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Désir d’apprendre et travail scolaire

INTRODUCTION

I- Contexte et intérêt du sujet :

Pourquoi s’intéresser au désir d’apprendre ? Quel lien entretient-il avec le travail scolaire ?

a- Motivation scolaire et rapport aux savoirs :

La notion philosophique de « désir » peut être mise en relation avec la notion « psychologique »  de motivation. Il existe de nombreuses théories qui se sont penchées sur la motivation comme constituant un facteur déterminant de la réussite scolaire. Parmi, les résultats les plus largement admis figure la thèse selon laquelle les motivations intrinsèques sont plus puissantes que les motivations extrinsèques. L’intérêt pour la connaissance en elle-même (ce que la tradition philosophique appelait la « libido sciendi ») est plus puissant qu’un système utilitariste de récompense. C’est au point que des études ont montré que des enfants qui étaient récompensés pour une tâche qu’ils faisaient auparavant avec plaisir, pour elle-même, en perdent le goût. Cette thèse rejoint les travaux en psychologie qui portent sur les buts de performance et les buts de maîtrise. Ce sont les élèves qui ont avant tout des buts de maîtrise qui ont le meilleur niveau et la motivation la plus stable : ils prennent les difficultés comme des défis qu’ils doivent surmonter. Motivation intrinsèque et buts de maîtrise, favorise donc ce que les psychologues appellent l’engagement dans la tâche : ce terme désigne la capacité à s’impliquer dans une tâche qui se traduit par l’enthousiasme, la persévérance et la détermination.
Les notions de « désir » et de « motivation intrinsèque » peuvent être mises en relation avec celle sociologique de « rapport au savoir ». L’équipe ESCOL a montré que les élèves qui avaient un rapport au savoir utilitariste étaient au moins en primaire et au collège plus spécifiquement des élèves en échec scolaire. En revanche, les enfants qui étaient en situation de réussite scolaire étaient le plus souvent des élèves motivés par la connaissance en-elle même.

b- Démotivation et échec scolaire

On constate tout d’abord une relation entre démotivation et échec scolaire. Les enfants en échec scolaire perdent la motivation qui pourrait les aider à surmonter leurs difficultés. Mais de manière générale, on constate que plus les années passent entre la primaire et le lycée, moins les élèves se déclarent motivés.

II- Conceptualisation

1. Désir et pédagogie

– Le désir (concept) – énergie vitale et effort (conatus)  :

Le philosophe Spinoza écrit que « le désir est un appétit dont on a conscience ». L’appétit renvoie à ce qu’il appelle le « conatus » (effort) : « toute chose s’efforce – en tant qu’il est en son pouvoir de persévérer dans son être ». Le désir trouve donc son origine dans une force vitale.

– Désir et plaisir  :

Les philosophes s’opposent depuis l’Antiquité sur le fait de savoir si la motivation de l’action se trouverait dans une finalité qui serait le plaisir. Néanmoins, faire du plaisir (qui se trouve après l’action), la motivation de l’action, c’est inverser la cause et la conséquence : « Nous, au contraire, nous nous plaçons au point de vue de la causalité efficiente et non de la finalité ; nous constatons en nous une cause qui agit même avant l’attrait du plaisir comme but » (Guyau). Si le désir trouve son origine dans une force vitale, alors il s’agit de s’interroger sur la dynamique vitale elle-même : « Cette cause, c’est la vie tendant par sa nature même à s’accroître et à se répandre, trouvant ainsi le plaisir comme conséquence » (Guyau). Le vivant tend ainsi à croître, à produire et à être fécond. Ce qui caractérise la vie, c’est l’activité.

– Désir d’apprendre et pédagogie  (Dewey) :

Les pédagogues qui considèrent que le désir constitue un moteur de l’apprentissage partent d’une même conception, à savoir le désir comme force (ou énergie vitale) : « Le caractère actif, moteur, de l’intérêt est un reflet des tendances, des impulsions, des besoins spontanés de l’organisme vivant » (Dewey). L’enfant apprend parce que cela correspond à un besoin vital en lui en accord avec son niveau de croissance. Il appartient alors à l’enseignant-e de s’appuyer sur les intérêts de l’enfant pour le motiver à apprendre. S’intéresser, ici ne désigne pas un calcul en vue de se faire plaisir. S’intéresser, c’est ici satisfaire un besoin nécessaire à l’expansion de la vie. Mais intérêt et effort ne sont pas antinomiques. C’est parce que l’enfant porte un intérêt à la tâche qu’il accomplit qu’il est capable des plus grands efforts sans ressentir ceux-ci comme une contrainte extérieure qui lui serait imposée : « Car, pour répondre à un intérêt, il faut nécessairement faire quelque chose et rencontrer de la résistance » (Dewey).

2. Travail et pédagogie

Quel lien le désir entretient-il avec le travail ?

– Travail (concept) – Énergie vitale et force de travail (Marx) :

L’être humain, comme on l’a vu, est considéré par plusieurs philosophes comme animé par une énergie vitale. C’est également une thèse présente chez Marx : « l’homme est immédiatement être de la nature. En qualité d’être naturel, et d’être naturel vivant, il est d’une part pourvu de forces naturelles, de forces vitales; il est un être naturel actif; ces forces existent en lui sous la forme de dispositions et de capacités, sous la forme d’inclinations ». Le travail constitue une dépense de force vitale. C’est ce que Marx appelle « la force de travail » : « Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. »

– Besoin (nécessite naturelle) et anthropisation (se cultiver) :

Le travail est donc tout d’abord une activité de dépense d’énergie vitale en vue de satisfaire nos besoins vitaux. Mais il est une activité qui va au-delà de la simple satisfaction de ces besoins vitaux. Dans la mesure où il permet à l’être humain de se développer à la fois en tant qu’individu et que société, le travail se situe à la base du processus d’anthropisation. Le travail est donc l’activité qui fait passer l’être humain du statut d’être naturel à celui d’un être de culture. Le travail constitue la condition de possibilité de toute autre activité humaine. Il s’agit de l’activité par laquelle l’être humain développe ses capacités intellectuelles et acquiert une conscience réflexive de lui-même. C’est alors que le travail ne permet pas seulement de satisfaire des besoins vitaux (besoins physiologiques primaires), mais qu’il permet d’aller au-delà, de réaliser des désirs. Le travail est ce qui nous « cultive ». Le travail éducatif est donc l’une des activités de base de ce processus. Dans notre société, le travail scolaire en constitue l’une des modalités.

– Travail et pédagogie (Freinet) :

Pour les pédagogues qui font de l’intérêt, le fondement du processus d’apprentissage, le travail joue un rôle fondamental : « C’est ce que nous essayons de faire en réalisant à l’école notre éducation du travail, en accrochant aux grandes tendances vitales de base l’intérêt profond des élèves jusqu’à leur trouver, leur donner, dans ce travail, une règle de vie non pas factice mais vivante, jusqu’à créer ce courant souverain qui drainera le meilleur de la vitalité enfantine » (Freinet). Pour Célestin Freinet, tout comme pour Maria Montessori, ce qui est naturel à l’enfant, c’est le travail. En effet, il s’agit pour eux de l’activité par laquelle l’enfant réalise ses besoins. L’enfant est pour eux toujours naturellement en activité car la vie, elle-même est activité : « La vie n’est pas un état, mais un devenir. C’est ce devenir qui doit expliquer une psychologie qui doit influencer notre pédagogie » (Freinet).

– Travail et jeu (Guyau/Freinet) :

De ce fait, pour ces auteurs, ce qui est naturel à l’enfant, ce n’est pas le jeu, mais le travail. Le jeu désigne une activité agréable qui est orientée vers le plaisir. Or l’enfant ne recherche pas le plaisir, mais il cherche à croître. C’est parce que le travail scolaire qu’il effectue l’intéresse qu’il en éprouve du plaisir. Mais le plaisir n’est pas la motivation de son travail, il n’en est qu’un effet : « Loin de subordonner le travail au plaisir, il faut que l’enfant trouve son plaisir dans le travail même, dans l’exercice de ses facultés et dans le sentiment d’un devoir accompli.  […] Au reste, le jeu lui-même exige encore un certain travail. Car ne l’oublions pas le plaisir trouvé dans le jeu devient très vite l’intérêt de la difficulté à vaincre et la preuve c’est que le jour où le jeu à cessé d’être difficile, il a cessé d’amuser » (Guyau).
Ainsi Célestin Freinet distingue entre deux formes de jeu : le jeu-travail et le jeu-haschich. Le premier constitue un jeu qui correspond véritablement aux besoins de l’enfant. Celui-ci s’absorbe dans ce jeu et y éprouve du plaisir car il correspond à un besoin intrinsèque. Le second constitue une activité répétitive dans laquelle l’enfant s’absorbe comme on éprouve une addiction aux drogues. Le jeu-haschich, si l’on reprenait ici les termes actuels de la neurobiologie, on pourrait dire qu’il active le circuit neuronal de la récompense.

Enjeux de ces conceptualisations :

Quels sont les enjeux de ces conceptualisations ? Pour les auteurs – philosophes et pédagogues – qui s’appuient sur ces conceptualisations du désir et du travail, celles-ci ont plusieurs enjeux. Il s’agit tout d’abord de s’inscrire dans une vision naturaliste de l’être humain. Celui-ci est un être naturel. Il ne faut pas chercher à comprendre le processus d’apprentissage en faisant intervenir des éléments d’ordre surnaturels et donc religieux. De ce fait, ces auteurs admettent qu’il y a chez l’être humain une tendance naturelle à l’apprentissage et qu’il est possible de prendre appui sur cette tendance au lieu de contraindre l’enfant à apprendre. L’apprentissage peut être une activité émancipatrice dans la mesure où elle repose sur le développement intrinsèque du moi de l’enfant. Il est libre, comme le dirait Bergson, dans la mesure où ce processus correspond à son « moi profond ». En outre, le refus de faire de l’être humain, un individu mu par le plaisir conduit à s’opposer à toute une anthropologie utilitariste, qui est au fondement entre autre de l’économie libérale. L’être humain n’est pas un individu utilitariste, être égoïste qui calcule ses actions en vue d’optimiser son plaisir.
La place accordée au travail s’oppose également à plusieurs conceptions. En effet, le travail a une valeur en lui-même. Il n’est pas un simple moyen pour parvenir au plaisir. Il est l’activité fondamentale qui nous développe en tant qu’être humain. Cela signifie qu’il est la condition du développement des capacités intellectuelles. Cela s’oppose aux théories philosophiques qui renvoyaient la connaissance à une activité contemplative. Il s’agit d’un renversement anthropologique, mais également social. Ce ne sont donc pas les classes oisives, mais les classes laborieuses qui sont à l’origine de l’édification des sociétés. Ainsi, Célestin Freinet se situe dans une perspective prolétarienne qui est celle que l’on trouve chez Proudhon et Marx, puis dans le syndicalisme révolutionnaire.

III- Enjeux et problématique :

En quoi la question du désir d’apprendre et du travail se trouvent-ils au cœur des enjeux scolaires actuels ?

a. Reproduction de l’inégalité sociale à l’école

La France se caractérise par sa très forte propension depuis le milieu des années 1990 à la reproduction des inégalités sociales à l’école. Les enquêtes PISA mettent en valeur que sur ce point le pays se trouve à la 34e place des pays de l’OCDE (sur 34 pays). Ce fait doit être mis en corrélation avec le creusement des inégalités sociales depuis la fin des « Trente glorieuses » qui a été mis en valeur par plusieurs auteurs tels que Louis Chauvel ou Thomas Piketty. La répercussion que se creusement des inégalités sociales a sur la reproduction des inégalités scolaires, tient sans doute au fonctionnement spécifique du système scolaire et social français où l’emprise du diplôme initial est très forte. Cela d’autant plus que ce pays est caractérisé par l’existence d’un double système d’enseignement supérieur avec les grandes écoles. Cela se traduit donc par un système élitiste de compétition durant le système secondaire afin de sélectionner ceux qui intégreront les classes préparatoires aux grandes écoles. Ce contexte social de reproduction des inégalités scolaire est d’autant plus inquiétant qu’il s’effectue corrélativement sur fond de montée des extrêmes droites nationalistes et islamistes dont le discours se répand entre autre au sein de la jeunesse des classes populaires.

b. Travail scolaire et classes populaires

Il est possible de souligner que le travail scolaire reste marqué par une « idéologie du don » : il n’est pas rare encore d’entendre entre eux des enseignant-e-s vanter les facilités de tel élève, désigner tel ou tel autre élève comme limité ou besogneux. Or les travaux en psychologie montrent que la motivation scolaire est également liée à la représentation que les élèves ont de leur propre intelligence comme fixe ou modifiable. Les élèves qui considèrent l’intelligence comme fixe ont davantage de difficulté à persévérer pour s’améliorer à la différence de ceux qui considèrent que leur travail peut favoriser l’amélioration de leur compétences. Il faut en outre rappeler que les travaux montrent que dans le système scolaire, il n’y a pas de corrélation entre le temps des élèves passé à travailler et la réussite scolaire (Anne Barrère) : des élèves peuvent passer beaucoup de temps à travailler et n’obtenir que des résultats médiocres, voire insuffisants. Cela favorise la démotivation et à terme le décrochage scolaire.

c- Travail éducatif, travail scolaire et genre

Il faut en outre souligner que pour des raisons liées aux rapports sociaux de genre, le travail scolaire peut apparaître comme peu désirable aux garçons. En effet, on constate que les filles, quelque soit le milieu social, réussissent mieux que les garçons à l’école. Ce décalage est plus encore accentué chez les filles issues des classes populaires immigrées. Or le travail éducatif qu’il soit dans l’espace domestique ou dans l’espace scolaire est majoritairement accompli par des femmes : les mères et les enseignant-e-s. Or le caractère socialement dévalorisé du travail des femmes et la difficulté sociale des garçons à pouvoir s’identifier à une image féminine constituent des éléments explicatifs de ce décalage.

d. Reproduction de l’inégalité sociale à l’école et classe sociale des enseignant-es

Il est nécessaire également de constater que le milieu social de recrutement des enseignant-e-s à évolué en particulier dans l’enseignement primaire. En effet, plus la profession s’est féminisée, plus le milieu social d’extraction des enseignant-es s’est élevé. En effet, on sait que sur le plan de la mobilité sociale, les femmes issues des classes moyennes supérieures ont du mal à se maintenir au niveau social de leur père. L’enseignement constitue un des grands facteurs d’accession des femmes à des emplois de niveau cadre supérieur tandis que corrélativement cette professions s’est socialement dévalorisée. L’enseignement permet en outre pour les femmes de concilier vie professionnelle et vie de famille: ce qui est une des injonctions sociales qui pèse sur le travail des femmes corollaire de l’incitation à la maternité. Il s’en suit qu’il existe un décalage d’ethos social important entre ces enseignant-e-s et les enfants issus des classes populaires. On sait ainsi par exemple que le style éducatif des familles n’est pas le même dans les classes populaires et dans les classes moyennes supérieures.

Problématique : Il s’agit par conséquent de se demander à quelles conditions il est possible d’agir pédagogiquement sur la motivation scolaire et l’engagement dans le travail scolaire des élèves, en particulier, ceux issus des classes populaires. Il ne s’agit certes pas de nier les causes sociales extérieures à l’institution scolaire dans la reproduction des inégalités sociales. Mais, il s’agit de s’interroger sur les facteurs institutionnels et les pratiques pédagogiques qui favorisent un tel état de fait. On sait ainsi que l’effet enseignant-e joue entre 10 % à 15 % dans la réussite scolaire des élèves.

IV- Méthodologie :

a-Expérience personnelle d’élève et d’enseignante

Pour ce faire, les analyses qui suivent s’appuieront sur une double expérience personnelle. Tout d’abord, l’expérience d’être une femme issue des classes populaires immigrées et d’avoir traversé le système scolaire et universitaire à partir de ce point de vue situé (standpoint theory).
La seconde expérience s’appuie sur mon activité d’enseignante en particulier à partir de celle que j’ai vécu dans l’enseignement secondaire. Cette expérience m’a permis de mettre en œuvre des hypothèses et de les tester pour améliorer mes pratiques pédagogiques. Ces hypothèses, ce sont appuyées sur mon propre parcours d’apprenante, mais également sur des lectures fournies en sciences de l’éducation (pédagogie, sociologie, psychologie….). Du fait de cette expérience, le texte qui va suivre, même s’il a une portée plus large, s’intéresse plutôt à la formation des élèves aux savoirs critiques issues des sciences sociales et de la philosophie.

b- Sciences humaines et réflexion philosophique

Afin de mener une réflexion philosophique et pédagogique, je m’appuierai donc non seulement sur cette expérience personnelle, mais également sur les résultats scientifiques qui ont été mis en valeur en sciences de l’éducation. Les résultats qui sont retenus sont ceux qui sont valables dans le contexte français. Il existe des variabilités entre les pays à commencer par exemple par le niveau de reproduction de l’inégalité sociale par les systèmes scolaires.
Cette réflexion sera organisée en quatre moments. Le deux premiers sont consacrés à analyser certains des principaux déterminants de la construction sociale de l’échec scolaire. Les deux autres proposent des pistes d’action face à cet état de fait.

I- TRAVAIL REPRODUCTIF ET TRAVAIL EDUCATIF

1- Entre nature et culture : le travail reproductif

Nous avons vu en introduction qu’à un premier niveau le travail est une activité qui vise à satisfaire les besoins vitaux et qui donc inscrit l’être humain dans la nécessité naturelle. C’est ainsi cette inscription qui conduit Aristote à opposer le labeur des esclaves et les loisirs de l’aristocratie grecque.
Nous avons également rappelé que les penseurs socialistes, tels que Proudhon ou Marx, opèrent un renversement philosophique et politique, en faisant du travail ce qui se situe à la base du processus d’anthropisation. Néanmoins dans leur théorisation, ils ont été pour des raisons politiques conduits à accorder une primauté au travail productif de l’ouvrier. Or cela s’avère problématique à au moins deux niveaux.
Ils ont invisibilisé le travail reproductif essentiellement accompli par les femmes dans l’espace domestique. En effet, il est nécessaire de reproduire la force travail. Mais cette reproduction de la force de travail n’était pas considérée comme un fait social susceptible d’un rapport social d’exploitation, mais a été naturalisé. Or l’organisation des tâches domestique ne relève pas d’un fait naturel : les femmes ne sont pas naturellement faites pour les accomplir. Cela constitue un travail gratuit exploité. Encore aujourd’hui, les femmes effectuent en moyenne 1h de plus par jour de tâche domestique au sein du couple.
En outre, en faisant du travail de l’ouvrier, le modèle du travail humain, les penseurs socialistes pré-cités ont été conduits à considérer que le travail d’anthropisation est une activité dans laquelle l’être humain utilise des objets techniques pour transformer la nature et se transformer lui-même. Le travail se trouve lié alors à un projet de maîtrise de la nature au service des besoins humains. Cette conception conduit à lier l’histoire de l’humanité à une augmentation de sa puissance par la technique. La technique est censée être un outil au service du développement de l’être humain. Mais plus la technique devient puissante, plus il est possible au contraire de considérer que l’être humain en devient dépendant et que moins il a besoin de développer ses capacités par lui-même.
Ce lien entre travail, technique et production conduit à lier le travail au productivisme. Le développement de l’humanité serait conditionné par la croissance des forces productives. Une telle thèse considère que la croissance économique est inhérente à l’histoire de l’humanité. En outre, elle fait de l’augmentation de la production et de la consommation la conséquence de cette croissance de la puissance technique.
Une telle vision de l’histoire humaine a pour conséquence de dévaloriser tout d’abord le travail paysan. Ce n’est pas le secteur primaire qui constitue la cœur de l’économie, mais le secteur secondaire industriel qui transforme les produits issus de la nature. Car la nature est productive. Or ce que cette vision invisibilise, c’est que c’est de la nature que l’être humain tire sa tendance à produire. Or au contraire, le productivisme fait de la production une caractéristique proprement humaine liée à la technique. Cette vision dévalorise en outre les civilisations traditionnelles extra-européennes. La colonisation par l’Europe, du reste du monde, a été la conséquence de sa puissance technique. Les autres civilisations qui n’ont pas orientées leur histoire sur le développement des techniques et de la production sont considérées comme primitives, c’est-à-dire arriérées. Or la question est bien la suivante, l’histoire de l’humanité doit-elle impliquer la croissance des forces productives ?
En définitif, une telle conception du travail conduit à entrer en contradiction avec les conceptions féministes, écologistes et décoloniales.
Il serait possible néanmoins de se demander si la catégorie de travail ne devrait pas être réduite à son usage par le système capitaliste et lui préférer la catégorie plus large d’activité. Néanmoins une telle thèse soulève des objections. En effet, la valorisation de l’activité au détriment du travail induit deux options implicites. Tout d’abord, elle semble relever d’une négation de l’inscription de l’être humain dans la nécessité naturelle : l’être humain est effectivement un être issu de la nature et qui est soumis à des contraintes naturelles. Ensuite, cette thèse peut conduire à invisibiliser l’exploitation de l’activité liée aux tâches nécessaires à la vie et à une valorisation aristocratique des activités intellectuelles. Ainsi, il est possible de constater que les tenants de la critique du travail peuvent affirmer le dépassement du travail par l’activité du fait d’un dépassement du travail industriel par le travail immatériel. Le nouveau sujet de la transformation sociale est alors le cognitariat ou la classe créative. A l’inverse, dans une communauté intentionnelle, il est possible de considérer que le travail salarial est refusé au profit de l’activité, alors que ce sont les femmes qui continuent d’effectuer l’essentiel du travail domestique.

2- Travail reproductif des mères : care (empathie) et symbolisme (langue maternelle)

Pour élaborer une théorie satisfaisante du travail, il est nécessaire de revenir à la forme de travail la plus fondamentale : le travail reproductif. Le travail reproductif est le travail qui vise à la reproduction de la vie. Guyau fonde la moralité dans la tendance de la vie elle-même à se reproduire, dans sa fécondité : « Le caractère de la vie qui nous a permis d’unir en une certaine mesure, l’égoïsme et l’altruisme, — union qui est la pierre philosophale des moralistes, — c’est ce que nous avons appelé la fécondité morale. Il faut que la vie individuelle se répande pour autrui, en autrui, et, au besoin, se donne ; eh bien, cette expansion n’est pas contre sa nature : elle est au contraire selon sa nature ; bien plus, elle est la condition même de la vraie vie. […] ».
A l’origine, le travail reproductif est un concept féministe : il désigne le travail lié à la reproduction sexuée, aux tâches d’alimentation… Mais, il est possible de donner un sens plus extensif à ce concept en désignant toutes les activités qui visent à la reproduction de la vie y compris dans l’agriculture et l’élevage. Il s’agit donc d’un travail qui vise à assurer les conditions de possibilité même de la survie de l’espèce humaine.
Le travail reproductif est bien pour commencer un fait naturel en tant que la reproduction de la vie est un processus biologique. Mais, il ne s’agit jamais uniquement d’un fait biologique. Il est toujours en même temps un fait social comme en témoigne la grande variabilité anthropologique des formes qu’il prend dans l’espace et dans le temps : méthodes d’enfantement, pratiques alimentaires… La variabilité de ses pratiques montre comment le lien de la mère à l’enfant n’est pas uniquement naturel, mais construit socialement. Le travail reproductif est donc par delà nature et culture : jamais totalement naturel, toujours en même temps social.
Le travail reproductif se confond en partie avec un autre type de travail qui se trouve socialement dévolue aux femmes : il s’agit du travail du care. Celui-ci vise à prendre soin, à conserver la vie. Le travail du care constitue l’opérateur anthropologique du passage de la nature à la culture. En effet, le travail du care est au principe d’une éthique de la sollicitude qui vise à prendre soin d’autrui. Ainsi, la société humaine ne repose pas sur le principe de la compétition entre individus, mais elle implique pour survivre un acte d’altruisme entre générations : les « parents » (pas nécessairement biologiques) doivent s’occuper des enfants qui sont trop vulnérables pour pouvoir survivre du fait de la néoténie. Si ce travail du care doit être mis en lien avec un principe naturel, il est possible de le rapprocher de l’empathie que l’on trouve également chez les grands singes.
Mais le travail de care des femmes n’a pas qu’une fonction morale. Il est également au principe de la constitution du monde de l’enfant comme un monde de signification. C’est dans les interactions avec les autres êtres humains que l’enfant apprend à parler et en particulier ce travail est dévolu aux femmes. L’enfant accède au monde symbolique de la signification par l’apprentissage de sa « langue maternelle ». La misogynie philosophique de la pensée occidentale n’a cessé d’invisibiliser le rôle fondamental que joue le travail éducatif des femmes dans le processus d’anthropisation. Ce n’est donc pas le travail manuel de l’artisan et de l’ouvrier qui est au principe de l’anthropisation humaine, mais le travail éducatif accompli socialement par les femmes. Il est possible de constater alors que le travail qui se trouve au principe du développement humain n’est pas un travail productif à l’aide d’objets techniques, mais un travail éducatif qui vise à développer l’être humain dans l’ensemble de ses potentialités. Or plus la réalisation de la puissance est confiée à des machines, moins elle est détenue intrinsèquement par l’être humain lui-même.
L’éducation conçue comme un travail éducatif peut alors visé une finalité, l’ « éducation intégrale » (Paul Robin). La notion d’ « éducation intégrale » telle qu’elle est développée par les pédagogues anarchistes comporte à la fois une portée individuelle et sociale. L’éducation vise à épanouir l’ensemble des capacités humaines qu’elles soient physiques ou intellectuelles. Ce développement intégral est nécessaire afin de remettre en question la division sociale inégalitaire du travail entre manuels et intellectuels. Chaque individu doit être capable d’être les deux.
Néanmoins, le travail social reproductif et de care qui est socialement assigné aux mères est ambivalent. Il implique certes une fonction qui vise à créer la vie et à en prendre soin pour lui permettre de croître. Mais elle également une injonction sociale à reproduire et à conserver l’ordre social tel qu’il est. Il est ainsi socialement convenus que les mères des classes moyennes supérieures doivent tout faire pour essayer de maintenir, en particulier les garçons, à leur niveau social par la réussite scolaire. Il est en outre socialement admis que le travail éducatif doit reproduire les normes de genre : celle de la division sociale sexuée des habitus féminin et masculin. L’ambiguïté du travail éducatif des enseignant-e-s se remarque dans l’antinomie des finalités qu’elles doivent réaliser. Elles doivent à la fois aidé à l’épanouissement d’une personnalité autonome et en même temps assurer les conditions de sélection de la compétition scolaire à visée socio-économique.

3- Travail éducatif des enseignant-e-s

Notre société actuelle confie l’essentiel du travail éducatif aux femmes : non seulement aux mères de famille, mais également aux enseignantes. En effet, les mères quelque soit leur milieu social consacrent en moyenne le double de temps au travail scolaire par rapport aux pères. Les crèches sont pour l’essentiel un travail de care confié aux femmes. Ainsi les études sociologiques ont pu montrer que la réussite scolaire des enfants était davantage corrélées au niveau de diplôme des mères qu’à celui du père, tandis que ce qui était déterminant pour le père était son niveau socio-professionnel. Dans l’enseignement primaire, celui-ci est féminisé à plus de 80 % et les femmes sont également majoritaires dans l’enseignement secondaire. En revanche, lorsque l’on regarde à l’autre bout de la pyramide de l’enseignement, les professeurs des universités sont à prés de 80 % des hommes.

II- LA FABRICATION DE L’ECHEC SCOLAIRE

1- La dévalorisation sociale du travail éducatif des femmes

Néanmoins, la fonction d’enseignant-e s’est socialement dévalorisée au fur et à mesure qu’elle s’est féminisée. Dans une société où le niveau de formation universitaire a augmenté, les enseignant-e-s ne font plus figurent d’une élite intellectuelle. On peut ainsi remarquer que parmi les enseignant-e du secondaire qui ont le plus gardé les traits sociaux de l’élite intellectuelle figurent les professeurs de philosophie qui sont ceux qui sont le moins féminisé de l’enseignement général (> de 40%).
De ce fait, on peut se dire que le travail éducatif n’apparaît pas comme socialement désirable pour les garçons et pour les hommes. En effet, pour les garçons, le travail scolaire s’identifie à une activité dont les normes sont fixées essentiellement par des femmes. Pour les hommes adultes, l’enseignement dans le primaire et le secondaire apparaît comme une activité socialement dévaluée et comme un déclassement social pour les hommes issus des classes moyennes supérieures.

a- Statut social des femmes : dévalorisation du travail domestique et orientation professionnelle

Comme cela a été rappelé précédemment les femmes continuent d’accomplir une heure de plus de tâches ménagères que les hommes et si le temps consacré aux tâches ménagères a baissé, c’est du fait de l’équipement en appareil électro-ménagers. Même chez les jeunes couples, la mise en ménage, mais surtout l’arrivée du premier enfant, tend à rétablir le déséquilibre dans la division sexuée du travail.
Il est possible de voir dans cet état de fait, un facteur d’explication du sur-investissement scolaire des filles par rapport aux garçons : celui-ci peut apparaître comme un vecteur d’émancipation face aux rapports sociaux de sexe dans l’espace domestique. En outre, l’espace social de la classe, où domine souvent une enseignante, donne l’exemple rare d’une situation sociale de renversement du pouvoir. Mais l’orientation au sein des filières dans le système scolaire et universitaire, puis professionnel reste très genrées.
Les garçons des classes populaires sont sur-représentés dans l’apprentissage professionnel en alternance. Les filières professionnelles et techniques sont très fortement polarisées entre filières industrielles et technologiques masculines et filières liées aux carrières sanitaires et sociales ou à l’accueil, qui sont très fortement féminisées. Dans les sections générales, la polarité existe également : les filles sont un peu moins nombreuses dans la filière scientifique, mais en revanche sur-représentées dans la filière littéraire. Jusqu’au baccalauréat, les filles réussissent mieux que les garçons.
Par la suite, elles sont plus nombreuses à l’université où elles réussissent mieux que les garçons et sortent plus diplômées. Mais la tendance commence à s’inverser au niveau du Master et de la thèse de doctorat : elles sont moins nombreuses à poursuivre du fait de l’injonction sociale à la maternité. Dans les poursuites d’études techniques et scientifiques, les femmes sont sous-représentées. C’est le cas en particulier dans les écoles d’ingénieurs et plus spécifiquement dans la spécialité d’ingénieur en informatique.
Plus on augmente dans la hiérarchie professionnelle, moins les femmes sont présentes. On parle généralement pour désigner ce phénomène de « plafond de verre ». Ainsi, dans les entreprises privées, les femmes représentent moins de 2 % des membres des conseils d’administration.

b- Littératie et mathématiques chez les filles et les garçons

On peut se demander à quel moment commence à se construire cette division sexuée. Il est possible pour cela de s’intéresser à un facteur que l’on remarque dans les performances scolaires des enfants : les filles obtiennent des résultats supérieurs en littératie (compréhension verbale) et les garçons des résultats supérieurs en mathématiques.
Le rapport des filles au maniement du langage peut être mis en lien avec le travail de care des mères. On a pu remarquer ci-dessus que l’enseignement de la langue maternelle était pour une bonne part un travail assigné aux mères.
De leur côté les normes traditionnelles de la construction de la masculinité assignaient aux hommes de sortir de l’espace domestique et d’aller s’affronter à la nature pour en maîtriser les forces. On a vu que cette norme par exemple influençait la représentation du travail chez les auteurs socialistes au XIXe siècle et avait contribué à l’invisibilisation du travail gratuit des femmes. De fait, l’éducation des garçons, plutôt que l’interaction avec autrui (lié au care), valorise l’exploration de l’espace. Les jeux des petits garçons basés sur l’exploration de l’espace et la manipulation d’objets peuvent favoriser des compétences liées à la géométrie dans l’espace.
Il est également significatif que les jouets vendus dans les grandes surfaces reproduisent de manière exacerbée les normes de genre. Pour les petites filles, elles sont invités à s’occuper de nourrissons, à effectuer des tâches ménagères ou à exercer des professions de care. Pour les garçons, ce sont les jeux de construction, les robots, les machines ou les jeux de guerre qui dominent.
Le basculement dans la sélection élitiste au sein du système scolaire s’opère au moment de l’entrée en première scientifique. Les filles effectuent des choix scolaires moins ambitieux : à niveau de mathématiques identique, les filles vont se juger moins légitime que les garçons pour demander une orientation dans la filière scientifique. En outre, la sélection dans les filières élitistes s’opère par les mathématiques. Ce qui est justement la seule matière où les filles sont moins bonnes que les garçons. Ainsi, les sociologues qui avaient considérés que les mathématiques étaient plus socialement égalitaire que les matières littéraires n’avaient pas pris en compte la variable de sexe : cela peut être certes le cas mais surtout pour des garçons.
Ce dernier point peut être mis en relation avec les travaux d’Alain Lieury sur la mémoire sémantique. La réussite scolaire est corrélée à la mémoire sémantique dans toutes les matières à l’exception des mathématiques où elle est davantage liée au raisonnement logique. C’est à dire que partout les compétences les plus liées à la littératie prédominent, sauf en mathématiques.

c- La domination de la rationalité calculante face au care : libéralisme et numérique

Comment alors expliquer que notre société sélectionne avant tout ses élites sur la base des mathématiques ? Cet état de fait doit être mis en lien avec l’avènement de la science moderne et du capitalisme qui sont deux processus concomitants. La science moderne conduit à considérer la nature comme une réalité écrite en langage mathématique (Galilée). Elle réduit le seul rapport au monde légitime de l’être humain à la calculabilité. Ce rapport au monde permet la construction de machines qui augmentent la puissance de l’être humain. C’est l’avènement de la technoscience. Cette technoscience rend possible la croissance des forces productives nécessaires à l’émergence du système capitaliste. En effet, le système capitaliste ne repose pas uniquement sur un rapport social d’exploitation rendu possible par l’accumulation primitive du capital. Comme l’explique Simone Weil, contre Marx, c’est l’organisation même de la production dans l’industrie qui par la domination de la rationalité technique rend possible le rapport social de domination. Si la Révolution russe ne parvient pas à faire disparaître le rapport de domination, c’est qu’il est inscrit au cœur même du mode de production industrielle. La machine induit un rapport social entre ceux qui disposent de la machine et ceux dont la machine dispose.
De leur côté, les sciences économiques (libérales), fascinées par la puissance théorique de la physique moderne, construisent l’anthropologie de l’homo economicus. L’être humain est un atome social dont il est possible de modéliser le comportement à partir des mathématiques. Chaque individu est un acteur rationnel qui calcul ses actions en vue d’optimiser son plaisir. Cette anthropologie conduit à une dévalorisation sociale du care. Les relations sociales ne tiennent pas sur la base du care, mais elles ne tiennent que sur la base d’un calcul d’intérêt. L’économie libérale fabrique progressivement l’être humain comme un homme economicus en détruisant les institutions sociales qui maintiennent les relations de solidarité.
Cette science moderne et cette économie de marché ont été construites par des hommes dans une dévalorisation des savoirs féminins traditionnels. Cette économie est corrélée au passage d’une économie domestique à une économie de marché, d’une économie d’auto-suffisance à une économie productiviste. Alors que l’économie domestique reste liée aux relations de care et aux solidarité communautaires, l’économie de marché implique des relations contractuelles qui sont celles de l’homo economicus. Cette économie de marché implique des dispositions à la compétition inter-individuelle et non à la coopération qui sont celles qui sont valorisées dans la socialisation masculine.
Avec ce que certains appellent la troisième révolution industrielle, ce qui se profile s’est l’avènement de la société algorithmique : intelligence artificielle, analyse prédictive par les big data… Ainsi, les automates remplacent un ensemble d’activité de care liées à l’accueil. Les robots compagnons sont censés à termes simulées les relations de care auprès par exemple des personnes âgées dans des sociétés occidentales vieillissantes.
Les compétences qui dominent la science moderne, la technique moderne et l’économie capitaliste ne sont donc pas celles qui sont valorisées dans la socialisation féminine. Ce sont au contraire celles qui sont valorisées dans la socialisation masculine. C’est comme si l’orientation de la société occidentale moderne était à l’image des rapports sociaux de sexe.

Afin de préparer les évolutions attendues de la société du numérique, le gouvernement met en place un plan qui doit permettre de renforcer l’éducation des élèves au numérique. On sait qu’au moins dès la pré-adolescence, la socialisation à l’informatique est lié à une image masculine : le geek ou le nerd sont des garçons. Lorsque les filles utilisent le numérique, ce n’est pas avant tout pour programmer, mais pour communiquer. Il s’agit d’un usage extensif des compétences de care. On peut ainsi supposer que l’introduction du numérique à l’école et la sélection scolaire par les compétences algorithmiques va favoriser les garçons. Actuellement, les femmes sont sous-représentées dans les métiers du numérique : moins de 30 % de femmes. Pour que l’école parvienne à réaliser une parité dans ces professions, il faudrait qu’elle réussisse à contrer toute une socialisation différenciée de genre qui est largement répandue en dehors de l’école.

d- La « culture macho » comme facteur d’échec scolaire des garçons

Il est néanmoins possible de se demander s’il n’existe pas un lien entre la dévalorisation sociale attachée au travail éducatif des femmes – dans l’espace domestique et scolaire – et l’échec scolaire des garçons.
S’il est accepté que les petites filles puissent relativement s’identifier à des pratiques de masculinité (« le garçon manqué »), l’inverse est beaucoup moins bien toléré. C’est qu’en effet le statut masculin est socialement prestigieux, en revanche s’identifier au genre féminin, c’est pour les garçons socialement déchoir.
Ainsi, l’activité de lecture de roman, dont on sait qu’elle est corrélée à la réussite scolaire est socialement une activité de loisir féminine. Par conséquent, il est plus difficile à un garçon de s’identifier à cette activité qui est perçue comme féminine. Or cela est d’autant plus problématique dans les classes populaires car l’activité de lecture peut compenser, comme l’ont montré des études britanniques, le niveau de diplôme des parents.
Certains accusent la féminisation de l’enseignement d’être à l’origine du sur-échec scolaire des garçons relativement aux filles. Néanmoins, il est possible de se demander, s’il ne serait pas plus logique d’éduquer les enfants à la remise en cause de cette dévalorisation sexuée du travail éducatif des femmes. Cela passe sans doute par une co-éducation des filles et des garçons, y compris au sein du système scolaire, aux tâches ménagères.

2- Travail scolaire et idéologies des classes dominantes

a- Travail scolaire et idéologie du don

La sociologie depuis Bourdieu a mis en lumière comment le système scolaire français est marqué par une idéologie, d’origine religieuse, du don. Il y a une valorisation des apparentes facilités scolaires des élèves qui font l’impasse sur ce que celles-ci ont de socialement construites. Cette valorisation du don plutôt que du travail apparaît par exemple dans le jugement qui est porté sur le travail des filles : celles-ci travaillent plus et sont considérées comme plus « besogneuses » que les garçons. A l’inverse, comme le montre Muriel Darmon au sujet de la sélection à l’entrée des classes préparatoires, il est positif qu’un élève donne l’impression de réussir sans beaucoup travailler. Cela laisse présager en lui des réserves : comme si les performance d’un individu étaient liées à une disposition fixe qu’il ne serait pas possible d’améliorer par le travail.
L’idéologie du don se trouve à l’œuvre dans la théorie du QI. Les théoriciens du QI distinguent entre deux formes d’intelligence : l’intelligence fluide (qui correspond au raisonnement logique) et l’intelligence cristallisée (que l’on peut rapprocher de la mémoire sémantique). Selon ces théories, le niveau dans les tests de QI pourrait être prédictible des performances intellectuelles générales d’un individu. Le QI serait stable dans le temps chez un même individu et il serait lié à des prédispositions génétiques (corrélation avec les parents, entre les vrais jumeaux…). De fait, les tenants des tests de QI mettent en avant une corrélation entre un niveau de QI supérieur à 120 et une réussite dans les études supérieures.
Outre le fait que d’autres recherches mettent en relief une relation entre niveau de QI et milieu social, force est de constater que rien n’a permis jusqu’ici d’établir une corrélation entre le QI et le génie. Le génie est définie comme une personnalité particulièrement créative au point de bouleverser significativement le domaine dans lequel il intervient. On parle alors de créativité historique. En particulier la précocité intellectuelle n’est pas un critère qui permet prédire ce que l’on qualifie de génie. Plusieurs éléments semblent pouvoir constituer des éléments d’explication de cela. Tout d’abord, il est possible de citer les travaux qui portent sur la différence entre les novices et les experts. Ce qui distingue un novice d’un expert ne sont pas ses capacités de raisonnement intellectuel, mais ce sont ses connaissances. Le psychologue Erik Erikson considère qu’il faut pour devenir un expert dans un domaine y consacrer 10 000 heures de travail pendant 10 ans (soit en moyenne 20h par semaines). Howard Gardner a montré que les génies créatifs, même dans les rares cas où ce sont des génies précoces, ne produisent une création historique qu’au bout de dix ans. Il est possible d’ajouter à ces éléments, l’étude qu’Ann Roe a mené dans les années 1950 auprès de scientifiques américains particulièrement réputés dans leurs disciplines. Elle a montré qu’ils ne se distinguaient pas particulièrement par des capacités de raisonnement supérieures, si ce n’est des capacités de raisonnement verbale. On retrouve ici la corrélation entre la maîtrise du langage et les performances intellectuelles. Mais ce qui distingue particulièrement ces individus n’est pas lié à leur intelligence, mais à des trait de personnalité qui recoupent l’engagement dans la tâche : ils se sont intéressés très jeunes à leur domaine de prédilection, ils y ont consacrés beaucoup de temps et sont capables de passer beaucoup de temps à fixer leur attention sur un problème. Ces caractéristiques ont été également mis en avant par des philosophes tels que Nietzsche ou Guyau par exemple.
L’idéologie du don est particulièrement désastreuse pour les enfants des classes populaires pour deux raisons. D’une certaine façon, elle rend indigne de donner l’impression de travailler scolairement surtout si on est garçon. On peut réussir scolairement, mais si on donne l’impression de ne pas faire d’effort, de ne pas s’engager dans la tâche. Or on peut supposer que seul le travail est en mesure de compenser dans une certaine mesure, à plus ou moins long terme, les inégalités de capital culturel liés au milieu social.

b- Travail scolaire et idéologie du bien-être

On trouve également dans la pédagogie une autre idéologie qui est liée aux classes moyennes à savoir celle selon laquelle l’éducation doit permettre l’épanouissement de l’enfant dont le critère est le bien-être psychique. Cette idéologie est en lien avec l’influence de la psychanalyse sur la pédagogie. On la trouve par exemple dans l’expérience de Summerhill d’Alexander Neil. L’école accueille principalement des enfants des classes moyennes supérieures qui ne parviennent pas s’adapter à l’enseignement traditionnel des établissements d’élite anglais basés sur la discipline. La critique de la maltraitance éducative du système scolaire est une problématique qui touche les enfants de toutes les classes sociales. Mais elle est sensible d’une manière spécifique parmi les enfants des classes moyennes supérieures pour lesquelles la compétition scolaire doit conduire à intégrer les filières d’élite et pour lesquelles l’échec scolaire peut impliquer un déclassement social. Le mal être scolaire peut alors conduire au décrochage. Ces élèves constituent un public que l’on peut retrouver par la suite dans les lycées de la deuxième chance et pour lesquels le suivi plus individualisé de ces établissements peut effectivement être plus adapté. On trouve également parmi les parents qui pratiquent le homeschooling ou qui ont recours à des écoles privées alternatives des problématiques du même type : éviter à leurs enfants une situation de mal être scolaire. Cette problématique du mal être scolaire rejoint celle du mal-être professionnel qui est une question plus prégnante que les revendications salariales matérielles chez les cadre supérieurs.
Néanmoins, cet objectif centré sur le bien-être n’est pas nécessairement une priorité adaptée en ce qui concerne les enfants des classes populaires. En effet, des études ont conduit a constater que les enseignant-e-s d’éducation prioritaire, face aux difficultés sociales et scolaires des enfants, pouvaient reléguer au second plan les apprentissages pour mettre en avant le bien-être scolaire des élèves. Le bien-être psychique deviendrait la condition de possibilité de l’entrée dans les apprentissages. Néanmoins une telle stratégie s’avère pernicieuse en ce qui concerne les élèves issus des classes sociales populaires car leur milieu leur offre moins d’opportunités de pouvoir rattraper les apprentissages s’ils ne sont pas effectués à l’école. Cela ne signifie pas que la problématique du bien être scolaire doive être négligée, mais on inverse la cause et les effets. C’est le fait que l’élève s’engage dans les apprentissages avec intérêt qui est un facteur de bien-être scolaire. C’est le fait de réussir dans les tâches qui peut permettre de reconquérir une estime de soi atteinte et qui est un facteur de résilience.

3- Travail scolaire et statut du travail dans les classes populaires

a- Travail non-qualifié et chômage

La question du travail scolaire dans son rapport à l’échec scolaire des élèves des classes populaires ne peut pas être détachée du statut social du travail des classes populaires. Le travail dans les classes populaires est tout d’abord un travail socialement disqualifié. L’enfant des classes populaires à l’image, le plus souvent, de parents qui occupent un emploi qui n’a pas été choisi et qui est vécu sur le mode de la pénibilité. En soi, le terme de travail renvoie à une activité pénible et non à une source d’épanouissement. Lorsque le travail ne renvoie pas à la pénibilité, il s’associe à la problématique du chômage. Il y a alors pire que d’avoir un emploi, c’est de ne pas en avoir.

b- Dignité et reconnaissance sociale

La question du travail est fondamentale dans la construction de l’individu comme nous l’avons déjà vu auparavant car le travail est l’activité d’anthropisation. Mais dans l’économie capitaliste, le travail a été capté principalement par l’emploi salarié. L’emploi médiatise la satisfaction des besoins par la rémunération monétaire. Le travail n’est plus alors une activité qui est la condition de possibilité de la construction d’une personnalité intégrale, le travail devient avant tout, pour les classes populaires, l’activité qui permet de gagner de l’argent dans le cadre d’un emploi. Ce qui devient primordial, c’est d’accéder à la consommation. L’individu existe comme homo economicus et non comme travailleur. Ce qui faisait la valeur subjective du travail est perdue car elle tient non pas à l’accès la consommation, mais à la fierté d’avoir réalisé une œuvre reconnue socialement.
La fonction psychologique et sociale du travail est plus fondamentale. Le travail est ce qui permet à l’être humain d’acquérir une dignité en étant reconnu par ses pairs. Le travail est une activité sociale. On ne travaille pas seul, mais en coopération avec autrui. L’individu prend conscience de ce qu’il a réussi à faire de lui dans la reconnaissance qu’il obtient de son œuvre – donc de sa capacité créatrice – par autrui.
Cette fierté ne provient pas uniquement du travail productif contrairement à ce qu’a mis en avant le mouvement ouvrier. Ainsi, le travail du care peut être source de fierté : les parents peuvent être fiers de la manière dont ils ont élevé leurs enfants. Le sujet peut être fier de la personnalité qu’il est devenu par le travail qu’il a mené sur lui-même.
L’ambivalente considération attachée au travail scolaire (par l’idéologie du don) et l’aliénation du travail dans l’emploi a des conséquences qui sont humainement profondes. En effet, l’individu perd ce qui lui permet d’obtenir la reconnaissance d’autrui et la fierté de soi par son activité. Il n’est guère encore que dans l’activité physique sportive et la création artistique que les enfants des classes populaires peuvent sentir la valeur anthropologique du travail. Mais ces deux activités sont viciées : l’une par la sportivation liée à la compétition et l’autre par la transformation de l’art en objet de consommation marchande.

4- Le travail scolaire aliéné

Mais le travail n’est pas seulement aliéné dans le cadre de l’emploi, il est également aliéné à l’école. Il l’est par le fait qu’il est orienté selon les logiques d’une compétition scolaire qui vise à classer les individus de manière à les distribuer dans la hiérarchie sociale en fonction de leurs résultats scolaires.
L’aliénation du travail se remarque au fait que les élèves sont soumis à des programmes et à des travaux scolaires qui ne font aucun sens pour beaucoup d’entre eux. Il ne comprennent pas pourquoi on leur fait apprendre ces savoirs faute de voir comment ils pourraient leur permettre de comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Cette aliénation du travail est également visible par le fait que les bons élèves ne comprennent pas nécessairement les enjeux de ce qu’on leur apprend, se contentant de se satisfaire de leur statut scolaire et social de bon élève. A côté de cela, un grand nombre d’élèves perd, au fur et à mesure de leur statut d’élèves médiocres ou mauvais, une grande part de leur motivation scolaire et de leur intérêt intrinsèque pour les savoirs. A l’opposé de cela, certains élèves peuvent conserver une motivation intrinsèque forte pour les savoirs sans que le système scolaire leur offre la possibilité d’exprimer cette motivation afin qu’elle donne lieu à un travail créatif et reconnu au sein de cette institution. Au contraire, le système ne les valorise que dans la mesure où ils parviennent à se plier aux normes scolaires, sinon ils font l’objet d’une relégation.
Or ce système qui se veut élitiste n’est pas forcément ce qui fabrique de l’excellence intellectuelle. En effet, nous avons vu précédemment que les scientifiques se caractérisent par des traits de personnalité spécifiques. Or ces traits de personnalité peuvent difficilement se développer dans le cadre du système scolaire étant donné que celui-ci n’accorde que très peu d’espace pour un développement intrinsèque à des intérêts intellectuels personnels.

III- LE TRAVAIL ENSEIGNANT COMME ENGAGEMENT MILITANT

1. Un engagement dans la lutte contre la reproduction des inégalités sociales

Selon les études sociologiques, le modèle vocationnel de la profession d’enseignante a connu un reflux. Face à ces changements parmi les enseignant-e-s et à ceux entraînés par la massification scolaire, c’est un autre modèle, qui est promu par l’institution qu’est l’Éducation nationale, à savoir celui de la professionnalité par compétences.
Néanmoins, il est possible de douter, face à l’ampleur du défi qu’implique l’enseignement dans les zones victimes de ségrégations sociales et ethniques, que ce modèle suffise pour le relever. La lutte contre la reproduction des inégalités sociales à l’école suppose plus que du professionnalisme. Elle suppose que les enseignant-e-s puissent construire subjectivement leur rapport à leur fonction comme un engagement militant contre les inégalités sociales. Cela suppose que leur formation au métier d’enseignant-e fasse de l’engagement dans la lutte contre la reproduction sociale des inégalités la priorité de leur mission.

2. L’empowerment des dominé-e-s

Pour agir contre la reproduction des inégalités sociales, il est nécessaire que les enseignant-e-s se donnent pour mission l’empowerment des dominé-e-s. Celui-ci commence par la reconstruction d’une conscience sociale de classe des dominé-e-s. Cela suppose d’expliquer le fonctionnement des inégalités sociales par l’étude de la société et de ses divisions sociales. Cela implique en outre de fournir aux élèves les outils intellectuels critiques qui leur permettront d’analyse la société et de pouvoir agir à sa transformation. La finalité de l’enseignement n’est pas la reproduction sociale, mais l’émancipation des individus. Il ne s’agit pas d’embrigader intellectuellement les élèves, mais de leur fournir les outils qui leur donnent les moyens d’être des citoyens conscients et qui leur donne la capacité d’agir. Ce qui distingue la finalité émancipatrice de l’éducation de l’embrigadement des consciences dans l’emploi par le management, c’est que le discours du management néo-libéral vise à capter les puissances du sujet afin de les employer à renforcer l’accumulation capitaliste du profit pour le profit. Or l’éducation ne doit pas avant tout avoir pour finalité l’employabilité. L’éducation vise l’émancipation individuelle et collective des sujets. C’est pourquoi sa fonction première doit être de leur en fournir les outils. C’est pourquoi également sa finalité en soi n’est pas le bien-être des élèves. Le bien-être psychologique ne doit être conçu que comme un effet de l’empowerment.

3. Le rapport au savoir des enseignant-e-s

Afin de parvenir à réaliser cet objectif, il ne suffit pas que la formation des enseignant-e-s travaille sur la conscience sociale des futurs enseignant-e-s en les formant en sciences sociales et aux outils d’analyse critique de la société : sociologie du genre, sociologie de la reproduction sociale…
Il faut également travailler sur leur rapport au savoir. Nombre d’étudiants, même en Master, ne sont pas ce que l’on pourrait considérer comme des étudiants, mais comme de grands lycéens. A la différence de beaucoup de lycéens, ils ne sont pas dans la situation d’un public captif et ne posent pas de problèmes de discipline. Ils sont suffisamment motivés pour faire ce qu’ils estiment nécessaire pour tenter de réussir leur année. Néanmoins, le fait d’écouter des cours, de faire les travaux demandés et de réviser sérieusement ses partiels ne suffit pas à constituer un rapport au savoir autonome.
La difficulté, c’est que nombre d’enseignant-e-s reproduisent le rapport au savoir qui leur a permis d’être de bon-ne-s élèves durant leur scolarité : le statut d’ancien-ne-s bon-ne-s élèves est souvent celui des enseignantes. Néanmoins, ce rapport à l’école fabrique des « bons élèves », mais il ne fabrique pas l’excellence intellectuelle.
Pour les « bons élèves », la réussite scolaire est liée à l’application servile des attendus de l’enseignant-e. Il s’agit de connaître le cours et de le restituer le plus efficacement possible relativement aux règles du jeu fixé par l’enseignant-e et l’institution scolaire. Cela peut s’accompagner d’un vague sentiment d’ennui que contre-balance le statut social de bon-n-e élève. Pour ces ancien-ne-s « bon-ne-s élèves », former des élèves consiste à reproduire le même processus puisque, c’est ainsi qu’elles ont pu obtenir le statut de bon-ne-s élèves.
Mais en réalité, il existe d’autres rapports au savoir que celui qui construit le bon élève. Il est possible d’encourager chez les élèves d’autres rapports au savoir s’appuyant sur un intérêt intrinsèque. On peut certes arguer que nombre d’élèves ne sont pas motivés de manière intrinsèque et qu’ils ont besoin qu’une contrainte s’exercent sur eux pour progresser dans les apprentissages. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans cette discussion. Il est simplement possible de constater qu’il existe au sein de l’institution scolaire des élèves qui ont des intérêts intrinsèques pour les savoirs sur lesquels les enseignant-e-s pourraient s’appuyer pour les aider à progresser et qu’au lieu de cela, ils se contentent d’appliquer des normes impersonnelles et construisent de l’échec scolaire. A cet égard, il est possible de se demander si le phénomène des élèves intellectuellement précoce (EIP) n’est pas un symptôme de ce problème pédagogique. En effet, lorsqu’on lit les recommandations pour traiter ces élèves à besoins spécifiques, on constate que l’on est proche de ce que l’on peut appeler un travail scolaire désaliéné comme par exemple « un autre espace de liberté susceptible de lui permettre de développer des “passions ” et d’aller au bout de ses attentes ». Les pratiques pédagogiques dominantes actuelles ne laissent presqu’aucune place : à l’enthousiasme intellectuel intrinsèque et à l’expression d’une réflexion personnelle sur les sujets qui sont enseignés.
Il y a de ce fait un point sur lequel il est nécessaire d’attirer l’attention, c’est qu’il est difficile que l’enseignant-e puisse susciter chez les élèves des qualités qu’il n’a pas et que l’on ne lui a jamais appris à construire. Comment susciter l’enthousiasme intellectuel, si soi-même l’on n’a pas conscience qu’un tel rapport aux savoirs scolaires peut exister ? Il est sur ce plan un point tout à fait significatif, c’est la baisse de la lecture chez les enseignant-e-s, comme dans tous les groupes sociaux, depuis les années 1980. Or la lecture personnelle constitue un vecteur d’apprentissage autonome tout à fait important. Il est également possible de souligner le rapport à la formation initiale que bon nombre du futurs enseignant-e-s expriment : ils sont souvent critiques par rapport aux savoirs théoriques qui leur sont dispensés. On voit là qu’ils éprouvent des difficultés à être capables de produire par eux-même, de manière autonome et appliquée à leur pratique, un usage des savoirs théoriques. Cela dénote une carence du système d’enseignement, c’est qu’il n’encourage pas assez la réflexion personnelle sur ce qui est appris. Or la réflexion sur les savoirs permet d’aller plus loin dans leur maîtrise.
Il est nécessaire d’ajouter que la formation des enseignant-e-s doit être animée par un principe de bienveillance. C’est aujourd’hui une injonction de l’institution scolaire que d’essayer de construire une école plus bienveillante vis-à-vis des élèves. Néanmoins, ce souci de bienveillance ne peut pleinement être réalisé que si les relations au sein de l’institution scolaire sont empruntes elles-mêmes de bienveillance car la violence de l’institution se retrouve à tous les niveaux et pas seulement dans la relation entre les enseignant-e-s et les élèves. Cela signifie qu’il faut commencer par traiter les enseignant-e-s stagiaires avec bienveillance.

4. Les savoirs-faire enseignants

Enseigner ne relève pas d’un charisme qui renverrait à on ne sait quelle grâce divine. Les travaux scientifiques sur le sujet montre effectivement qu’il existe des représentations des élèves de ce qu’est un bon enseignant et des pratiques qui sont efficaces. Les élèves ont souvent une conception traditionnelle de l’enseignant : il est avant tout quelqu’un qui gère bien sa classe. C’est un travers de penser que la gestion de classe relève avant tout d’un régime de sanctions ou de techniques. Les succès de la pédagogie Freinet montre en réalité de manière convaincante que c’est la mise au travail des élèves qui constitue la meilleure garantie d’une bonne tenue de classe : un élève qui perturbe le cours est souvent un élève qui a décroché et qui s’ennuie. La seconde qualité que les travaux mettent en valeur, c’est qu’un enseignant « efficace » a un cours bien structuré en particulier par l’usage d’un plan clair : c’est une hantise des élèves d’être perdu dans le cours. La troisième qualité, c’est qu’il fournit des explications claires.
Ce sont disons des qualités sine qua non pour gagner la confiance des élèves et par la même occasion des parents, mais l’efficacité enseignante n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un moyen qui doit permettre de pouvoir réaliser des fins plus intéressantes. Il s’agit en particulier d’aider les élèves à comprendre qu’il existe d’autres rapports au savoir que les représentations aliénées qu’ils ont acquis durant leur scolarité et qui constitue l’un des curricula caché pernicieux de l’institution scolaire.

IV- D’UNE PEDAGOGIE D’EMPOWERMENT MENTAL A LA TRANSFORMATION SOCIALE

1- – Expression orale et écrite : laisser une place aux intérêts intrinsèques

Au vu de ce qui est connu sur la motivation scolaire, il est nécessaire qu’un temps soi prévu pour travailler à l’oral et/ou à l’écrit à partir de la place des intérêts intrinsèques des élèves. Ce travail peut prendre plusieurs formes. La première peut consister à demander aux élèves d’effectuer des exposés sur des sujets qu’ils ont choisi sur le seul critère que ceux-ci les passionnent. L’enseignant-e peut également organiser des séances de travail en pédagogie différenciée individuellement ou en groupe où il joue un rôle de médiateur pour aider les élèves à progresser sur le sujet qu’ils ont choisis. Les opposants au fait de laisser une place aux intérêts personnels des élèves arguent du fait que ceux-ci ne sont souvent que le reflet de la culture des mass media. Cela est exact. Mais, c’est justement là où le rôle de l’enseignant-e comme médiateur intervient. Celui-ci est justement de fournir les outils d’analyse critique de l’industrie du divertissement. Le texte libre peut constituer un outils pour travailler ces questions à l’écrit.
Il est important de noter que les études ont montré que le travail sur des compétences orales et écrites ne sont pas les mêmes. On ne fait pas progresser les élèves à l’écrit en les faisant travailler l’oral. Cela tient au fait qu’il y a un écart important en français entre le langage oral et écrit. Il est même possible de dire que la scolarité vise à rendre capable l’élève de parler un langage oral soutenu proche du langage écrit.
Le niveau de l’intérêt que les élèves portent au savoir ne doit pas seulement construit par l’enseignant, mais également par les élèves. Une des thématiques souvent mis en lumière est celle de l’ennui scolaire. Néanmoins, il est possible de noter que la participation orale peut être une stratégie pour un élève pour lutter contre l’ennui scolaire et maintenir son intérêt pour les élèves. Or trop d’enseignants craignent la participation des élèves comme un facteur qui nuit à la gestion de classe et qui ralentie le traitement du programme.
Enfin, le fait de permettre aux élèves de choisir ce sur quoi ils désirent travailler ne doit pas aboutir à favoriser chez eux une attitude consumériste qui conduirait à confondre le service public d’enseignement et le supermarché. Il faut par exemple les rendre sensibles à la différence entre le comportement individualiste du consommateur et celui de citoyen qui accepte une décision majoritaire prise dans une démocratie directe.

2. Lecture et mémoire sémantique

a- Niveau de vocabulaire et niveau scolaire

Comme l’ont montré les travaux d’Alain Lieury, le niveau scolaire des élèves est corrélé à leur mémoire sémantique. Or dès l’école maternelle, on constate des différences de niveau de vocabulaire (nombre de mots) entre les enfants en fonction de leur milieu sociale. Par la suite, en primaire, les inégalités sociales et scolaires sont le plus accentuées entre les bons élèves et les élèves en difficultés dans les compétences en littératie. Or, les difficultés à l’école primaire sont très souvent prédictives des difficultés scolaires futures des élèves. A 15 ans, au moment des évaluations PISA, les différences de niveau scolaire entre milieux sociaux se sont également creusés en mathématiques. Cela s’explique par le fait que si la réussite en mathématiques est avant tout corrélée au niveau de raisonnement logique, il n’en demeure pas moins qu’il entre également dans la compréhension des énoncés des compétences d’ordre verbales.

b- Lire en classe et hors de la classe

Les travaux sur l’impact des lectures personnelles (par exemple PISA) sur le niveau scolaire mettent en lumière qu’il peut y avoir jusqu’à un an de différence scolaire entre un élève qui lit en moyenne une heure par jour (en particulier des romans) et un élève qui lit peu.
L’enseignant-e dans son rapport à la lecture doit être un modèle pour les élèves. Les élèves se rendent compte de la différence entre un enseignant-e qui est un gros lecteur et un enseignant-e qui lit peu. Cette différence se constate non seulement à sa différence de niveau de culture générale, mais également dans son rapport au savoir. Il va sans dire que les enseignant-e-s qui lisent beaucoup et sur des sujets variés ont de plus fortes chances d’être des personnalités intellectuellement enthousiastes et possiblement intellectuellement enthousiasmantes.
Ce rapport à la lecture peut être mis en valeur par le fait que les élèves doivent voir que l’enseignant-e lorsqu’il a un moment, parce que les élèves sont occupés à faire un devoir par exemple, le consacre à la lecture. L’enseignant-e peut également partager ses lectures avec les élèves : leur raconter des livres qu’il a lu, leur conseiller des lectures, leur lire un passage d’un livre qu’il est en train de lire, leur faire partager son enthousiasme pour une lecture ancienne ou récente…

c- Lecture de textes sociaux : conscientisation et identification

Afin de travailler à la construction d’une conscience sociale et à l’empowerment des élèves, l’enseignant-e peut choisir des lectures qui y contribuent. Il peut choisir des textes qui abordent la réalité sociale en fonction du niveau scolaire des élèves : inégalités sociales économiques, rapports sociaux de sexe, rapports sociaux de racisation….
Les textes qui sont choisis peuvent également construire un modèle d’identification positif d’empowerment. Il est possible dans ce cas de choisir des exemples, tirés de la fiction ou de l’histoire, de personnalités qui ont connus un empowerment par l’accès à la connaissance ou par l’action collective.

3. Activité mentale, méthode explicite et métacognition

a- Apprendre à apprendre : attention aux illusions

Apprendre ne consiste pas seulement à acquérir des connaissances déclaratives, mais également procédurales. Néanmoins, il faut se méfier de la tentative de penser qu’il suffit de fournir des méthodes aux élèves pour leur permettre d’acquérir seuls de nouvelles connaissances. Il y a cela plusieurs objections. Les programmes de remédiation cognitifs qui visent par exemple à renforcer les capacités de raisonnement logiques des élèves pour qu’ils puissent les transférer dans les disciplines scolaires n’ont pas donnés de résultats significatifs mesurables. Les digital natives ne sont pas plus performants que les autres en ce qui concerne l’analyse critique des documents sur Internet. Néanmoins, il ne suffit pas de doter les élèves de méthodes critiques pour améliorer leur capacité à traiter l’information. En effet, pour pouvoir évaluer de manière pertinente un document, il faut posséder des connaissances qui permettent de le comprendre et de le mettre en perspective grâce à l’ensemble des connaissances contenus dans la mémoire sémantique du sujet.

b- L’importance de la métacognition et de l’étude explicite des stratégies d’apprentissage

Les travaux en psychologie de l’apprentissage s’accordent sur le fait que l’élève apprend mieux s’il est actif que si on le considère comme un réceptacle passif dans lequel on déverse la connaissance. Mettre l’élève au centre des apprentissages, cela signifie qu’il s’agit de tenir compte des processus d’apprentissage des élèves et non pas seulement des contenus de connaissance. Les méthodes socio-constructivistes s’attachent à construire des démarches qui rendent l’élève actif. Mais ces méthodes rencontrent deux difficultés. La première est qu’elles sont très chronophages à la fois en temps de préparation et de réalisation tout en exigeant de la part de l’enseignant-e un bon sens de l’organisation. En outre, l’élève peut être physiquement actif en n’étant pas mentalement actif. Or l’activité importante dans l’apprentissage, c’est l’activité mentale.
La difficulté avec l’activité mentale, c’est qu’elle est invisible. Les travaux qui interrogent les « bons élèves » et les élèves en difficulté montrent une différence au niveau de leur activité mentale en cours. Les élèves en difficulté scolaires sont passifs durant un cours magistral. Pour eux, être un bon élève, c’est être sage, écouter l’enseignant-e et prendre des notes. Lorsque l’on interroge un bon élève, il fourni des réponses totalement différentes. Pour lui écouter un cours, c’est essayer de comprendre, se poser des questions, faire des liens… On peut alors se demander si la différence de niveau entre des élèves qui réussissent à l’école et des élèves qui travaillent beaucoup, mais ont de faible résultat, ne tient pas entre autre à ces différences de stratégies mentales. Ces élèves travaillent beaucoup, mais de manière peu efficace.
Plusieurs travaux, que ce soit ceux de Pierre Bourdieu ou ceux la pédagogie explicite, mettent en lumière l’importance de rendre explicite un certain nombre d’opérations qui sont implicites pour les élèves en difficultés, en particulier ceux issus des classes populaires. En effet, les enfants des classes moyennes supérieures sont entraînés par les interactions familiales à développer des qualités utiles dans le cadre du système scolaire sans que cela soit nécessairement conscient pour les acteurs. Par exemple, le style éducatif des enfants des classes moyennes supérieures entraîne les enfants à argumenter et à justifier leurs choix.
L’enseignant-e doit donc travailler à l’explicitation de ses stratégies mentales par un travail de métacognition. Il est possible d’utiliser trois méthodes et même de les combiner : l’enseignant-e explique aux élèves sa propre stratégie mentale ou/et explique les stratégies étudiées comme les plus efficaces par la psychologie cognitive ou/et il invite les élèves en groupe à échanger sur leurs stratégies mentales à partir d’un problème donné. Dans le dernier cas, il fait jouer l’apprentissage coopératif entre pairs.

c- Faire des liens avec le monde et entre les savoirs entre eux

Un des grands facteurs d’aliénation du travail scolaire pour les élèves, c’est qu’ils ne saisissent pas les enjeux de ce qui leur est appris. Cela tient au fait qu’ils ne font pas de lien entre ce qui leur est appris et le monde dans lequel ils vivent. L’enseignant-e doit donc faire ces liens, mais il doit également inciter les élèves à faire ces liens par eux-mêmes de manière à ce qu’ils apprennent à construire pour eux-même un sens aux savoirs.
C’est une injonction de l’institution elle-même que les enseignant-e-s doivent essayer de donner du sens aux savoirs. Mais en réalité, c’est une posture tout à fait insuffisante. Il ne suffit pas de donner un sens au savoir. En effet, les intérêts des élèves sont divers en fonction de leur personnalité et le sens que peut revêtir un savoir peut également différer selon les intérêts de la personne qui reçoit ce savoir. Il importe donc que l’enseignant-e apprenne à l’élève qu’il doit apprendre à construire du sens par lui-même. Il ne s’agit pas de donner un sens aux savoirs, mais d’encourager un rapport plus personnel aux savoirs.
Il est également important que les enseignant-e-s apprennent aux élèves à faire des liens entre les savoirs entre eux. En effet, le sentiment de perte de sens de l’existence dans nos sociétés peut être lié, entre autres, à une atomisation des savoirs. La démarche analytique valorisées dans les sciences modernes et l’éclatement post-moderne des savoirs contribuent à cet état de fait. Or, il est nécessaire au contraire de construire un rapport holistique aux savoirs pour que ceux-ci puissent être un vecteur de construction de sens. Les élèves doivent être encouragés par l’enseignant-e à mettre en relation les savoirs appris durant l’année ou/et la scolarité dans une matière et/ou entre plusieurs matières.

d- Faire organiser les connaissances

Comme l’ont montré les travaux d’Alain Lieury, la mémoire sémantique est une mémoire intelligente. C’est-à-dire que les connaissances sont reliées et organisées hiérarchiquement entre elles. Il est donc nécessaire de faire travailler les élèves à l’organisation des connaissances. Il n’est pas néanmoins certains que les cartes heuristiques soient le seul et le meilleurs moyen pour y parvenir. En effet, ces types de cartes sont pertinentes pour travailler la créativité, mais moins pour constituer une construction organisée des connaissances. Souvent, les cartes heuristiques ne sont pas très lisibles pour ceux qui n’en sont pas les auteurs, ce qui peut laisser un doute sur la clarté du travail mental effectué par l’élève. Il est possible d’utiliser d’autres outils comme les schémas, les organigrammes, les tableaux ou des cartes conceptuelles… Le mieux consiste à ajouter à cela un résumer des principales idées en les liant logiquement entre elles. En effet, un double encodage sous forme de texte et de représentation visuelle favorise la mémorisation. La compréhension, l’organisation des idées et la mémorisation sont des processus qui sont intimement liés. Ce n’est que lorsque les informations atomisées sont organisées entre elles dans l’esprit de l’élève et reliées aux informations présentes antérieurement qu’elles deviennent des savoirs.
Lors de l’apprentissage d’une leçon ou d’un cours, une méthode efficace peut commencer par une auto-évaluation diagnostique. L’élève note tout ce dont il se souvient en rapport avec le cours. Ensuite, il relit son cours et détermine ce qui lui reste à apprendre, ce qui était faux ou imprécis dans ses souvenirs. Il concentre ensuite son apprentissage sur ces points là.
Il est néanmoins possible de se demander s’il n’y a pas une dissociation possible entre connaissances et intelligence. En effet, certaines personnes semblent très érudites et pourtant elles peuvent être moins performantes dans la résolution d’un problème qu’une autre personne qui se servira mieux de son raisonnement : une « tête bien pleine » n’entraîne pas nécessairement une « tête bien faite ». Le mieux c’est effectivement de posséder les deux. Mais il est possible de supposer que l’enseignement n’apprend pas toujours les élèves à tirer partie des connaissances qu’ils ont acquis. Ce qui explique également qu’ils les oublient. En effet pour cela, il faut être en capacité de produire de nouvelles connaissances par inférence à partir de celles que l’on possède déjà.

e- Faire travailler la problématisation par le questionnement et la compréhension par l’inférence

Il est nécessaire que l’enseignement ne se contente pas d’être une école qui transmet des savoirs. Elle doit, pour favoriser l’activité mentale qui est la condition de possibilité de l’excellence intellectuelle, susciter le questionnement des élèves. L’élève doit inscrire son activité mentale dans une démarche de questionnement personnel aussi bien lorsqu’il est en classe que lorsqu’il est hors de la classe. Cette démarche est nécessaire pour qu’il puisse davantage s’approprier les savoirs, mais également aller au-delà de ce qui lui a été appris. Il doit être capable de faire preuve d’étonnement face aux savoirs qui lui sont transmis. L’enseignant doit inciter les élèves à lui poser des questions, qui tout en prenant appui sur les connaissances étudiées, vont plus loin que celles-ci en montrant que l’élève a été capable de déduire des hypothèses de connaissances nouvelles à partir de ce qui lui est appris. La démarche de questionnement peut ainsi intervenir au moment de commencer une nouvelle leçon, pendant la leçon, mais également à la fin de la leçon.
Il est impératif de faire travailler le plus tôt possible les élèves sur les opérations d’inférence. En effet, la capacité à comprendre un texte et à en inférer des informations constitue la base de la compétence en littératie qui intervient en particulier dans tous les exercices de travail sur des documents qui sont demandés par exemple au lycée. Dès le plus jeune âge, le niveau de compréhension en lecture d’un élève n’est pas corrélé à son niveau de maîtrise des mécanismes de la lecture, mais à son niveau général de compréhension par exemple à l’oral.
Le travail sur les inférences est très vaste dans ses implications. A un premier stade, il s’agit d’un travail qui vise à améliorer le niveau de compréhension de ce qui a été vu au cours d’une leçon ou de ce qui est lu dans un texte. Mais à un second niveau, le travail sur l’inférence va plus loin. Une fois que l’élève a organisé les connaissances entre elles, il doit être invité à faire des déductions à partir de ses connaissances : ce qui implique de pouvoir inférer des connaissances qui n’ont pas été vues explicitement en cours.
Cette capacité à effectuer des inférences qui vont plus loin que le cours est certainement une qualité qui intervient dans la différence de niveau entre les élèves. En effet, certains élèves effectuent des opérations cognitives tout à fait spécifiques. Ils réfléchissent sur le cours non seulement durant la séance, mais en dehors des séances, et même en dehors des moments où ils révisent leurs cours, non seulement pour le comprendre, mais pour en tirer des réflexions personnelles qui vont au-delà du cours. Ce sont là des qualités que n’explicite pas le système scolaire, mais qui devraient être mises en lumière pour contribuer à la fabrication d’une excellence intellectuelle.
Il est possible de se demander pourquoi viser la fabrication de l’excellence intellectuelle et que faut-il entendre par ce terme. Être excellent s’inscrit à la fois dans une éthique perfectionniste de développement de ses capacités et dans une fierté de la reconnaissance par autrui de ses performances. Il est possible de prendre sur ce plan l’exemple des arts martiaux. La progression dans une voie (« do ») ne vise pas la compétition avec autrui. C’est là la différence entre les arts martiaux et les sports de combats. Le perfectionnement se fait par rapport à une référence personnelle : le but est de progresser avant tout par rapport à soi même. Mais le travail et le temps permettent à tous de progresser. L’admiration que suscite l’expert en art martiaux naît de ce que le travail et l’entraînement peuvent permettre à un individu d’atteindre dans la maîtrise de ses propres capacités physiques et mentales. Il est à cet égard significatif que sous le terme de « chi » ou de « ki », nombre d’arts martiaux orientaux se donnent pour objectif la maîtrise par le sujet de son énergie (ou force) vitale.
Enfin, on sait que les enseignants qui font le plus progresser les élèves sont ceux qui ont des attentes élevées. Or il ne peut exister une plus grande attente que de viser l’excellence. Mais non pas une excellence entendue comme une situation dans une hiérarchie scolaire, mais une excellence qui vise des buts de maîtrise.

4- Sens du travail et implication personnelle

a- Engagement dans la tâche, efficacité et sens du travail

Le fonctionnement du système scolaire tel qu’il existe avec ses normes principalement centrées sur la réalisation d’un programme scolaire ne favorise pas l’engagement dans la tâche des élèves. Il est nécessaire pour cela de laisser un espace libre, appuyé par la médiation des enseignant-e-s, aux élèves pour favoriser l’engagement dans la tâche. De ce fait, les enseignements d’exploration ou les TPE, s’ils sont utilisés dans cette finalités par les enseignant-e-s, peuvent aller dans ce sens.
Mais de manière générale, le travail que l’enseignant-e donne à ses élèves joue un rôle crucial dans la désaliénation du travail scolaire. Le travail scolaire aliénant est centré uniquement sur la répétition d’exercices, d’activités parcellaires et n’impliquant pas la mise en activité de l’esprit critique et de la créativité de l’élève.
Il est certes sans doute nécessaire de passer par des activités de répétition pour acquérir des connaissances procédurales et pour mémoriser des savoirs. Pour la mémorisation, il est possible de rappeler que plus le savoir est compris et organisé en amont, plus le travail de mémorisation s’en trouve facilité et plus en même temps les connaissances seront durables dans le temps. En ce qui concerne l’acquisition des connaissances procédurales ou pour la mémoire lexicale, c’est là où il est possible de mettre en place des exercices qui ludifient le travail de manière à le rendre moins fastidieux.
Mais de manière générale, l’enseignant-e doit dans sa manière d’aborder le travail scolaire aider les élèves à distinguer deux types de tâches. Il y a les tâches mécaniques. Dans celles-ci, l’élève doit mettre en œuvre son intelligence afin de les traiter le plus efficacement possible et y consacrer le moins de temps possible. Elles ne doivent pas être considérées comme une finalité en soi, mais simplement comme des moyens nécessaires. Mais cette rationalisation par le sujet des tâches mécaniques vise à libérer du temps pour s’impliquer dans un travail émancipateur. Ce travail est une activité qui permet à l’élève de développer son esprit critique et sa créativité. Dans ce cas, les élèves doivent être au contraire incité à s’engager dans la tâche d’une manière qui n’est pas celui d’un calcul utilitariste. En réalité, même dans les travaux complexes les plus impliquant, il peut être nécessaire de mettre en place des procédures qui diminuent le temps consacré aux tâches de bas niveau intellectuel, pour dégager du temps pour les tâches dites de haut niveau intellectuel.

b- Aller au-delà de ce qui a été appris…

L’élève dans ces travaux scolaires émancipateurs doit être incité à aller au-delà de ce qui a été appris en cours. Ces travaux peuvent donc mettre en œuvre une part de recherches personnelles par des lectures, la recherche de documents ou des observations menées à l’extérieure de la classe.
L’élève doit être incité dans ses travaux à dégager les enjeux de ce qu’il a appris, à mettre en œuvre un esprit critique et de la créativité. Dégager les enjeux consiste à se demander pour quoi une telle connaissance a été jugée comme valant d’être enseignée et quelle est par exemple la place qu’elle occuper au sein de la société actuelle.
L’esprit critique consiste en particulier dans le fait que l’élève ne doit pas prendre les connaissances qu’il a apprises comme un donné, mais qu’elles doivent viser une finalité qu’il construit lui-même. Son objectif doit être de se forger un avis éclairé relativement à une question et il doit retenir des informations et apprendre à les utiliser relativement à cette finalité. Lorsqu’il rédige un devoir, son but doit être d’essayer de défendre la réponse qui lui semble la plus justifiée en se servant des connaissances qu’il a apprises. Ces connaissances ne peuvent prendre sens pour un sujet que dans la mesure où elles s’inscrivent dans un tel objectif. Il est possible de remarquer à quel point l’enseignement de l’histoire aboutit à des résultats désastreux sur ce point. Nombre d’élèves, même très bons, n’ont rien retenu de toutes leurs années scolaires en histoire. Comment cela est-il possible ? Cela provient du fait que ces connaissances historiques ne tiennent aucune place dans leur monde intérieur. Le sens que peut prendre l’histoire dans le monde intérieur d’un élève peut évoluer au fil des années : goût du récit et identification aux personnages historiques, intérêt pour la compréhension du passé et du monde, utilisation des connaissances historiques pour construire des problématiques et défendre des interprétations historiographiques…
Bien qu’il ne soit pas nécessaire en soi d’évaluer un travail scolaire, c’est une question qui revient concernant le fait de prendre en compte la créativité. Les psychologues qui travaillent sur l’étude de la créativité utilisent au moins deux critères. L’originalité de l’idée apparaît lorsqu’une idée pertinente ne se trouve que dans un devoir. La pensée divergente caractérise la créativité en ce qu’elle consiste dans la capacité à produire un grand nombre de solutions possibles à un même problème.
Un travail scolaire désaliéné est donc un travail qui permet à l’élève de mettre en œuvre l’ensemble des compétences présentes dans la taxonomie de Bloom révisée et en particulier les compétences de haut niveau intellectuel : analyser, évaluer et créer.

c- Une pédagogie du chef d’oeuvre

Un travail scolaire désaliéné permet ainsi à l’élève de réaliser une activité dont il peut être fier. Le travail scolaire est aliéné au sens où il cantonne l’élève à des activités répétitives et sans intérêt intellectuel, où il lui fait faire des tâches dont il ne peut retirer aucune fierté. Il est au contraire nécessaire de fournir aux élèves des travaux qui leur permettent de développer leurs capacités personnelles, qui leur donne le désir de s’impliquer personnellement dans leur travail et qui les rende fier de ce qu’ils ont réalisé. Cela est d’autant plus important qu’avec l’aliénation du travail par le système capitaliste, les élèves des classes populaires ne possèdent que peu ou pas de référence à un travail émancipateur. C’est ce que Philippe Meirieu a appelé la pédagogie de chef d’oeuvre.

d- Les outils numériques : les illusions de l’enthousiasme technologique

Les TICE génèrent à la fois de l’enthousiasme technologique et des marchés économiques. Mais, il ne faudrait pas que les marchés économiques fassent oublier la réflexion critique que peuvent susciter ces outils quant à leur efficacité cognitive. La principale méta-analyse sur le sujet conduit à affirmer qu’il n’y a pas de différences significatif (NSD) entre le fait de recourir à ses outils ou de ne pas les utiliser. On sait en revanche que les écrans captivent l’attention (attention exogène). On peut donc craindre qu’ils ne servent davantage d’outils de gestion de classe que d’apprentissage. Ils peuvent accentuer davantage encore la passivité des apprenants. Néanmoins des études britanniques soulignent une lassitude également sur la durée passée l’effet de nouveauté. Il semble de toute façon qu’il faille davantage s’attendre à une combinaison et/ou alternance entre les types d’apprentissage. La variété des pratiques pédagogiques s’avère effectivement une méthode pour éviter le sentiment de lassitude.
Or l’attention que requiert la lecture d’un ouvrage suppose d’apprendre à développer son attention endogène (capacité du sujet à concentrer son attention). La lecture de pages numériques posent également des difficultés : lecture moins rapide, attention distraite par la publicité, complexité des liens hypertextes… Il s’agit d’une lecture qui demande d’avantage de compétence que la lecture linéaire d’un ouvrage papier. En outre, les supports multimédia créent un risque de surcharge cognitive chez l’apprenant qui retient alors en définitif peu de choses.
Les outils numériques réactivent en outre l’illusion de la gamification (ludification) des apprentissages. On peut pour une part douter que les serious game parviennent à être suffisamment ludiques pour provoquer un état de flow (état psychique de fort engagement dans la tâche). Mais quand bien même ce serait le cas, le problème, c’est qu’il ne s’agit pas de rendre les apprentissages amusants, mais de les rendre suffisamment intéressants pour que l’élève travaille par ce qu’il est passionné par les contenus eux-mêmes, indépendamment de leur caractère ludique ou pas.
Enfin, il est possible de douter que les élèves puissent apprendre au contact des machines les qualités intellectuelles et humaines qui leur permettront de résister à la destruction annoncée par certains prospectivistes d’une grande partie d’emplois qualifiés et non-qualifiés par l’intelligence artificielle.

4- La bienveillance et la construction de la personne 

a- L’élève comme personne et l’éducation positive

Il s’agir actuellement d’une injonction institutionnelle que de contribuer à construire une école bienveillante. Mais comme nous l’avons déjà souligné, l’objectif de bien-être des élèves n’est pas la finalité en soi du système scolaire, ni même la condition de possibilité de l’entrée dans les savoirs.
Mais, cela ne signifie pas pour autant que le bien-être scolaire est une dimension qui ne doit pas être prise en charge pas l’enseignant-e. La bienveillance doit être un souci de l’enseignant-e. Cela signifie que pour lui, les élèves ne sont pas de simples usagers impersonnels. Les élèves sont des personnes et il s’intéresse à leur personnalité. Cet intérêt que l’enseignant-e porte aux élèves en tant que personne est nécessaire à sa pratique pédagogique. En effet, il n’est pas possible de tenir compte des intérêts des élèves pour les faire progresser dans la maîtrise des outils critiques intellectuels, si l’on ne connaît pas les élèves eux-mêmes.
La bienveillance de l’enseignant-e peut se marquer dans la manière dont il se soucie (to take care) des élèves, mais également dans la manière dont il s’adresse à eux pour les faire progresser. L’éducation positive consiste à mettre en valeur ce qui a été réalisé dans le travail de l’élève en ajoutant des conseils qui lui permettent encore de s’améliorer.
Enfin, il doit s’agir d’une pédagogie de la résilience qui considère que le travail consistant à aider les élèves à progresser dans la maîtrise des apprentissages à une valeur thérapeutique pour le renforcement de l’estime de soi et des capacités d’agir du sujet.

b- L’évaluation formatrice et bienveillante

Les notes ont plusieurs défauts comme celui de contribuer à la fabrication d’élèves utilitaristes qui s’intéressent davantage à la note qu’ils obtiendront qu’à ce qui leur est appris. Cette centration sur la note n’est donc pas favorable à une motivation intrinsèque. Les notes par leur effet de classement et de hiérarchisation des élèves peuvent contribuer à démotiver les élèves les plus faibles.
L’évaluation doit avoir au moins deux objectifs : permettre à l’élève de se situer dans sa maîtrise des savoirs et l’aider à progresser dans celle-ci. Mais pour que cela soit possible, il faut que l’évaluation ne rende pas compte uniquement d’une performance, mais d’un travail.
Lorsque la notation reste la méthode institutionnellement reconnue, il est possible de l’utiliser de manière différente de ce qui est fait habituellement pour se rapprocher d’une évaluation bienveillante. Tout d’abord, on peut éliminer les notes les plus basses qui peuvent être considérées comme des notes infamantes qui s’associent à la nullité en ne notant pas en-dessous de 5/20. Il est ensuite possible de noter uniquement le travail selon un ensemble de critères objectifs entre 10 et 12. Lorsque les critères qui relèvent uniquement d’un travail, et non pas d’une compréhension et d’un usage pertinent des connaissances, ne sont pas atteints, il est alors possible de signaler le manque de travail par une note inférieure à 10. Mais, il doit être également possible à l’élève de rattraper une note inférieure à la moyenne et d’obtenir au moins 10, en refaisant le devoir, y compris après sa correction. Enfin, il est possible de considérer que les notes au dessus de 14 ou de 16 doivent supposer la mise en œuvre de compétences dites de haut niveau intellectuel comme l’esprit critique et la créativité.
Trop souvent notre système scolaire, comme les tests de QI, associent le niveau de performance d’un élève à sa rapidité. Mais ce n’est qu’un critère parmi d’autres. Certains élèves peuvent obtenir des performances bien supérieures lorsqu’on leur laisse le temps d’assimiler ou de s’impliquer dans la tâche. De manière générale, des études ont montré que ce qui fait la différence entre un bon élève et un élève en difficulté ne provient pas de sa capacité à réussir une tâche, mais à la quantité d’étayage qu’il faut à chacun pour y parvenir.

c- Les intelligences multiples et l’éducation intégrale

Une école bienveillante est donc une école qui accorde une place aux valeurs du care et qui considère l’élève comme une personne. Considérer l’élève comme une personne, c’est avoir le souci qu’il puisse développer l’intégralité de sa personnalité. La finalité en est alors une éducation intégrale.
Il est possible pour cela de se référer à la théorie des intelligences multiples de Gardner, sans pour autant souscrire à la conviction innéiste de cet auteur. La théorie des intelligences multiples a pour qualité de ne pas se centrer uniquement sur le raisonnement logico-mathématique (facteur G), mais d’accorder une place à l’ensemble des dimensions qui peut composer une personne humaine.
Ces intelligences multiples sont par exemple l’intelligence kinesthésique qui est à l’œuvre chez les sportifs ou l’intelligence musicale-rythmique. Elle concerne également les intelligences intra-personnelles et inter-personnelles. Ces deux derniers types d’intelligences sont à l’œuvre dans les relations de care. On peut citer parmi les programmes pédagogiques qui travaillent sur ce type d’intelligence la médiation entre pairs ou l’éducation à la paix.

Néanmoins, comme cela a déjà été souligné, l’objectif d’une pédagogie de classe (sociale), qui lutte contre la reproduction des inégalités sociales à l’école, c’est qu’elle se doit de mettre en place des pratiques pédagogiques qui visent non seulement l’empowerment mental comme on vient de le voir, mais également à augmenter leur capacité d’agir (agency).

5- La construction d’un esprit critique : conscience sociale et citoyenneté

a- Discussion en classe et conflit sociocognitif

Le premier élément de formation à l’esprit critique se trouve dans la possibilité que la classe soit un espace dans lequel les élèves puissent parler de sujets d’actualité ou d’autres avec l’enseignant et/ou entre eux. Cela suppose de l’enseignant qu’il ait lui-même une personnalité ouverte sur le monde et qu’il soit informé : à cet égard on peut s’étonner que des enseignants à Bac + 5, dans une société où nous devrions être soit disant tous capables de nous auto-former grâce à internet, déclarent qu’ils ne sont pas en capacité de discuter de la liberté d’expression avec des élèves. Dans les discussions entre pairs, l’enseignant peut intervenir, non pas pour exposer son avis sur le sujet, mais pour : aider un élève à mieux formuler son propos, l’inciter à le justifier, lever des malentendus entre élèves, corriger des erreurs factuelles, ouvrir des perspectives qui n’ont pas été abordées dans le débat par des questions… Parmi, les manières d’aborder les discussions en classe, il est possible de se référer aux différentes méthodes de discussion à visée philosophique (DVP).

b- Enquêtes de conscientisation et journal

Afin de travailler à la conscientisation des élèves, il est possible de les faire mener des enquêtes sur le monde qui les entourent, sur leur quartier. Ces enquêtes peuvent prendre la forme d’entretiens à l’aide d’une grille d’entretien ou d’observation à l’aide d’une grille à cet effet.
Ces enquêtes peuvent ensuite donner lieu à un travail de restitution qui peut prendre différentes formes tels qu’un exposé de cours, la réalisation d’un plateau journal ou encore d’un journal de classe.

c- Pratiques pédagogiques d’empowerment

Il est possible de recourir à différentes autres pratiques pédagogiques qui peuvent favoriser la conscientisation et l’empowerment collectif des élèves. On peut citer parmi celles-ci les exemples suivants.
Cela peut passer par des pratiques théâtrales inspirées du théâtre-forum qui permet aux élèves de reproduire une situation sociale vécue et d’essayer d’agir dessus. Il peut également s’agir de mettre en place des jeux coopératifs qui permettent également de travailler sur la puissance du collectif et la solidarité par rapport aux stratégies individuelles. Il est possible également d’aider les élèves à mesurer le pouvoir démocratique du groupe par la participation à un conseil de classe par lequel les élèves apprennent que les règles politiques ne sont pas données par Dieu, la nature ou le marché, mais qu’elles sont instituées par les êtres humains.

c- La communauté d’organisation entre enseignants et parents

L’institution scolaire pousse à favoriser davantage les relations entre les enseignants et les parents. Cela peut être justement une occasion d’essayer de créer autour de l’école une communauté qui permette à la fois d’améliorer le climat scolaire et le climat du quartier. Les enseignants peuvent alors s’inspirer des méthodes de communauty organizing pour essayer de susciter une communauté de revendication et de luttes autour de l’école et du quartier.

d- Un socle commun de compétences militantes

De quoi ont besoin les élèves issus des quartier populaires ? Ils ont besoin d’un enseignement qui leur donne un socle commun de compétences qui leur permettent d’être des acteurs de la transformation sociale. De quoi à besoin un militant syndicaliste ou un activiste ? De savoir parler en public, d’animer une réunion, d’analyser de manière critique la société, de savoir rédiger un tract ou une brochure, de savoir réaliser une affiche, d’être créatif…

Conclusion :

Le désir est une force vitale qui se trouve à la base du processus d’apprentissage. Mais le système actuel d’enseignement contribue à affaiblir, voir à détruire en grande partie ce désir chez nombre d’élèves. De ce fait, l’échec scolaire est pour partie une conséquence de l’institution scolaire et des pratiques enseignantes qu’elle tend à produire.
Il est nécessaire pour lutter contre cet enjeu social majeur, que constitue la reproduction sociale des inégalités à l’école, de préserver le désir d’apprendre, de le renforcer et de revaloriser le travail scolaire en le désaliénant pour lui restituer sa fonction émancipatrice. L’objectif d’une éducation émancipatrice doit être en particulier de doter les élèves socialement dominés des outils critiques qui leurs permettent de lutter contre la reproduction sociale.
Pour cela, l’enseignement doit d’abord être considéré non pas comme une profession supposant la maîtrise de compétences, mais comme comme un engagement militant dans la lutte contre les inégalités sociales.
Cet engagement suppose que l’enseignant mette en œuvre des pratiques pédagogiques qui visent un empowerment mental intellectuel, la conscientisation sociale et l’augmentation de la capacité d’agir. Cela n’est pas possible sans une pratique pédagogique qui se propose une désaliénation du travail scolaire.

2 Comments

  1. Kevin

    Désir d’apprendre et travail scolaire
    Merci pour cet article qui nourrit ma réflexion sur la notion de travail, je l’ai compris comme un moyen de se développer et de rendre service à la communauté (comme le travail reproductif), c’est bien différent d’accéder à la consommation.

    Un article éclairant sur le lien entre féminisation du métier ,dévalorisation du métier d’enseignant et échec scolaire des garçons. Heureusement qu’il reste les maths comme barrière sélective sinon les femmes seront bientôt majoritaires dans les postes à responsabilité. (Humour)

    Je partage l’analyse mais pour les solutions, je ne sens pas de mesures qui changeront vraiment grand chose, cela manque à mon sens d’idéal, on est en droit d’attendre l’excellence. Les mesurettes dans le cadre ne changeront pas grand chose, c’est le cadre lui même qu’il faut remettre en cause. Il ne faut pas refonder l’école, il faut changer le modèle éducatif.

    “On ne fait pas progresser les élèves à l’écrit en les faisant travailler l’oral.” Je ne sais pas de quelle étude cela vient, mais mon expérience tendrait largement à démontrer l’inverse.

  2. Marie-Thérèse Arzelier

    Désir d’apprendre et travail scolaire
    Oui, Kevin, “il faut changer le modèle éducatif”, c’est hyper-simple et les pontes de l’enseignement ne le veulent pas! Pourquoi?
    Ils sont trop diplômés pour avoir les idées claires sur ce sujet.
    Ou bien veulent-ils faire perdurer “La fabrique du crétin”?
    Depuis 1O ans je les contacte pour leur proposer LE modèle éducatif sauveur de Tous les enfants, que je développe dans mon bouquin: “L’être à l’école, vivre l’école, ses maux croisés” (à consulter sur le site vivrelecole.com) qui est La Démarche Scientifique. Très simple à vivre, et qui ne demande aucun investissement particulier.
    Depuis 1 an, j’attends la réponse du Directeur Général de l’Education Nationale auquel le Ministre a fait parvenir mon dossier sur la question de la formation à cette démarche.
    J’ai relancé le ministre il y a moins d’une semaine.
    Si je n’obtiens pas de réponse dans les dix jours, je ferai passer un message sur les réseaux sociaux, pour que parents, enseignants, responsables en éducation et plus… sachent qu’on attribue depuis des lustres la “nullité”, les “faiblesses”, les “difficultés” et les “problèmes”, l’ “inadaptation” au système scolaire des enfants, aux enfants eux-mêmes!!!
    Alors que tout est conséquent aux méthodes diverses imposées, donc pratiquées dans les écoles.
    Je vous dis à bientôt, et sans “langue de bois” comme dans nos articles, sur “Questions de Classe”.

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