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Des collèges expérimentaux ? Lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem… Gabriel Cohn-Bendit…

Madame la Ministre,

Depuis ma lettre ouverte à Alain Savary en juin 1981 publiée par Libération, j’ai écrit à de nombreux ministres de l’Education nationale mais, fait nouveau, vous êtes la première femme à qui je m’adresse, et pour cause, jamais une femme n’a été à ce poste.

Un de vos prédécesseurs Vincent Peillon voulait refonder l’école. Depuis des années, un certain nombre de pédagogues réformateurs, certes minoritaires, se battent pour cela en bute à l’hostilité de leurs collègues. Alors, quand Vincent Peillon a dit que «rien ne pourra se faire sans et encore moins contre les enseignants», je lui ai dit à lui et à sa ministre déléguée à la Réussite éducative qu’ils pouvaient mettre une croix sur la refondation de l’école car la majorité des enseignants n’en veut pas. Les faits ne m’ont pas démenti loin de là. Mais ce que je dis et répète depuis ma lettre à Savary, c’est qu’il existe des enseignants prêts à aller dans les collèges à la pire des réputations, là où personne ne veut aller, mais à condition d’y aller collectivement avec un projet éducatif qui tienne compte des réalités de ces établissements. Ils sont prêts à s’y investir sans tenir compte des sacro-saintes dix-huit heures de service. Les trente-cinq heures de présence dont Ségolène Royal avait parlé lors de sa campagne présidentielle, dont vous aviez été la porte-parole, ne nous effrayent pas. Mes amis de l’école Vitruve à Paris avaient même dit en guise de commentaire à sa proposition «chic ça nous fera dix heures de moins par semaine». Même minoritaires, ces enseignants sont nombreux mais hélas isolés dans les établissements et souvent en butte à leurs collègues. Puis ils se découragent et rentrent dans les rangs.

Je suis prêt à vous rencontrer pour envisager des solutions à leur regroupement. Depuis ma lettre à Savary qui avait eu pour résultat l’ouverture du Lycée expérimental de Saint-Nazaire en février 1982 et de trois autres établissements à la rentrée 1982-1983, j’ai écrit à presque tous les ministres de l’Education sauf à Jean-Pierre Chevènement, le ministre de l’Education le plus conservateur que la France ait connu sous les IVe et Ve Républiques, et à Claude Allègre pour qui nous n’étions que des «pédagogos» avec qui il ne discutait pas. Seul Jack Lang a non seulement accepté de me recevoir (comme l’avaient fait avant lui François Bayrou et après lui Xavier Darcos sans résultat concret) pour créer avec nous le Conseil de l’innovation et ouvrir plusieurs collèges expérimentaux à Bordeaux, Grenoble et dans le Cantal.

Si je suis toujours aussi pessimiste sur un changement de quelque importance dans l’Education nationale, je crois toujours qu’il est possible de changer des choses là où c’est le plus crucial, avec des enseignants volontaires et tout particulièrement en utilisant massivement tableaux numériques, tablettes et même téléphones portables qui, certes, ne sont que des outils mais ô combien efficaces pédagogiquement pour qui veut bien les utiliser intelligemment. Quoique depuis de longues années investi plus concrètement en Afrique en faveur des exclus de l’école, je suis prêt à me réinvestir en France si un tel projet rencontrait le moindre intérêt de votre part.

Nous pourrions, ainsi, préparer la rentrée 2015-2016 puisque pour celle-ci il est trop tard. Veuillez agréer Madame la Ministre, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

Gabriel COHN-BENDIT Pédagogue dissident, fondateur du Lycée expérimental de Saint-Nazaire (en 1982)

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