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« Ce n’est plus possible », entretien avec Rodrigo Arenas, FCPE 93

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Le Progrès social tout nouveau quotidien du mouvement social, proche du syndicalisme des Solidaires-Sud et de syndicats de la CGT, a autorisé Questions de classes a publier l’entretien paru le 20 avril dernier avec Rodrigo Arenas de la FCPE 93. Le 13 avril c’était Intervilles ! et plus de 200 écoles du 93 se sont mobilisées pour mettre fin à la pénurie d’enseignants formés et au problème du non-remplacement dans nos écoles.
FS

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Face au non-remplacement des professeurs absents, devenue la norme dans les écoles de Seine-Saint- Denis, une action d’ampleur a été organisée dans près de deux cents écoles et collèges du département le 13 avril 2016. Initiée par la FCPE 93, le « ministère des Bonnets d’âne », et le Collectif des parents du 93, elle vient rappeler l’urgence qu’il y a à agir.

LE PROGRÈS SOCIAL

Quelles sont les motivations premières de cette journée d’action du 13 avril ?

RODRIGO ARENAS

Cette journée d’action a été organisée entre la FCPE, le ministère des bonnets d’âne et le collectif Parents 93. Elle fait suite à l’incapacité chronique de l’Éducation nationale dans notre département à assurer le remplacement des enseignants absents. Jusque-là pas de mystère, car malheureusement ce n’est pas nouveau. Néanmoins, notre action avait pour but de montrer que puisque l’Éducation nationale se retrouve dans la même situation tous les ans, il s’agit d’un mode de fonctionnement « normal ». Comme elle n’est pas capable de proposer un système alternatif à ce qui existe actuellement, c’est donc son fonctionnement même, son mode de recrutement, d’affectation et de gestion des ressources humaines qui crée ce déficit. Au début, notre organisation, puis les collectifs se sont mobilisés pour faire à l’Éducation nationale des propositions qui dépassent le champ de l’école et apporter notre vision et nos propositions pour en finir avec ce système.

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La Seine-Saint-Denis est-elle le seul département concerné?

RODRIGO ARENAS

Non, cette situation existe aussi dans d’autres départements. Dans le nôtre elle est exacerbée, parce qu’en plus du problème du fonctionnement du mode de recrutement et de ressources humaines de l’Éducation nationale, notre département souffre d’un problème d’attractivité, comme la ministre le reconnaît elle-même. En additionnant tous ces problèmes, la Seine-Saint-Denis vit donc une situation plus compliquée qu’ailleurs. On a du mal à attirer des enseignants et des postulants. Même si, avec le double concours, ce problème s‘est réduit depuis la rentrée, nous avons du mal à les garder. Il y a donc forcément un déficit structurel d’enseignants dans notre département. C’est pour cela que dans nos propositions, nous disons qu’il faut sortir de ce système, mais qu’il convient aussi de susciter des vocations et de créer de l’attractivité pour les enseignants.

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Quelles sont vos propositions ?

RODRIGO ARENAS

La FCPE a douze propositions qui sont rendues publiques et qu’on peut retrouver sur notre site Internet. Trois sont particulièrement importantes. Sur la question de susciter des vocations, il s’agit de créer une allocation universelle pour les étudiants afin qu’ils soient mis en situation dans les écoles. Pas seuls bien sûr, avec un enseignant. Ils doivent pouvoir se rendre compte de ce que c’est d’enseigner dans notre département. L’allocation leur éviterait de faire des petits boulots, comme travailler chez McDonald’s ou KFC, ils seraient payés par l’État et ce travail serait valorisé sans être réservé aux seuls étudiants qui se destinent aux métiers d’enseignants. Cela permettrait de favoriser des vocations dans les autres filières à partir de la L1; il ne s’agit pas non plus d’affecter des étudiants de première année, il faut un minimum de maturité. Cela doit être discuté avec les organisations étudiantes, syndicales, etc. Nous voulons susciter des vocations sur le territoire lui-même: que les futurs enseignants de Seine-Saint-Denis soient aussi de Seine-Saint-Denis, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui.

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Vous évoquez également les politiques urbaines. Que faudrait-il faire ?

RODRIGO ARENAS

Travailler sur tous les investissements massifs de l’État, notamment ceux en lien avec l’agence nationale de rénovation urbaine. Tous les programmes de rénovation urbaine proposent des logements «plus sympas», mais dans lesquels on continue à maintenir uniquement les plus modestes. On ne crée donc pas de mixité sociale, et on reproduit ce qui ne marche pas aujourd’hui : le fait que l’on retrouve dans les écoles et les collèges des élèves des mêmes catégories socioprofessionnelles que les parents, avec le même capital culturel. De fait, on remet une pièce dans le juke-box. On a rénové les appartements, mais sans modifier la réalité en profondeur. Dans le cadre de ces rénovations urbaines, ces logements sont attribués selon différents quotas, de la région, du préfet, du département. Il faudrait un quota significatif de logements réservés aux enseignants, en particulier à ceux qui arrivent dans le département, pour qu’ils puissent habiter en Seine-Saint-Denis. C’est une vraie difficulté aujourd’hui. Cela s’explique par leurs rémunérations, mais aussi par le fait de ne pas vouloir y rester. Les gens n’investiront pas dans la pierre en Seine-Saint-Denis s’ils ne sont pas sûrs d’y rester. Et quand vous venez de province, vous n’avez pas forcément envie de vous implanter. C’est un peu caricatural, mais c’est l’idée générale.

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La notion des concours et du mode de recrutement est également abordée. Quelles sont les solutions ?

RODRIGO ARENAS

Aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, il y a deux concours, qui permettent d’augmenter le nombre de candidats au recrutement. Il faut sortir du caractère d’urgence de ce deuxième concours et l’installer dans la durée. Il va être reconduit pour 2017, mais il faut le pérenniser et, même si cela fait débat avec certains collectifs, s’orienter vers la régionalisation des modes de recrutement. Aujourd’hui, le système académique est arrivé à bout de souffle. Ce système a vécu. On doit pouvoir enseigner à Paris comme en Seine-Saint-Denis. C’est aussi cela, faire en sorte que les gens ne viennent plus dans le 93 uniquement pour cumuler des points et repartir.

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Vous travaillez avec de nombreux collectifs. Comment trouver l’équilibre entre votre propre fonctionnement et des structures plus autonomes ?

RODRIGO ARENAS

Notre fonctionnement est celui d’une association fédérale avec des représentations. En réalité, nous avons tout d’abord une assemblée générale (AG) des adhérents du 93. C’est de là que les idées sont sorties, avant d’être entérinées par le conseil d’administration départemental, élu en congrès tous les ans et dont je suis le président et le porte-parole. Nous tentons de réduire peu à peu ce système pyramidal, dont les mandats expriment les positions des adhérents. Les collectifs, eux, travaillent fondamentalement en AG. Nous avons quant à nous une représentation institutionnelle.

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Le gouvernement vous a t-il reçu et a t-il pris des décisions ?

RODRIGO ARENAS

Nous avons eu un rendez-vous au ministère avec le directeur de cabinet. Cette rencontre revêtait un caractère d’urgence. C’est bien le ministère qui détient les clefs sur les créations de postes, non pas l’inspection académique ou le rectorat, qui décident de la répartition. Après avoir fait part du caractère immédiat d’une des revendications qu’on a en commun avec le SNUIPP : aller vers l’embauche immédiate des enseignants qui sont sur la liste complémentaire, on a fait chou blanc pour cette mesure. Par contre, ce qu’on a obtenu et c’est assez intéressant, c’est de dégager des groupes de travail avec le rectorat en ce qui concerne l’Éducation nationale et les autorités de la préfecture, car nos propositions dépassent le seul champ de l’Éducation nationale. On doit travailler pour se revoir le 18 mai 2016 et acter, ou pas d’ailleurs, un plan d’avenir pour la Seine-Saint-Denis. C’est ça l’idée, c’est de sortir de l’urgence, on ne peut pas traiter le 93 par l’urgence tout le temps. Il nous faut une visibilité sur dix ans.

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Pour vous, le fait qu’il y ait des départements dans cette situation aussi compliquée pour les équipes éducatives, la population et les élèves, est-ce une remise en cause des notions de la République et comment vous analysez de manière globale l’existence de l’urgence qui s’inscrit dans la durée ?

RODRIGO ARENAS

Il y a plusieurs choses dans cette question, comme l’échec des politiques urbaines des cinquante dernières années. Quand vous avez structuré la pauvreté et les inégalités dans des mêmes territoires, à un moment donné, il ne faut pas s’étonner que ça s’invite à l’école. L’école est au centre de la vie républicaine, de la vie démocratique dans notre pays. Ainsi, quand vous avez un collège de secteur qui est entouré de cités dans lesquelles les classes moyennes ont fui parce qu’on leur a proposé de partir loin dans le 77 ou le 95, vous n’avez plus de mixité sociale et vous avez concentré toutes les difficultés dans un même quartier. Vous les retrouvez donc à la maternelle, au primaire, au collège. C’est ça l’échec : quand vous avez la concentration de ces problèmes dans un même établissement. Or quand vous êtes un enseignant et que vous n’avez pas forcément envie au bout de dix ans de continuer à vous « prendre la tête » et d’avoir un mur en face de vous (car l’Éducation nationale ne comprend pas ça, n’a pas la souplesse pour comprendre ça), à un moment donné « vous vous barrez ». À l’impossible nul n’est tenu ! Comment fait-on revenir de la mixité sociale dans les collèges, dans les écoles à travers des politiques urbaines qui doivent être complètement différentes de celles qui existent actuellement, c’est ça l’enjeu aujourd’hui. On ne peut pas continuer comme ça, et en même temps le personnel – y compris celui qui accompagne les enseignants – pour faire face aux difficultés comme les RASED ou ATSEM il y en a de moins en moins. On a concentré la difficulté sur l’enseignant et on lui a retiré ces auxiliaires. L’enseignant aujourd’hui fait plus que son boulot éducatif au final.

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Peut-on dire que la décentralisation a aggravé ce que vous viviez ?

RODRIGO ARENAS

Oui, et ça a été le cas au fil des réformes. Celle des rythmes scolaires est par exemple très emblématique. On va de plus en plus vers une différenciation territoriale. Par exemple, aujourd’hui, chaque commune propose une offre éducative différente. Là, ce n’est plus possible. Pour l’Éducation nationale on fait nos « 24h/semaine » et ce n’est plus notre problème. Mais ce n’est pas comme ça dans la réalité : ce sont les mêmes enfants et les mêmes parents, et si vous n’avez pas de liens entre l’action éducative de la ville et l’action éducative de l’Éducation nationale, alors à ce moment là vous avez une rupture d’égalité républicaine de fait, et surtout vous ne pouvez pas mettre en œuvre ce qui est le cœur de la réforme, y compris de celle du collège, qui est le principe de la coéducation et du travail coopératif de la communauté éducative. Ce n’est plus possible.

Propos recueillis par Julien Gonthier
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