto Alegre entre le 13 et le 15 mai de 2002 avec comme thème général : « Cultures et cycles de vie : les défis de la réinvention de l’école dans la cité éducatrice ». C’est la ville comme espace de culture, qui éduque à l’école et les écoles, comme étape du spectacle de la vie, qui éduquent à la cité.

La ville dispose de nombreuses possibilités éducatives. La vie dans la cité se constitue dans un espace culturel d’apprentissage permanent pour soi seul. Mais la cité peut être intentionnellement éducatrice. Une ville peut être considérée comme une Cité éducatrice quand en plus de ses fonctions traditionnelles – économique, social, politique et de services publics -, elle exerce une nouvelle fonction avec pour objectif la formation pour et par la citoyenneté. Pour qu’une cité soit considérée comme éducatrice, elle doit promouvoir et développer l’action de tous, enfant, jeunes, adultes, anciens – dans la recherche d’un nouveau droit, le droit à une ville éducatrice.

Dans la cité éducatrice, tous les habitants profitent des mêmes opportunités de formation, de développement personnel et de divertissement. Le Manifeste des villes école, approuvé à Barcelone en 1990 et révisé à Bologne en 1994, affirme que « la satisfaction des besoins des enfants et des jeunes, dans le cadre des compétences de la municipalité, présuppose une offre d’espaces, d’équipements et de services adéquats au développement social, moral et culturel, il devra tenir compte de leurs impact. La cité offrira une formation aux parents qui leur permettra d’aider leurs enfants à croître et à utiliser la cité dans un esprit de respect mutuel… Tous les habitants de la cité ont le droit de réfléchir et de participer à la création de programmes éducatifs, à la structuration et à la gestion de la ville, aux valeurs que celle-ci produit, à la qualité de vie qu’elle offre, aux fêtes qu’elle organise, aux campagnes qu’elle prépare dans les intérêts qu’elle manifeste pour eux et dans les manières de les écouter ».

Dans ce contexte, le concept d’école citoyenne a gagné une nouvelle composante : ses bibliothèques, ses biens et services, ses théâtres et ses églises, ses entreprises et ses commerces… enfin toute la vie qui palpite dans la cité. L’école cesse d’être un lieu abstrait pour s’inscrire définitivement dans la vie de la cité et gagner, avec cela, une nouvelle vie. L’école se transforme en un nouveau territoire de construction de la citoyenneté.

Tarse Genro, par deux fois préfet de Porto Alegre, souligne au sein de ses « 21 thèses pour la création d’une politique démocratique et socialiste », la nécessité d’une « nouvelle culture politique, plus englobante, de lutte hégémonique et d’incorporation de nouveaux agents sociaux » et une « nouvelle sphère publique avec des organisations locales, régionales, nationales et internationales, auto-organisées », rompant la distance entre l’État et le citoyen. La ville Éducatrice est en vérité, la réalisation des objectifs du propre plan urbain comme le sont « la promotion et l’amélioration des conditions de l’habitat viabilisant une vie saine, sociale matériellement et spirituellement (culture, éducation et travail) pour toutes les municipalités… meilleure efficacité sociale et meilleure efficience économique du capital social ou encore du milieu construit, qu’est la cité, distribuant égalitairement et équitablement ces bénéfices et les coûts des défis urbains, dans la recherche d’une société soutenable ».

Quand peut on parler d’une cité éducatrice ?

Nous pouvons parler d’une cité éducatrice quand il existe une citoyenneté pleine, quand la cité s’administre sous le contrôle social. Des villes justes, productives, démocratiques et soutenables, sont celles qui parviennent « à rompre avec le contrôle politique des élites locales et avec les formes bureaucratiques, corrompues et clientélistes des modes de gouvernance » et qui établissent une nouvelle sphère de décision publique de décision de non-étatique, comme le présupposé participatif ou la constituante scolaire qui sont devenues emblématiques d’une gestion populaire. Nous sommes sortis des propositions dans ce champ et de nouvelles expériences surgissent dans différents lieux du pays menés à termes par différents partis politiques qui créent de nouvelles relations, de nouvelles formes de gestion, de nouveaux espaces de négociation et stimulent la réappropriation des cités par ses citoyens. Il n’y a pas de secret dans cela. Il suffit d’une volonté politique appuyée par une éthique qui condamne le secret bureaucratique par la transparence, qui incorpore le conflit en même temps que les pratiques de négociation et qui publicise l’information.

Le rôle de l’école citoyenne

Quel est le rôle de l’école dans ce contexte ?

Le rôle de l’école (citoyenne) dans ce contexte, c’est de contribuer à créer les conditions qui rendent possibles la citoyenneté, à travers la socialisation de l’information, la discussion, la transparence, générant une nouvelle mentalité, une nouvelle culture, en relation avec le caractère public de l’espace de la cité.

Il y a une conception néolibérale de la cité qui la considère seulement comme un marché. Dans ce cas, la pédagogie néolibérale tente de former des consommateurs pour le marché. Il y a une conception émancipatrice de la cité qui a été déjà défendue y compris au niveau de l’UNESCO, qui considère la ville comme un espace de formation. Pour cette conception, le rôle de l’école c’est de former des citoyens.

Dans une perspective transformatrice, l’école éduque pour traiter et respecter les différences, la diversité qui compose la ville et qui se constitue par sa grande richesse. Le citoyen de la cité éducatrice prête attention au différent et aussi au « déficient », ou mieux, aux porteurs de droits spéciaux. Pour que l’école soit un espace de vie et non de mort, elle a besoin d’être ouverte à la diversité culturelle, ethnique et de genre, et aux différentes options sexuelles. Les différences exigent une école nouvelle.

Le grand défi de l’école dans une cité éducative, c’est de traduire ces principes dans des expériences pratiques innovantes, dans des projets pour l’encapacitation citoyenne de la population, pour qu’elle la population, puisse prendre en main le destin de la cité. Face à ces nouveaux espaces de formations crées par la société de l’information, l’école citoyenne les intègrent et les articulent. Elle cesse d’être « donneuse de leçon » pour être chaque fois plus « gestionnaire » de l’information généralisée. Elle a un rôle plus articulateur de la culture, un rôle plus dirigeant et agrégateur.

La ville, surtout la grande métropole, est en train d’arrivé aux limites du supportable (violence, stress, chômage, manque d’habitation, de transport, d’assainissement…) et n’a pas d’autres alternatives aujourd’hui, sinon celle de se transformer radicalement en de « nouvelles villes », en villes éducatives. Dans le cas contraire, les villes s’orienteront rapidement pour se transformer en espaces d’extermination, spécialement des jeunes. L’éducation et la culture ne peuvent pas tout parce qu’il existe d’autres composantes comme le sont les composantes sociales, politiques et surtout économiques. Mais elle peut contribuer à la construction d’une société salubre, qui devienne amicale, comme le disait Paulo Freire, en se transformant en un espace de formation ethico-politique des personnes qui se veulent du bien et pour cela parviennent à la légitimité pour transformer la vie de la cité.

Le rôle du professeur de l’école citoyenne

Quel est le rôle du professeur dans les écoles citoyennes dans la cité éducatrice ?

La ville violence et insoutenable nous désoriente par un climat de peur et de manque d’espérance. Notre force comme éducateur est limitée. Nos écoles sont également des produits de la société. Cependant, l’espérance pour le professeur, pour la professeure, n’est pas quelque chose de vide, qu’il attend. Au contraire, l’espoir pour le professeur, pour la professeure, trouve son sens dans sa propre mission, celle de transformer les personnes, celle de donner une nouvelle forme aux personnes et d’alimenter, à son tour, leur espoir pour parvenir à construire une réalité différente, une ville nouvelle, « plus humaine, moins laide, moins mauvaise » comme avait l’habitude de le dire Paulo Freire. Une éducation sans espoir n’est pas une éducation.

L’éducation, dans cette nouvelle cité, se confond avec le même processus d’humanisation. Répondant à une question « comment le professeur peut se transformer en un intellectuel dans la société contemporaine », le grand géographe brésilien Milton Santo mort en 2001 a répondu : « Quand nous considérons l’histoire possible et pas seulement l’histoire existante, nous considérons alors qu’un autre monde est possible. Il n’y a pas d’intellectuels qui ne travaillent sans une idée du futur. Pour être digne de l’homme, quel qu’il soit, de l’homme vu comme projet, le travail intellectuel et éducatif dot se fonder sur le futur. C’est ainsi que les professeurs peuvent se transformer en des intellectuels regardant le futur ».

Le professeur a besoin constamment de se renseigner sur le sens de ce qu’il est en train de faire. Si cela est fondamental pour tout les êtres humains, comme être qui cherche le sens tout le temps, pour le professeur c’est aussi un devoir professionnel. Cela fait partie de sa compétence professionnelle de continuer d’enquêter avec ses collègues et ses élèves, sur le sens de ce qu’il est en train de faire dans l’école.

Il est toujours dans un processus de construction de sens. Comme le disait Celso Vascconcellos : « le sens n’est pas déposé quelque part à attendre d’être découvert. Le sens ne vient pas d’une sphère transcendante, ni de l’immanence de l’objet ou encore d’un simple jeu logico-formel. C’est une construction du sujet ». Celso Vasconcellos est un des meilleurs élèves de Paulo Freire. Il insiste dans son beau livre sur le fait que le rôle du professeur est « d’éduquer à travers l’enseignement ». Il peut seulement se contenter d’enseigner les tables de multiplications, mais il éduque seulement au travers de l’enseignement quand il construit le sens de ces tables avec l’apprenant parce que comme il le dit enseigner vient du latin insignare qui signifie « marquer avec un signal », agir à la construction du sens de ce que nous faisons. Tout ce que nous faisons, nous avons besoin de le faire avec du sens, tout ce que nous étudions doit avoir du sens.

Les deux plus grands éducateurs du siècle passé, John Dewey et Paulo Freire, chacun à sa façon, ont cherché à répondre à cette question et ont centré leur analyse sur la relation entre l’éducation et la vie, en réaction avec les pédagogies technicistes de leur temps – quelles soient de droite ou de gauche – qui ne se préoccupaient que de méthodes techniques. « Je voudrais qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui a aimé la vie » disait Paulo Freire deux semaines avant de mourir. L’éducation a seulement du sens comme vie. Elle est vie. L’école perd son sens d’humanisation quand l’éducation devient marchandisation, quand elle cesse d’être le lieu où les gens apprennent à être des êtres humains pour se transformer en un lieu où les enfants et les jeunes vont pour apprendre la compétition sur le marché.

Il est nécessaire de montrer que le néolibéralisme, avec sa politique de marchandisation de l’éducation, a transformé cette profession en produit jetable. Il est nécessaire de montre également comment le projet politique néolibéral capitaliste rend impossible une éducation de qualité pour tous.

C’est frappant avec la manière dont Ladislau Dowbord achève son livre Technologies de la connaissance avec des faits tirés d’un rapport des Nations Unis de 1998 pour montrer l’écart, l’indifférence et le cynisme du néolibéralisme en ce qui concerne les besoins des personnes […]

Pour cela, il est nécessaire de faire une analyse critique, sociale et économique. Mais tout cela ne suffit pas. Il est nécessaire de ne pas en rester là, mais également d’indiquer les voies pour avancer. Dans le cas contraire, les analyses sociologiques et politiques, pour aussi rigoureuses et correctes qu’elle soient, aideront seulement à maintenir l’immobilisme et le manque de perspective pour l’éducation.

Le pouvoir du professeur est tantôt dans sa capacité à réfléchir de manière critique sur la réalité pour la transformer relativement à la possibilité de former un groupe de militants et de militantes. Paulo Freire insista sur le fait qu’une école transformatrice est une école de compagnonnage, pour cela sa pédagogie est une pédagogie du dialogue, des échanges, de la rencontre, des réseaux de solidarité. « Compagnon » vient du latin et signifie « celui qui partage le pain ». On traite d’une posture radicale, en même temps critique et solidaire. Parfois nous sommes seulement critiques et nous perdons l’affections des autres par manque de camaraderie. Il n’y aura pas de dépassement des conditions actuelles de l’enseignement sans un profond sentiment de camaraderie. En luttant chacun de son côté, nous arriverons seulement à la frustration, au manque d’enthousiasme, à la lamentation, De là le sens profondément éthique de cette profession. Au fond, pour affronter la barbarie néo-libérale dans l’éducation la thèse de Marx est pertinente : l’éducateur a besoin d’être lui-aussi éduqué. Éduquer pour parvenir à une construction historique d’un sens nouveau de son rôle.

Florestan Fernandes avait l’habitude de répéter que l’école n’éduque pas pour la citoyenneté. Il disait que la structure du pouvoir au Brésil était archaïque et tenue par la classe dominante qui bloque la conscience critique du peuple. Cette structure politico-sociale, et économique est aussi dominante. Mais la société qui crée cette structure créée également la réaction. La contradiction sociale existe. Pour cela, nous trouvons des motifs d’être optimistes. Une de ses raisons c’est le surgissement de l’École citoyenne et de la cité éducatrice. Elles n’ont pas seulement la même identité sur le plan étymologique. Elles pointent vers un même projet futur.

(traduction 10/09/16)

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