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Comment l’argent dynamite le système éducatif…

Compte rendu:
Parienty Arnaud, School Business – Comment l’argent dynamite le système éducatif – La Découverte, 2015, 250 p., 17 euros

Arnaud Parienty est professeur de sciences économiques et sociales en lycée. Il a enseigné dans un lycée classé éducation prioritaire avant d’obtenir une mutation dans un lycée prestigieux d’un quartier chic. Dans son ouvrage School Business, il dresse un état des lieux de la manière dont l’argent a envahi le système éducatif et dans le même temps des stratégies scolaires des classes sociales les plus dotées en capital économique. L’ouvrage aborde différentes facettes de ces processus à travers neuf chapitres. L’auteur est parvenu à cette prise de conscience, entre autres, le jour où ses nouveaux élèves lui demandèrent son avis sur la formation en médecine payante en Espagne susceptible de contourner les difficultés du cursus français. Il trace un état des lieux du système scolaire en faisant une synthèse de données, en particulier chiffrées, disponibles.

Le premier chapitre porte sur les inégalités entre établissements scolaires. Ces inégalités sont tout d’abord mises en valeur par les différents classements, publiés en particulier par la presse, des taux de réussite au brevet des collèges ou au baccalauréat. Ces inégalités sont soulignées par les études internationales PISA qui remarquent que la France se signale par l’écart entre ses très bons élèves et ses très mauvais élèves, qui sont d’ailleurs particulièrement nombreux. Ces inégalités sont également présentes au niveau des classes préparatoires, puisque le 5e arrondissement de Paris concentre une proportion très importante de celles d’où sortiront les futurs normaliens. L’auteur remarque le lien entre ancienneté de l’établissement et son excellence. Or les lycées anciens ont été construits en centre ville, dans les quartiers bourgeois. L’auteur souligne également que le niveau de revenu des parents est un facteur qui vient renforcer le niveau de diplôme dans la réussite scolaire des enfants. Ces lycées concentrent également les enseignants les plus âgés et donc les plus expérimentés. Les élèves, à condition de ne pas être mis en échec scolaire, progressent plus rapidement dans une classe de bon niveau. Autre avantage : dans un lycée de bon niveau, le statut de bon élève est valorisé. Les établissements privés offrent, pour leur part, un personnel de surveillance plus nombreux et n’hésitent pas à sélectionner les élèves. Les parents dans les meilleurs établissements se montrent très présents. Ils n’hésitent pas à se mobiliser lorsqu’un enseignant est absent pour le faire remplacer.

Le deuxième chapitre porte sur les stratégies mises en place par les parents pour accéder à ces établissements jugés meilleurs. La règle de base pour accéder à un lycée, c’est d’habiter le quartier. Selon l’observatoire des Zones urbaines sensibles, le fait d’habiter dans ces zones double le risque de retard scolaire pour un enfant de cadre. Parmi les stratégies utilisées par les familles pour accéder à l’établissement prestigieux le plus proche figure la location d’une boîte aux lettres professionnelle (grâce à un statut d’auto-entrepreneur : 20 à 40 euros par mois) ou plus onéreux, mais un bon placement, l’achat d’un bien immobilier bien situé. Face à cela, les établissements moins bien cotés essaient de résister en mettant en place des classes « d’élite », et cela en effectuant des regroupements de bons élèves grâce par exemple à la classe européenne. Quelques lycées d’élite échappent à la carte scolaire à Paris ou à Versailles : on peut y accéder sur la base du dossier de l’élève. Les demandes de dérogations, liées à une option rare, ne sont pas le fait principalement des familles les plus aisées : celles-ci habitent déjà dans les quartiers les plus prestigieux. Les plus grands usagers de ces dispositifs sont les enseignants.

Le troisième chapitre est consacré au recours au soutien scolaire. Les familles qui ont de l’argent sont prêtes à financer des cours particuliers. Mais il n’y a pas en la matière de proportion entre la quantité de cours suivis et les résultats des élèves. Néanmoins l’avantage du cours particulier est qu’il est individualisé. En sixième, c’est la bourgeoisie économique qui recourt le plus aux cours particuliers. Une autre pratique se développe dans les milieux les plus aisés : le coaching scolaire. Il s’agit là également d’un dispositif prisé par la bourgeoisie économique. L’auteur rappelle le rôle des avantages fiscaux dans le succès de ces cours à domicile. Néanmoins, la demande d’aide scolaire n’est pas réservée aux riches. Moins les parents se sentent scolairement compétents, plus ils sont demandeurs. De ce fait, ce sont les enseignants qui sont le moins demandeurs. Mais le soutien scolaire intervient également après le bac. A l’université, c’est surtout particulier en droit ou en médecine que se concentre l’offre. L’auteur analyse également le marché de la vente de corrigés sur Internet et ses conséquences éthiques.

Le quatrième chapitre se centre sur une inégalité scolaire de classe sociale, avec la maîtrise des langues étrangères. Le niveau des élèves en langues vivantes, en particulier en anglais, est celui, parmi les différentes matières enseignées, qui est le plus corrélé au milieu socio-économique des familles. L’épreuve d’anglais dans les concours d’écoles de commerce est la plus socialement discriminante. Les familles les plus aisées n’hésitent pas à investir : jeunes filles au pair, écoles bilingues, séjours linguistiques… Lorsque les familles d’élèves bons ou excellents paient pour du soutien scolaire, c’est en anglais. Certains font passer, outre le bac national, le baccalauréat international à leurs enfants : si ce diplôme n’est pas reconnu en France, il n’en est pas de même à l’étranger. Les séjours linguistiques en immersion sont très prisés : trois semaines sont présentées comme ayant plus d’impact qu’un an de cours. Mais la stratégie linguistique se poursuit après le bac : l’expérience internationale dans une économie mondialisée est valorisée. Les écoles de commerces imposent un stage à l’étranger pour la validation du diplôme. L’université offre la possibilité du recours au dispositif Erasmus. Pour les plus fortunés, il est possible de s’offrir des séjours d’été dans des universités américaines. Dans les familles les plus aisés, ayant elles-mêmes un profil international, le choix des études à l’étranger, dans une prestigieuse université américaine ou anglaise, constitue une option prisée.

Le cinquième chapitre est consacré aux stratégies d’évitement de l’Université par les élites. A ce jeu là, avec de l’argent, même ceux qui n’ont pas un bon niveau scolaire peuvent gagner grâce aux écoles de commerce ou d’ingénieur avec prépas intégrées. Certes très onéreuses, ces écoles permettent néanmoins à la sortie d’accéder à des positions salariales confortables. La force de ces écoles repose sur le capital social (« leurs réseaux ») et sur les savoir-être professionnels qu’elles enseignent. Face à cette concurrence, les universités essaient d’attirer en proposant des doubles licences sélectives qui captent des bons étudiants en copiant certaines méthodes des écoles. Paradoxalement, les filières classiques des universités se retrouvent à accueillir les étudiants les moins préparés à ce type d’études : ceux qui n’ont pas pu obtenir les filières sélectives courtes de leur choix.

Le sixième chapitre examine les raisons du succès des écoles privées. Elles accueillent de plus en plus d’élèves de la maternelle au lycée. Elles occupent les premières places dans les palmarès, où elles contestent leur prestige aux grands lycées et classes préparatoires. Ces écoles accueillent principalement les enfants de la bourgeoisie économique. Parmi les 156 lycées ayant eu 100 % de réussite au bac, 143 sont des lycées privés. Ce sont pour l’essentiel des lycées sous contrat avec l’État. Dans le supérieur, on peut noter également une augmentation du poids des formations privées. Celles-ci peuvent attirer des étudiants issus de milieux modestes comme avec la formation d’aide soignante. Mais les familles sont prêtes à payer lorsque la formation promet d’échapper au chômage. Les formations privées se développent également dans des domaines qui font rêver les adolescents comme le jeu vidéo. Le secteur privé essaie d’investir le droit, qui est avec les études de médecine, les seules études socialement prestigieuses de l’Université. Les fonds privés voient dans l’éducation un nouveau placement où investir. L’une des stratégies consiste à racheter une école prestigieuse et de faire bénéficier toutes les écoles de son groupe de ce label.

Le chapitre sept tourne la focale vers la mondialisation de l’enseignement. L’un des outils de cette mondialisation de l’enseignement, ce sont les MOOCs, les cours massifs en ligne. Les étudiants européens se trouvent désormais en concurrence sur le marché mondial des meilleures formations avec les étudiants chinois ou indiens. La deuxième phase de cette mondialisation est la multinationalisation de plusieurs universités ayant un prestige international. La troisième étape est la constitution d’« education hubs ». Cela consiste pour certains États émergeant à se positionner comme plate-forme régionale de formation. De son côté, la Chine se positionne sur le marché de la formation low cost, par exemple, pour le MBA.

Le chapitre huit porte sur l’augmentation des frais de scolarité. Cette envolée tient en particulier au succès des écoles de commerce. Leur coût s’avère difficilement accessible par exemple pour des enfants d’enseignants. Néanmoins, si les familles acceptent de payer aussi cher, c’est qu’à la sortie, l’investissement s’avère rentable sur le marché de l’emploi : « au cours de sa vie active un diplômé d’école de commerce gagne en moyenne 700 000 euros de plus qu’un bac+2 » (p.203). Les Universités se lancent également dans cette course en créant des DU (Diplômes universitaires) qui n’ont pas un statut national et permettent d’échapper au barème des frais d’inscription.

Face à cette augmentation des frais de scolarité, les étudiants doivent trouver les moyens de financer leurs cursus. C’est à ces stratégies qu’est consacré le dernier chapitre de l’ouvrage. L’alternance peut constituer une solution, le recours à l’emprunt en est une autre. L’aide de la famille constitue un appui important. Une autre voie utilisée consiste à se salarier parallèlement à ses études. L’auteur souligne néanmoins les différences entre ceux qui occupent des emplois purement alimentaires et ceux dont les expériences professionnelles enrichissent significativement un CV.

En conclusion, l’auteur analyse ces stratégies comme une conséquence de la distinction que les familles de classes sociales supérieures tendent à reconstruire dans le cadre de la massification scolaire. Elles le font en particulier en alimentant des filières prestigieuses dont le coût est économiquement élevé. L’accès à ces filières se fait sur la base de distinction plus anciennes qui ont permis de produire des élèves excellents dans toutes les disciplines, parfaitement bilingues, sportifs accomplis et engagés dans des actions humanitaires.

L’ouvrage d’Arnaud Parienty peut se lire à la fois comme un manuel des stratégies scolaires des classes économiques supérieures à destination de parents dotés en capital culturel et comme la description d’un état de fait actuel économique et social. Au-delà de la présentation utile que fait l’auteur de ces stratégies, on peut parfois regretter que la finalité orientée vers l’emploi de l’enseignement ne soit pas plus interrogée. Il s’agit bien d’une aspiration réelle des familles. Ces stratégies n’ont de sens que parce que l’école ne peut faire accéder tous les élèves à un emploi et que de surcroît les emplois sont socialement hiérarchisés. Mais si l’école n’a pas le pouvoir de procurer à tous un emploi et si possible prestigieux, quel peut être alors son rôle ? Peut-être doit-il être recherché dans ce que ces stratégies invisibilisent, à savoir l’accès à des savoirs critiques qui permettent de penser et de contester l’ordre social et économique établi.

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