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Compte rendu de l’atelier “le syndicalisme contre l’émancipation”.

La question posée dans le descriptif de l’atelier et en introduction du débat est celle-ci :
Comment se fait-il que les enseignants, gens cultivés, fréquemment politisés, souvent militants de justes causes ne soient pas parvenus, non pas à changer l’école un tant soi peu, mais à ne même pas obtenir de leur patron, l’Etat, des salaires quelque peu décents ?
Les interventions sont immédiatement nombreuses et passent en revue les difficultés de l’action syndicale, revendicative, pédagogique, mais curieusement (ou peut-être pas si curieusement que ça) nul n’évoque les difficultés personnelles à mettre en question un statut, une position sociale pas si inconfortable…
Une interrogation, cependant, surgit, “qu’en est-il de l’émancipation des enseignants eux-mêmes ?”, qui permet d’introduire la question et d’abord de se mettre d’accord sur le sens du mot.
S’émanciper c’est, juridiquement, se libérer de l’autorité du père. C’est se libérer d’un état de dépendance.
C’est donc se libérer de tous les déterminismes.
Que serait alors une école émancipatrice ?
Ce serait une école qui aide les enfants à se libérer des déterminismes sociaux, humains, familiaux, physiques, psychologiques, technologiques…
Par les temps qui courent il est plus que jamais crucial de se demander si la technologie est maîtrisée par la volonté humaine ou si, à l’inverse, la technologie domine l’homme.
Question fort ancienne évoquée par H.D. Thoreau dans les années 1850 (Walden) en ces termes : “mais voici les hommes devenus les outils de leurs outils” mais aussi par l’historien de l’éducation dans l’Antiquité, H.I. Marrou qui, dans les années 1950 s’exclame : “il y a un terrible impérialisme au sein de toute technique : en vertu de sa logique propre elle tend à se développer selon sa ligne, en elle-même et pour elle-même et finit par asservir l’homme qui l’exerce”.
Que diraient-ils aujourd’hui ces hommes… ?
Comment, à l’école (et ailleurs) se réalise, autant que faire se peut, cette libération des déterminismes ?
Par le savoir : par les savoirs que l’on s’approprie pour en faire des connaissances.
Car apprendre c’est allumer, faire prendre feu, mais apprendre c’est désapprendre, c’est, pour le dire comme Sartre, penser contre soi-même : “j’ai souvent pensé contre moi-même” ce qui signifie, explique-t-il, “se soulever contre tout ce que l’on a d’inculqué en soi”.
Sachant qu’inculquer signifie “faire pénétrer en tassant avec le pied” (Alain Rey).
Se libérer des déterminismes se serait donc se soulever contre ces évidences que l’on a en soi et qui n’en sont pas et désapprendre c’est faire un retour réflexif de manière à appréhender (mettre en lumière) tout ce qui était éteint ou occulté, évident, de bon sens, etc.
C’est donc, dans la langue de Foucault, une pratique de soi :
“la pratique de soi doit permettre de se défaire de toutes les mauvaises habitudes, de toutes les opinions fausses qu’on peut recevoir de la foule ou des mauvais maîtres, mais aussi des parents, de l’entourage. Désapprendre, (de-dicere) est une des tâches importantes de la culture de soi” ( L’herméneutique du sujet, cours au au collège de France, 1981-1982). Donc :
Emancipation : acte d’apprendre pour mieux désapprendre et réciproquement, désapprendre pour mieux apprendre ?
Oui mais comment ?
On peut aller voir du côté du “Maître ignorant” puisqu’il est sous-titré “cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle”.
Et Rancière nous permet, en outre, d’en arriver au syndicalisme sans quitter l’émancipation car, dit-il :
“A l’origine du discours de l’émancipation ouvrière il y a le désir de ne pas être ouvrier : ne plus abîmer ses mains et son âme, mais aussi ne plus avoir à demander ouvrage et salaire” (Et tant pis pour les gens fatigués).
Et, en effet, ce désir de ne plus être ouvrier, ce désir d’émancipation, nous le lisons dans un des textes les plus célèbres produits par le syndicalisme : la Charte d’Amiens (9e congrès de la CGT, 13 octobre1906).
Cette motion d’opportunité rédigée sur un coin de table de cabaret par Griffuelhes, Pouget et Yvetot a pour objectif de réaffirmer l’indépendance du syndicat par rapport aux “partis politiques et aux sectes”.
Cependant on n’a pas assez vu que ce texte dévoile ce que je nomme volontiers la “structure schizophrénique constitutive du fait syndical”. La Charte affirme en effet que le syndicat travaille à “la réalisation d’améliorations immédiates telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.” , mais que ” cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme […], il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste”.
Nous savons maintenant que les réalisations immédiates ont pris le pas sur l’émancipation intégrale et que les (grands) syndicats sont devenus des rouages du fonctionnement économique et social dominant.
Et ce n’est pas nouveau :
Déjà, au congrès de Lille en 1921, l’un des militants les plus prestigieux, Pierre Monatte, déclarait à la tribune :
“Nous l’avons vue, elle, la CGT, descendre par sa politique actuelle au-dessous du réformisme et n’être plus, dans l’action nationale et internationale qu’un rouage gouvernemental”.
Le syndicalisme intégré, rouage gouvernemental, ne peut évidemment plus être émancipateur, il ne peut se dégager de sa dépendance du fonctionnement dominant. D’ailleurs, il n’y prétend plus, il a retrouvé ses origines d’assistance juridique comme l’indique le terme “syndic”.
Alors ?
Si nous prétendons aider des enfants à apprendre, à désapprendre pour mieux apprendre, à penser contre soi-même, à se dégager autant que faire se peut des déterminismes, bref, à s’émanciper (manus +capere) c’est-à-dire à prendre en main sa vie alors il faut laisser aux syndicats intégrés leur rôle d’assistance (utile sans le moindre doute comme l’est la sécurité sociale) et…
Faire autre chose.
Commencer par renoncer au terme même de syndicat pour désigner un mouvement, une organisation, une action se donnant un objectif d’émancipation.
Peut-être conviendrait-il, pour s’émanciper du schizophrénisme syndical de faire vivre un mouvement émancipateur agissant au niveau du quotidien, du mode de vie dans l’école (plutôt que pédagogie) dans ce lieu de vie que doit être l’école et mener simultanément la bataille théorique contre ces figures idéologiques perverses que sont le mérite, l’égalité des chances, la performance, la réussite, la compétition, l’ascenseur social… et contre ceux qui les portent et que je nomme volontiers les “instructeurs” et qui n’ont que le verbe inculquer à la bouche. C’est, me semble-t-il ce qui s’élabore ici, au cours de ces stages, sur ce site, et en d’autres lieux…

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