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Compte rendu de l’atelier 23 : pédagogie sociale (+ un article de Laurent Ott)

Compte rendu de l’atelier complété par un article de Laurent Ott Pratiques et perspectives en pédagogie sociale dans le champ de la transformation socialeAnimateurs

Ewelina Cazottes, sociologue, laboratoire CRESSPA-GTM, Université Paris 8.

Laurent Ott, enseignant, docteur en philosophie, responsable recherche.

Qu’est ce que la pédagogie sociale, d’où ça vient, où peut on la situer ?

Laurent Ott, éducateur spécialisé, et ancien enseignant dans l’Éducation Nationale, travaille dans le domaine de la pédagogie sociale après avoir démissionné de l’institution. La question de l’éducation lui est apparue comme quelque chose de global. Notamment parce que la pédagogie sociale se situe à la frontière entre théories et pratiques. Ce qui nous conduit à théoriser la pédagogie, c’est la nécessité de la penser à travers des concepts, mais aussi à travers la pratique concrète. L’association « Intermède Robinson » qui fait de la pédagogie en dehors de l’école, a pour but effectivement de se rendre dans la rue pour travailler un tiers espace, un espace en friche.

Il ne faut cependant pas confondre le travail de prévention social spécialisé et la pédagogie sociale. Cette dernière concerne à la fois l’éducation mais le travail social aussi. C’est une branche du travail social, enseignée à l’université au Portugal, en Angleterre et en Pologne. La France quant à elle est imperméable aux pratiques des pédagogies sociales en ce qu’elles sont communautaires, basées sur l’expression libre, l’auto organisation ,et l’empowerment.

Pédagogie sociale et empowerment.

L’empowerment, terme anglo-saxon, est à la base de la démarche de la pédagogie sociale. L’expression désigne le cheminement qui permet aux individus de prendre conscience de leur pouvoir d’agir et d’accéder à plus d’autonomie. Devant l’échec des administrations ou des responsables de projets, le travail social s’intéresse à cette notion car elle implique d’autres formes d’interventions. Il s’agit en effet d’une démarche qui part « du bas, vers le bas ». Les origines de l’empowerment sont de plus bien ancrées dans l’éducation  puisque le néologisme : « capacitation », concept clé de la démarche de l’éducation populaire, est employé par Paulo Freire. Ce mot vise l’éducation comme émancipation et permet de dépasser l’impression que tout est inamovible et irréductible.

Définition de la pédagogie sociale.

On peut parler en réalité de trois pédagogies sociales chez les êtres humains. On peut alors classer les pédagogies par leur typologies et principes communs.

1) La pédagogie traditionnelle. : Descendante, et magistrale. C’est notre modèle, qu’on tend souvent à reproduire. Elle concerne en effet 90 pour cent des situations pédagogiques. Elle a pour particularité le fait de pouvoir être très moderne (il suffit de prendre l’exemple d’outils comme le TBI, tableau interactif blanc, ou les MOOC Massive Open Online Course). De même, l’inversion du principe de classe, reste aussi du ressort de la pédagogie institutionnelle. Ce type de pédagogie est pourtant critiqué depuis le 17eme siècle, notamment par Jean Jacques Rousseau. De ce point de vue il est le fondateur des pédagogies nouvelles. Il reproche aux anciennes pédagogies leur inefficacité ainsi que le gâchis d’énergie qu’elles induisent. C’est une pédagogie qui implique une résistance de la part de l’élève, étant donné qu’elle est frontale. Elle verrouille de plus toute possibilité de critique.

2) Les pédagogies nouvelles : Rousseau propose de renverser le face à face, pour mettre en place un accompagnement qui permettrait à l’élève d’être acteur de son apprentissage. L’élève a l’illusion d’être acteur mais cela reste virtuel. N’oublions pas que Rousseau est réactionnaire et non démocrate. L’enfant se retrouve alors face à une réalité, et il va devoir faire face à ce réel et s’adapter. La pédagogie nouvelle est à la base du travail social. On « accompagne » des familles, des dossiers, des êtres humains. Elle utilise aussi les « contraintes » de l’environnement, et met en place une nécessaire adaptation.

3) Enfin, à l’origine de la pédagogie sociale, Célestin Freinet en tant que pédagogue rompra singulièrement dans ses réalisations et pensées avec la lignée des pédagogies nouvelles, inspirées par les figures telles que Decroly ou Maria Montessori. Il va réfuter les bases de l’éducation nouvelle et considérer qu’il faut passer du statut d’acteur à celui d’AUTEUR. La pédagogie sociale propose donc une transformation de la réalité. Pour lui, ce qui se passe à l’école n’a pas de valeur réelle. Au lieu des exercices traditionnels, il propose des pièces de théâtre, des émissions de radio, des recueils de poésie, Etc. Il s’agit de faire des objets qui ont une valeur sociale. La pédagogie d’acteurs comme Célestin Freinet, Janusz Korczak et Hélène Radlinska part d’un constat ; celui de l’inacceptable. Il est considéré comme absurde le fait de conformer un individu à son milieu, de lui faire accepter le réel tel qu’il est. Car il s’agit d’une pédagogie pour et par les opprimés telle qu’elle a été développée par des pédagogues comme Paulo Freire. Concrètement cela se traduit par les activités proposées notamment par l’association Intermèdes Robinson, où l’éducation proposée est communautaire et au plus prés du réel.

La pédagogie sociale est également développée par un « chantier de pédagogie sociale » au sein de l’Icem-Pédagogie Freinet.

Intervention d’Ewelina Cazottes

Hélène Radlinska : source de la pédagogie sociale

On pourrait revenir sur les lacunes du « travail social ». On se rend compte que dans ce type de travail qu’on ne s’intéresse pas à la vie de l’enfant dans son entourage, au sein de son environnement, mais surtout au rapport entre l’enfant et sa structure. De même les éducateurs de rue ne s’intéressent globalement qu’aux jeunes dans les quartiers, mais on laisse de côté leur rapport avec leurs familles. Dans les foyers spécialisés, les enfants qui sortent de ce type d’établissement peinent à sortir de leur « condition ».

On peut dire que, forte de ce constat déjà très tôt, la Pologne a inventée en 1908 la pédagogie sociale. Donc en cela, Hélène Radlinska est vraiment novatrice. Déjà très impliquée dans les mouvements de recherche, mouvements syndicaux et politiques de l’époque, elle s’intéressait à l’instruction des masses. En cela elle fut très proche de Paulo Freire. Il s’agit de s’appuyer sur les capacités et singularités de chaque individu, pour construire avec lui sa propre émancipation. Cet accompagnement se fait tout en s’appuyant sur les « forces collectives ». L’idée c’est de transformer les gens mais pas seulement, transformer l’environnement aussi.

Objectifs de la pédagogie sociale

1) S’intéresser à la relation entre individu et environnement.

2) S’intéresser à la façon dont on transmet les valeurs auprès des enfants, mais pas seulement.

3) Se demander comment transformer l’environnement des acteurs, avec la société et à travers la société.

Janusz Korczak,  

Korczak est à la fois un auteur de romans pour enfants, poète et essayiste. Il était également un médecin juif polonais. Il est mort gazé en 194avec les 2OO enfants de ses foyers. Son héritage est fondateur pour le courant de la pédagogie sociale. Korczak disait que les enfants sont acteurs et auteurs : ce sont donc aux enfants de créer les règles de ces foyers. Il a aussi induit une révolution dans la façon que l’on avait de considérer l’enfant jusqu’alors : il propose de s’intéresser à l’enfant en tant qu’être authentique, valable en lui-même, pour lui-même, dans un ici et maintenant.

Questions des participants :

Professeur à Epinay, en histoire géo. : Beaucoup de collègues refusent de prendre en compte le vécu de l’enfant. Comment intervenez vous pour prendre en compte ce vécu de l’enfant au sein de l’institution ?

L. Ott : C’est une questions fréquente, qui relate un désir de s’inspirer de la pédagogie sociale dans l’institution. Repérez les petites bulles de liberté autour de vous, les espaces à mobiliser, le temps, les salles que vous pouvez annexer et emparez vous-en ! C’est la question cruciale et personnelle de rester ou non dans l’institution, et elle revient souvent. Certains enseignants ont développé une posture particulière, et les élèves sentent et repèrent les profs qui accordent plus d’importance à l’individu. Dans le secteur Freinet il existe une formation pour que les enseignants développent au sein des institutions leur propres techniques relevant des principes de la pédagogie sociale. Faute de pouvoir travailler en dehors, c’est DANS l’institution que l’on doit agir. Il faut connaître ses chaînes pour pouvoir tirer dessus.

Une Institutrice : Le vrai problème c’est qu’on ne fait pas participer les parents. Un jour, dans une école, un parent a fait des meubles pour l’école, étant menuisier. Et c’est par ce geste que d’un seul coup le rapport enseignant/élèves a été bouleversé. La vie a pu entrer en quelque sorte dans l’école. Il y a une vraie dichotomie entre le savoir scolaire et le savoir populaire, et le fait que l’on oppose les deux a des conséquences dramatiques sur les élèves. Et les enseignants et éducateurs ne se rencontrent plus.

L. Ott : La question de la famille et de la parentalité pose la question de cette éducation introuvable : parents et écoles se renvoient les difficultés sans cesse. Ce qui manque c’est un véritable environnement éducatif, que la pédagogie sociale cherche a créer et qui embrasse les institutions, la famille et l’environnement. C’est un espace mental à créer. Cet espace mental a disparu en même temps que les milieux populaires et paysans. Il reste seulement le milieu bourgeois unique, en tant qu’espace à la fois familial, social et éducatif. C’est un milieu doté d’une certaine stabilité, dont sont privés les espaces populaires. Les parents sont considérés comme des auxiliaires dans les institutions, uniquement, et c’est ce qu’il faut renverser. Le mot « parent » vient de « parer » ; parer les coups d’un trop petit enfant. Ils sont là avant tout pour soutenir leur enfant. Il ne s’agit pas de leur voler leur rôle d’éducateur. Par contre on peut travailler avec eux dans des projets communs qui mêlent école et société. Mais ne les considérons plus comme des « partenaires » ! Il faut bannir les mots du néolibéralisme, tels que collaboration, projet, partenaires. 
La pédagogie sociale promeut quant à elle la proximité : géographique, culturelle, (parler avec le langage des gens, être proche de leurs centres d’intérêts), une proximité politique, ainsi que la proximité affective et relationnelle  (se risquer dans la relation à l’Autre). Tout cela est banni par la hiérarchie sociale.

Professeur d’EPS : L’énergie qu’il y a dans la lecture des chroniques internet me touchent beaucoup, et tout cela me renvoie à la problématique du pouvoir, de la puissance, et de la question comment changer les choses, où mettre mon investissement, ma puissance… Une autre remarque quant à ce que l’on a théorisé en pédagogie sociale, et justement à partir du processus, j’ai envie d’être auteur et pas seulement acteur de cet atelier, d’une compréhension de la pédagogie sociale.

Instituteur : L’association Intermède Robinson a-t-elle vocation a essaimer ? Ensuite se pose la question de la formation, y a-t-il des avancées en France, au sein des ESPE par exemple ?

L. O.  Je reconnais la remarque sur la méthode d’atelier, et conseille les formations organisées par l’association Intermède Robinson fondées sur d’autres dispositifs. Le temps imparti est malheureusement trop court pour cet atelier.
Freinet conseillait d’ouvrir des « brèches dans la digue », et d’avancer « pas à pas » vers la pédagogie sociale si on en a l’envie. Il y a des enseignants qui arrivent à former dans les ESPE. Mais on peut déplorer la fermeture de ces structures à la pédagogie sociale.

L’association est financée par fondations et institutions publiques. Notamment par la caisse d’allocation et le conseil général ; d’où une grande difficulté : on n’ est jamais dans la tranquillité et le confort. C’est toujours plus paradoxal : ceux qui s’occupent des précaires sont de plus en plus dans la précarité eux-mêmes.

Concrètement les ateliers de rue se matérialisent de façon simple. On installe des tapis, des jouets, des livres, et il suffit de deux personnes. L’une accueille, l’autre s’assoie et passe du temps avec les gens. On vise une certaine sobriété.

Quant à la posture à adopter, il ne s’agit pas de se renier, mais de se retourner vers nos attaches car nous sommes tous en lien avec les milieux populaires. On peut relire Bourdieu, et ce qu’il disait en parlant de la « misère de position », et de la « misère de condition ». Aujourd’hui les travailleurs sociaux sont dans une misère de position ; une misère des moyens au sein des structures. Donc cela nous donne une proximité avec les publics à accompagner.

Autre intervention : C’est par la transformation des pratiques, par le fait que les enfants commencent à manger à leur faim, cultiver eux même leur espace par exemple, que le rapport à l’institution change. Ce n’est pas à coup de slogans forcés que l’on change les rapports entre individus dans un environnement spécifique, il s’agit d’abord de s’interroger sur ce qu’on enseigne, et à quoi ça sert.

L. O. L’association Intermèdes Robinson a pour cela mis en place des jardins partagés, des ateliers d’ apiculture et parents et enfants se mobilisent. Il faut prendre en compte le fait que la précarité ne permet pas l’engagement, faute de temps et d’énergie.

La question de la durée est aussi à prendre en compte. Le travail avec les enfants donne des résultats environ dans les 4 ans. Il y a tout à apprendre ; le travail, le sens de la notion de collectif, de communauté.
On peut citer Marie Jeanne Coloni à l’origine du projet « Les Alouettes », pour qui l’enfant « divorce avec la capacité d’apprendre, et l’école ». Il faut donc d’abord le réconcilier avec la faculté d’apprendre, par lui-même.  Et cette double réconciliation peut se faire par le biais de la pédagogie sociale. La maison des alouettes à Palaiseau, est typique de ces lieux qui font de la pédagogie sociale sans faire de bruit, et parfois sans le savoir. Ce qui me parait important dans le société française, c’est la question de la communauté. Comment la fonder, comment ne plus en avoir peur….

P. Merieu  prônait la pédagogie par le faire plus que par l’être. La pédagogie sociale propose concrètement du travail ensemble, et non pas des discours sur ce que l’on est. On s’attache moins à l’identité des individus, leur origine, mais ce qui compte c’est la culture qui est crée aujourd’hui, ensemble. Même si elle se nourrit de tout ce dont on est porteur. Il s’agit de faire tomber les identité défensives. Et à un moment, à la place du simple, on a du complexe.

Pratiques et perspectives en pédagogie sociale dans le champ de la transformation sociale

Laurent Ott, Chargé de recherché EFPP (Ecole de formation psycho-pédagogique)

L’association Intermèdes-Robinson

Pédagogie et travail social

On pourrait croire, mais à tort, que la pédagogie serait l’affaire privilégiée de l’enseignant. N’est ce pas lui au fond qui devrait être pédagogue puisqu’il est chargé d’enfants et également d’enseignement ? En effet, le terme de pédagogie est fréquemment employée à l’école ; mais pour avoir travaillé seize ans à tous les degrés de l’enseignement primaire, avoir fréquenté les Ecoles Normales, puis les IUFM (tants qu’ils ont existé), je peux témoigner de l’emploi souvent paradoxal du terme.

Si on devait faire une analyse sociolinguistique du mot « pédagogie », à l’école, on retiendrait deux usages dominants :

Le premier emploi du terme pédagogie, qui est le fait des enseignants dans leurs conversations courantes, ou leur communication vis à vis de leur hiérarchie ou des parents, renverrait à une sorte de « style ». Leur pédagogie serait en quelque sorte une marque de référence, une recherche de distinction, une forme de différence acceptable et bienvenue. La pédagogie apparaît dans cet exemple, comme une sorte de « supplément d’âme » ; un accessoire qui distingue son propriétaire.

D’ailleurs dans la conversation courante des enseignants, si on parle parfois de « sa » pédagogie, on refuse le plus souvent de parler « de » pédagogie tout court, car cela renverrait à quelque chose de contraignant ou à un risque de polémique. En parlant de « sa » pédagogie, le professeur d’école, le professeur de collège parle certainement de sa pratique, mais aussi d’un ensemble de « trucs » un peu personnels, habitudes ou usages qui le caractérisent à ses propres yeux ou vis à vis de ses collègues.

Quoi qu’il en soit, dans le premier sens d’usage que je cherche à caractériser, de la part des enseignants, en ce qui concerne l’emploi du mot « pédagogie » renvoie à un élément périphérique de leur pratique enseignante et éducative ». Il y aurait le contenu, le travail et puis, un peu de pédagogie, comme un étage supplémentaire et certainement pas indispensable. Bien que comprise et admissible en théorie, l’idée contraire que la pédagogie est la base et la matière même du travail de l’enseignant n’est pas reconnue.

Triste destin de ce terme, employé à contre-sens, détourné, déformé ou même débouté d’une institution (l’Ecole) que pourtant il a fondé. Qu’est ce que l’école en effet sinon une institution censée répondre à une certaine conception pédagogique de l’éducation ?

De fait, on peut se demander si le domaine de réflexion et d’action que recoupe ce concept peut avoir encore une pertinence dans la société et surtout en dehors de l’école, si l’école elle même semble l’avoir remisé ?

Pourtant et c’est là l’idée forte à l’origine de cet ouvrage, nous sommes certainement obligés aujourd’hui de chercher hors de l’école un peu de vérité sur ce qu’est et peut être la pédagogie pour des acteurs éducatifs et sociaux.

La pédagogie, indépendamment de l’école

Puisque la pédagogie a été déformée dans son sens et dans son emploi, c’est à partir de pratiques éducatives non scolaires que l’on peut en restituer l’intérêt, l’importance et la nécessité. C’est là une intuition importante qui permet justement de rénover toute l’idée qu’on se fait de la pédagogie. C’est aussi une occasion de réinterroger, un ensemble d’apports, de théories, d’approches et de se demander comment nous pourrions les transposer aux situations d’aujourd’hui, aux problèmes présents.

Entreprendre une telle étude sur les pédagogies à l’œuvre ou qui sont impliquées dans les situations éducatives et les problématiques sociales d’aujourd’hui, nécessite dans un premier temps d’approfondir et de définir ce lien.

En quoi le travail socio-éducatif est il concerné par la pédagogie ?

Répondre à une telle question nous amène d’abord à interroger les qualifications et la formation des professions concernées.

Nous découvrons alors une situation dans laquelle la pédagogie est toujours peu ou prou présente, dans le cadre de la plupart des formations professionnelles de cet immense champ (si on ajoute à celui de l’éducation et du social celui de l’éducation populaire et de l’animation) mais là encore, à petite dose et sans forcément que le lien de ce domaine soit clairement mis en lien avec l’identité des professions.

Des apports limités, isolés en formation initiale

Ainsi chez les éducateurs spécialisés, la pédagogie est elle souvent abordée selon deux aspects, avec des différences évidemment, en fonction des centres de formation.

Elle est introduite dans la formation théorique sous la forme d’éléments de connaissance de type généraux. La pédagogie est alors abordée sous la forme d’un élément indispensable pour une culture générale ou professionnelle. Ce sont par exemple, des cours ou des cycles qui prennent pour thème et titre : « les grands pédagogues », ou encore « les grands courants pédagogiques ».

Ne nous plaignons pas, les éducateurs sont ainsi déjà mieux formés, à ce stade, vis à vis de la pédagogie … que les enseignants eux mêmes ; mais c’est assez limitatif et d’ailleurs le nombre d’heures consacrées à ces contenus reste en général assez faible.

La pédagogie concerne une seconde fois la formation des éducateurs, à travers les cycles de formation dédiés à l’école et aux apprentissages ; mais là, également, il faut bien constater que les éléments pédagogiques sont un peu disséminés au milieu d’autres approches, certes indispensables, et qui concernent la sociologie, la psychologie, voire l’anthropologie.

Enfin la pédagogie concerne la formation des éducateurs, une dernière fois, en lien avec les formations techniques, et de mise en pratique. Là, au cours des ateliers, des cycles d’initiation à différentes activités et disciplines dont peuvent bénéficier les éducateurs, la pédagogie est très présente ; mais elle l’est en creux. Il faudrait être attentif, non pas seulement à ce qu’on vit dans le cadre de ces formations, mais surtout à la façon dont le formateur s’y est pris pour les amener et construire la dynamique même de formation, pour réaliser tout ce que ces ateliers doivent à la pédagogie, par de multiples et diverses mises en pratique.

C’est sans doute le moyen le plus intéressant d’étudier la pédagogie que de passer par la mise en pratique des situations, des ateliers, des chantiers et activités. Pour autant, à ce stade, l’étudiant a déjà fort à faire, pour s’initier et s’adapter aux situations. Il n’est pas tout à fait disponible et pas forcément guidé pour, à partir de ces situations, théoriser les enjeux pédagogiques qui sont pourtant omniprésents et sous jacents.

Et la Pédagogie Sociale ?

Indépendamment de ces quelques apports au sein de la formation initiale des travailleurs sociaux, la question de la pédagogie est rarement mise en ligne avec le projet de transformation sociale des situations et des contextes. Cela vient sans doute du fait que l’on connaît infiniment moins en France le troisième courant, celui qui s’est détaché de la pédagogie nouvelle ; c’est le courant de la pédagogie sociale. Le courant comme le nom, prennent leur origine en Pologne au début du XXème siècle

“Le travail avec les enfants et les adolescents, qui s’effectue en milieu ouvert avec l’aide d’équipes de professionnels et de volontaires stables, s’appuie naturellement sur les principes de la pédagogie sociale. Cette pédagogie qui a une histoire, un peu oubliée en Pologne, répond aux difficultés des structures éducatives en France à contacter et à fidéliser l’ensemble des enfants habitant un territoire. C’est aussi une solution au dilemme des représentants municipaux concernant l’absence ou la trop grande rareté d’espaces éducatifs intermédiaires pouvant intégrer les enfants de la Cité.

Le grand atout de cette pédagogie est qu’elle favorise la reconnaissance et la construction des compétences participatives chez des enfants exposés à des situations particulières (enfants vivant dans des conditions économiques, sociales ou familiales difficiles, etc.) et renforce de façon déterminante leurs capacités à élaborer entre eux, avec les adultes et avec d’autres enfants leurs propres projets d’intégration et d’émancipation.

Différentes associations en France mettent en œuvre des actions s’inscrivant dans le cadre de la pédagogie sociale, parmi lesquelles on peut citer l’Association Intermèdes-Robinson, les Alouettes, l’association Traces. Cette forme de travail se développe aussi à l’étranger, notamment en Pologne.

La pédagogie sociale fait référence dans sa méthodologie à des théories de pédagogie sociale fondée par Helena Radlinska (1879-1954), éminente pédagogue polonaise, dont la plus grande expérience était le travail social ou travail social sur les forces sociales (praca socjalna) c’est-à-dire une action éducative et politique qu’elle a conduite à différentes périodes de sa vie, tant au plan national qu’international. C’est en 1908 qu’est publié son premier texte : Qu’est-ce que la pédagogie sociale ? (Co to jest pedagogika spoleczna ?). Elle ne pense probablement pas, alors, la pédagogie sociale comme une science, mais elle s’attache à développer une réflexion sur un champ de pratiques à dimension sociale. On peut supposer que l’expression « pédagogie sociale », au tout début, est comprise également comme projet de justice sociale.” (Ewelina Cazotte dans “Pratiques en pédagogie sociale”; Chronique Sociale, ouvrage à paraître)

Et en France ?

Employée par Célestin Freinet dans différents textes, l’expression pédagogie sociale exprime la volonté d’inscrire la pédagogie au cœur de la société et des rapports humains qui l’animent. Radlisnka définit la pédagogie sociale comme une « pédagogie avec toute sa personne », « comprenant toute la vie humaine dans toutes les phases d’âges et se basant sur différentes formes d’associations et de dispositifs locaux ». C’est une pédagogie « de l’expérience de vie ». Elle vise à la fois « une croissance totale et l’aide à la transformation du réel grâce aux forces individuelles et collectives ». Il s’agit d’œuvrer en même temps à l’émancipation sociale et à un développement créatif de l’individu.

Freinet, quant à lui, en tant que pédagogue, ne recherche pas seulement une pédagogie mieux en harmonie avec les besoins des enfants et le développement de leurs possibilités, mais une pédagogie d’action, de transformations personnelle et sociale. Il ne s’agit pas de trouver la pédagogie la plus performante, ni même la plus adaptée (qui produirait de « la réussite scolaire ») ; mais il faut, au contraire, créer les conditions d’une réappropriation de la pédagogie elle-même par ceux qui en sont les auteurs : enfants, enseignants et parents. Cette ambition dépasse l’école et, de fait, la pédagogie Freinet est une pédagogie qui déborde l’enfant, la classe et l’école elle-même, en débouchant sur la correspondance, la sortie, l’initiative sociale, etc.

Freinet s’est détaché du mouvement de l’Éducation nouvelle qu’il avait contribué à construire pour créer un autre mouvement : l’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM), qui existe encore à ce jour. C’est au sein de ce mouvement, qu’un ensemble d’acteurs sociaux, artistes, militants associatifs, étudiants qui ont tous en commun de travailler hors des institutions et dans les espaces publics, a décidé de constituer un « chantier de pédagogie sociale » ouvert à tous. Ce n’est pas un hasard si, ce chantier, qui a commencé ses travaux en septembre 2008, attire de nombreux participants. Le climat qui pesait sur l’école et les associations sociales était à ce moment épouvantable… Il n’a fait qu’empirer depuis !

Un besoin ressenti par de nombreux acteurs

D’une part, il s’avère qu’un climat liberticide règne actuellement à l’école et oblige de plus en plus les éducateurs à solliciter et renvoyer à des structures extérieures, des associations, des temps périphériques au temps de classe, ou aux parents eux-mêmes, la responsabilité de la relation éducative, ou l’éducation tout court. D’autre part, la diminution du temps scolaire, la centration sur les savoirs fondamentaux, le récent développement de la discrimination du traitement scolaire des enfants (stages de vacances, soutien ciblé, etc.) amènent les éducateurs à réaliser que ce sont aujourd’hui les temps périscolaires qui sont devenus les plus grandes sources d’inégalités et d’injustices ; les enfants les plus favorisés par leur milieux accèdent à des savoirs plus ludiques et plus ambitieux hors temps scolaire, pendant que les plus pauvres n’ont que le droit de rabâcher et de voir leur comportement de plus en plus surveillé et sanctionné. Le dualisme scolaire devient aujourd’hui un véritable dualisme social, au risque de se transformer progressivement en une sorte « d’apartheid éducatif ».

Enfin, en dehors même des éducateurs, d’autres intervenants sociaux ressentent la nécessité de travailler autrement, de s’ouvrir vers tous les publics et de sortir eux aussi des institutions qui les enferment de plus en plus ; il en est ainsi d’artistes, mais également pour d’éducateurs spécialisés ou de jeunes enfants. Le chantier de pédagogie sociale, ouvert à l’initiative de l’Icem, regroupe aujourd’hui une trentaine de participants, de toutes ces origines professionnelles et qui ont en commun un grand intérêt pour le travail « hors institution », « hors cadre », voire le « travail éducatif de rue ». Car c’est bien de cela dont il s’agit : de travailler dans la rue, hors des institutions, de se réapproprier en quelque sorte l’espace public comme espace social et de vie. L’entreprise est nécessaire mais mérite d’être comprise dans sa véritable ambition ; la rue n’est pas un cadre, ni même une réalité univoque. Elle est l’affirmation d’une option politique et pédagogique majeure.

La rue, espace à réinvestir

La rue a toujours représenté, que ce soit pour les philosophes ou les pédagogues, le milieu qu’il fallait fuir. Ainsi, dès le XVIIIe siècle, des philosophes éducateurs comme Rousseau ou Pestalozzi, ne peuvent imaginer de système éducatif abouti, raisonné (en un mot, philosophique), que le plus loin possible de la ville et de ses fureurs. Le philosophe léguera ainsi à l’éducateur l’image erronée que toute éducation reposerait sur le primat de la volonté de l’éducateur, que celle-ci s’exerce de façon directe ou par la censure des influences extérieures.

Dans le travail social, il est de bon ton de manifester une certaine filiation ou proximité de pensée avec Jean-Jacques Rousseau ; cela est conforme avec l’histoire et les vieux rêves des éducateurs. Rousseau ne met-il pas en scène un système éducatif apparemment non violent, qui semble abolir le face à face de l’éducateur et de l’enfant ? Ne fait-il pas apparaître la Nature comme force de régulation des tensions, de médiation, de tiers relationnel efficace, au profit d’un mode éducatif à la fois réaliste et non directif ? De fait, c’est lointainement (mais sûrement), en référence à cette pensée naturaliste que se sont développées et se développent encore toutes les pratiques d’éloignement, de séjours de rupture, de centres éducatifs plus ou moins fermés à la campagne. La pensée est ainsi toujours la même, depuis les premières colonies agricoles, pénitentiaires et les premiers séjours « d’aération » : l’environnement redresserait naturellement l’individu mal influencé par la ville, par la rue, par son quartier. Il s’agit de jouer l’environnement contre le milieu ; selon une dialectique éducative de base, l’un est perpétuellement idéalisé, le second, diabolisé.

Bien entendu tout ceci est d’une hypocrisie sans nom. L’environnement n’est que l’alibi du désir de puissance et de contrôle de l’éducateur. Rousseau peut prétendre qu’Émile s’intéressera de sa propre initiative à l’étude du cycle de l’eau : c’est bel et bien le précepteur qui a décidé d’orienter sa promenade vers une source, puis un torrent. Les éducateurs peuvent toujours prétendre que ce n’est pas leur faute si « les téléphones portables ne captent pas » dans le village, eux ont prévu l’affaire et gardent le monopole des moyens de communication. La peur des influences qu’on ne peut entièrement contrôler est une caractéristique de la pensée éducative idéaliste, celle qui voudrait maîtriser à la fois les buts, les moyens et les parcours, par où en passe un enfant. La ville est ainsi éternellement synonyme de dangers, de dérives et, la peur des éducateurs, comme des politiques, vis-à-vis des phénomènes urbains , manifeste ainsi la crainte de ne plus pouvoir maîtriser des individus et une réalité trop complexe.

Une pédagogie de la réalité

Le travail de rue repose sur des postulats qui vont aujourd’hui à l’encontre de ceux qui s’imposent dans les pratiques institutionnelles ; les enfants viennent d’eux-mêmes, ils ne sont envoyés par personne et on ne sollicite pas, comme conditions, d’autorisations préalables de qui que ce soit, même pas des parents. De même, la situation d’atelier de rue laisse complètement au hasard de déterminer qui va venir, ou qui ne viendra pas. En outre, ce type de travail repose complètement pour sa suite sur la libre initiative et liberté de revenir (ou pas) des enfants contactés. Bien entendu, de telles pratiques s’adressent fondamentalement à des enfants saisis dans leur réalité et leur environnement ; aucun éloignement n’est nécessaire : ce sont les éducateurs qui ont pris sur eux la difficulté du déplacement et l’obligation de se rendre disponibles. De telles pratiques de rue mettent ainsi en pratique des principes fondamentalement philosophiques (en l’occurrence kantiens) qui sont :

• la globalité : les personnes contactées ne sont pas accueillies, acceptées, contactées sur telle ou telle particularité, sur tel ou tel critère, mais au contraire de façon globale, avec tout ce qu’elles sont et dans leurs relations naturelles avec leur environnement ;

• l’universalité : c’est, a priori, à tous que s’adresse un atelier de rue et, du coup, ceux qui s’y rendent n’y gagnent aucun statut spécifique, aucune image particulière qui manifesterait leur séparation vis-à-vis du corps social ;

• l’autonomie : c’est sur la libre participation que reposent de telles actions ; il n’y a ni contrat, ni engagement ; la relation qui s’établit progressivement au sein du groupe, ou entre les enfants et les éducateurs est la seule chose qui implicitement lie les individus entre eux.

Les pratiques de travail de rue mettent également en jeu d’une façon complètement différente cette grande difficulté des institutions à s’adresser conjointement à des groupes et des individus. La plupart des institutions présentent le groupe à leurs usagers et bénéficiaires comme un « pis aller », une contrainte, au mieux une exigence morale, mais rarement en tout cas comme quelque chose de positif. À leur contact, les enfants ressentent souvent le groupe comme privatif, voire comme un milieu hostile qui mérite qu’on apprenne à s’en défendre ou à s’en préserver. Le travail de rue repose quant à lui sur une perception inverse du couple groupe/individu. Dans un atelier d’expression, une ludothèque de rue, le groupe n’est pas synonyme d’empêchement, il est au contraire ce qui autorise, ce qui légitimisme le contact. L’enfant viendra d’autant plus facilement que le groupe est là pour l’y autoriser, plus encore pour l’encourager et le soutenir. De même, le groupe des éducateurs vient-il encourager l’enfant à établir des relations différentiées avec des adultes perçus plus librement qu’ils sont nombreux.

La situation éducative de rue témoigne ainsi modestement qu’une autre articulation groupe/individu reste possible. Loin d’en être la négation, le groupe peut être le moteur du développement, de l’enrichissement des personnes. Le groupe soutient, protège, nourrit, cultive les différences…

A la condition, bien entendu, que ce groupe soit structuré par un cadre éducatif qui garantisse la sécurité matérielle et affective de chacun. C’est possible en atelier de rue, cela devrait l’être aussi en institution. Le refus du clivage groupe/individu est commun à l’ensemble des pédagogies sociales et des pratiques qui s’en inspirent ; ainsi, la pédagogie Freinet repose-t-elle intégralement sur ce renversement. Dans une classe coopérative, c’est le groupe qui garantit les différences individuelles, qui favorise les initiatives de chacun, qui encourage ses membres à l’expression personnelle et à rechercher tous les moyens de la développer. La pensée de Paulo Freire rejoint, elle aussi, cette conception en concevant et définissant le groupe comme ce qui permet de prendre conscience de toutes les oppressions qui nous entravent ; le groupe permet d’ailleurs, dans un second temps, de trouver les moyens concrets de s’en libérer. Les pédagogies sociales de ces auteurs rejoignent et irriguent ainsi les pratiques éducatives de rue, en resituant celles-ci non pas dans une vision charitable de l’éducation, mais dans une vision politique. Le travail de rue, en s’adressant aux personnes prises dans leur milieu d’habitation et en proposant le développement de relations éducatives durables et mutuelles entre elles, contribue à éveiller la conscience de ce qui échappe si souvent à l’homme : sa condition. Comprendre sa condition est une entreprise qui ne peut se réaliser que là où nous sommes, à partir de la connaissance et de la compréhension de nos proches, dans un travail éducatif durable et pratique.

Rompant avec la vision idéaliste de projets éducatifs basés sur des modèles, le travail éducatif de rue repose au contraire sur des pratiques fréquentes, collectives, permises par du matériel mis à disposition de tous. Les pratiques éducatives de rue amènent les éducateurs – mais aussi les militants associatifs – à réfléchir à leur action en tenant compte de la complexité des situations ; les dimensions économiques, politiques, interculturelles, générationnelles ne sont plus niées ou occultées, mais trouvent à être perçues comme des ressources. Les ateliers de rue permettent souvent l’expression des sensibilités, la prise en compte des besoins affectifs et le développement des capacités d’expression personnelles. Ils rejoignent sur ce plan l’héritage vivant de la pédagogie Freinet.

Nos outils

Le travail en dehors des institutions, et le plus souvent en dehors de tout local, libère considérablement la relation éducative. Pour autant des repères, des outils sont nécessaires. Nous en détaillons ci-dessous quelques-uns.

Nous amenons peu de matériel, mais nous en apportons toujours avec nous. Au minimum, il s’agit de jeux, de livres, de matériel de dessin, peinture. Nous apportons également fréquemment de quoi faire des petits « travaux à la main » : fils, perles, terre, etc.

Ce matériel doit être accessible à notre public. C’est pourquoi nous utilisons des caisses de rangement commodes et larges que les enfants ou tous les participants peuvent utiliser en autonomie.
Nous n’avons pas de local, mais nous nous rendons repérables de toutes les façons possibles. Nous nous installons en visibilité, au centre des espaces ; nous déployons des tapis de sol colorés.

L’accueil dans le concret

En pédagogie sociale, nous n’accueillons personne à proprement parler, mais, au contraire, nous rejoignons notre public, là où il est, dans son contexte immédiat. Pour autant nous déployons de nombreuses manifestations d’accueil : salutations systématiques, y compris vis-à-vis des personnes qui se tiennent à distance. Nous prenons des nouvelles de la famille, de l’école, de la journée. Nous demandons ou observons l’état physique ou affectif. Nous sommes attentifs à tout ce qui nous est donné à voir, à tout ce qui nous est dit ou montré, mais également à tout ce qui échappe habituellement. Les enfants ont toujours un empressement à nous raconter les petites choses de leur quotidien ou les événements de leurs vies (le mariage de la grande sœur, le chien qui est mort, papa qui a déménagé, etc.). Nous prenons le temps de reformuler les propos qui nous paraissent importants dans leur discours afin de leur signifier qu’ils ont été écoutés et reconnus dans ce qu’ils vivent. L’attention et l’intention sont des bases qui viennent sceller la relation.

Par exemple un enfant exprime le fait qu’il adore manger des prunes et bien, nous pensons, lors d’un futur atelier, à apporter des prunes, un adolescent vous nous dit qu’il adore lire des mangas. Nous en empruntons à la bibliothèque ou nous en récupérons à Emmaüs.

Nous partageons et prenons appui sur l’univers, la culture de ceux que nous côtoyons, et il est dès plus important de le signifier. Dès que possible, nous invitons les gens à s’asseoir, à se poser et très rapidement nous proposons à manger et à boire.

Durée, régularité et rituels

Nos actions se déroulent dans tous les milieux, même les plus précaires ; c’est pourquoi elles se doivent d’être stables, sûres et régulières. De même, afin d’affirmer cette stabilité, nous nous employons à ritualiser le quotidien. Avec les enfants, par exemple, nous veillons à reproduire les mêmes séquences, les mêmes événements. Nous associons les enfants au déroulement de ces rituels et nous les en rendons volontiers « responsables ». Ainsi nous désignons des enfants responsables de différents temps comme le goûter. Les séparations aussi sont importantes à la fois pour confirmer que quelque chose a bien été vécu dans une relation éducative, mais aussi pour « évoquer la suite, l’avenir ». Nous prenons le temps de nous dire au revoir avec les mêmes attentions de l’accueil : bises, rendez-vous donné à la semaine suivante. Nous assurons que les Robinsons seront là. Le temps de la fin de l’atelier est toujours un temps moment sensible de la journée, un temps d’angoisse. En effet pour beaucoup d’enfants, la fin de l’atelier signifie la fin de ce temps de convivialité, la fin d’une présence sécurisante des adultes et le retour à une réalité parfois synonyme de solitude. C’est un moment sensible pour tous les acteurs. Plus nous mettons des mots sur ce moment de départ, plus nous rassurons, plus nous confirmons la certitude de nous revoir et plus nous permettons à l’enfant d’habiter l’absence.

Un regard, une posture

Nous signifions toutes les petites choses que nous remarquons (une nouvelle coupe de cheveux, des oreilles percées, de nouvelles chaussures, un nouveau jeu.) Cela nous permet concrètement « d’habiter » et de « nourrir » les relations. Quand nous sommes en atelier de rue, nous adoptons une vision globale, un regard horizontal qui part du premier plan mais qui intègre le paysage. Nous sommes attentifs aux fenêtres qui s’ouvrent, au passage même lointain, à la circulation des véhicules. Nous sommes en éveil tout en restant présents à ce qui se passe à côté de nous. Cela n’est pas dans le but de contrôler mais bien de percevoir ce qui arrive, ce qui se passe. En effet, même quand il y a activité en travail de rue, celle-ci est perpétuellement enrichie par l’inattendu, la rencontre.

Agir au plus près

« Ça n’a pas été facile. Souvent j’ai désespéré, j’ai pensé que j’étais la mauvaise personne pour lui, qu’un autre aurait pu mieux faire, plus vite. J’ai cherché à qui je pouvais adresser XXX x, puis j’ai compris que ce n’était pas comme ça. Que c’était à celui qui était là de faire le travail. Et il se trouvait que c’était moi. Patience, humilité et détermination. Volonté farouche “d’y” arriver. Le “y” restant toujours indéterminé. »

Quand on travaille en « pédagogie de rue », on n’est par définition rarement la bonne personne. Nous rencontrons des problèmes complexes mais surtout qui nous apparaissent « techniques ». Bref, chaque situation semble appeler une véritable armée de spécialistes, et nous nous sentons en infériorité, quasi complexés : nous disons ce que nous pouvons, faisons ce que nous pouvons en pensant chaque fois qu’un autre ferait mieux que nous. Ah, si seulement il était là !
Les difficultés, les urgences que les gens nous présentent nous renvoient sur le plan intellectuel vers des sciences, des lumières, des connaissances dont nous sommes apparemment dépourvus : c’est que nous sommes des généralistes.

La première tendance est alors pour nous de vouloir être des interfaces, et ça tombe bien car nous ne sommes pas les seuls à avoir ce rêve. Quand au cours de réunions « de territoire », nous rencontrons des partenaires spécialisés dont certains sont en quête de public, ils ceux-ci nous assigneraient volontiers cette tâche pour eux plus enviable : Allez donc sur le terrain et accompagnez rabattez vers nous tous ces gens qui ne savent pas à quel point ils ont besoin de nous.

Bien entendu tous les partenaires ne sont pas comme ceci ; il en est qui partagent une réelle présence de terrain, une connaissance approfondie des contextes autant que des procédures, des personnes connues et reconnues qui ont construit aussi leur professionnalité avec des rencontres.

Mais il y en a aussi beaucoup qui ne réfléchissent guère à cet écart qui les sépare de « leur » public, qui ne peuvent comprendre que comme une « lacune du côté de l’autre », le fait qu’ils ne viennent pas les voir, ou pas les revoir.

Eh oui il y a des spécialistes qu’on ne va voir qu’une fois et à regret, quand on se trouve confrontés à une forteresse de suffisance, à des mots pièges, des interprétations « de prisunic », de pauvres sentences qui se voudraient savantes, mais qui n’ont rien à envier à la morale d’antan : « Mais vous êtes la mère », « Quand on veut, on peut », « C’est à vous de vous organiser pour pouvoir venir », « Vous devez chercher un meilleur environnement pour votre enfant ». Paroles d’ignorants prétentieux, de Diafoirus de tous les temps !

En pédagogie sociale, il n’y a pas d’entrée par les compétences, mais par la présence ; c’est parce que nous sommes là que nous sommes saisis par la demande de l’autre ou des autres. Nous ne pouvons pas nous défausser avec quelque orientation hasardeuse. Nous savons depuis longtemps que nous n’avons rien fait quand nous avons donné de l’information sur « qui fait quoi, où quand et comment ? » Car les obstacles sont trop nombreux et il faut bien s’en occuper ici et maintenant, sinon c’est vouer à l’échec. La personne ne se déplacera pas, la peur l’emportera ou bien (ce qui n’est pas contradictoire), elle sera happée par les événements et empêchée à répétitions de se présenter ; ou bien sa propre conscience ou intuition de la complexité de sa situation la mènera à renoncer d’elle-même à une rencontre dans laquelle elle ne croit plus.

Alors nous construisons sur place ; avec le peu de moyens que nous avons souvent, nous réalisons les aides, les accompagnements, que notre public n’arrive pas à obtenir. Évidemment ce n’est pas la même chose et nous sommes obligés de réinventer ensemble les demandes.
Face à l’incapacité des CAF d’aider vraiment certaines familles à partir en vacances, nous réinventons par exemple l’idée de vacances. Plutôt que de « villages vacances familiaux traditionnels » qui répondent aux idées stéréotypées des vacances « farniente », nous bricolons du divers. Nous faisons des bivouacs, dans des terrains de proximité pour les ados, organisons une journée à la mer pour les familles, des soirées de rue pour la fête. Les vacances nous les faisons dans les interstices de la vie et du béton.

Aucun miracle, jamais, nous ne soldons ni les rêves, ni les désirs, nous faisons juste un peu de possible avec le désir, la soif, la faim, la rage aussi peut-être.

Et cette inventivité nous sommes bien obligés de la mobiliser aussi pour la souffrance mentale, pour les jeunes exclus des collèges, pour les psys qui ne reçoivent pas les jeunes et les enfants que personne n’accompagne…

Les adultes sans boulot et sans espoir, les jeunes sans stage et sans place, et même – nous l’avons expérimenté – les personnes âgées « Alzheimer » sans souvenirs et sans but… qui ne savent plus qui elles attendent.

Le grand danger de cette réalité serait de croire que la pédagogie sociale serait alors ce « chaînon manquant » pour tous les incasables, une sorte d’horrible ghetto…

Non, il n’en est pas question. Le travail de rue n’est pas une institution fût-ce celle qui « manque » ; elle n’est pas le satellite commode de toutes les autres qui excluent, expulsent, oublient ou ignorent…
D’ailleurs comment pourrions- nous supporter seulement la pensée d’être cela ? Nous ne réparons pas, ne bouchons pas les trous. Plutôt que de combler les manques, nous mettons de l’huile sur le feu. Nous rendons visibles ceux qui sont cachés, les invitons à se rendre visibles, à prendre place dans les espaces publics. Nous leur proposons un « nous » hésitant, un « je » un peu plus fort pour sortir d’un « on », sans avenir, sans personne et sans voix.

Agir au plus près de notre public commence donc pour les pédagogues de rue à guérir leurs complexes ; certes nous ne sommes ni psys, ni assistantes sociales, mais nous faisons avec la souffrance, la dépression, les problèmes sociaux, pour construire du sociétal.
Nous dépersonnalisons les problèmes, les socialisons, ce dont il s’agit c’est de sortir de « l’individu prison ».

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