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Ateliers-philo, pourquoi, pour qui ? Les bonnes feuilles de N’autre école

Nous publierons au cours de l’été quelques “bonnes feuilles” du nouveau numéro “Esprit critique, es-tu là ?”, – le sixième de la nouvelle série -, de N’autre école . Numéro à commander ici.

On se demande d’abord s’il ne s’agit pas d’une homonymie : mais non, l’éditeur des « Petits Platons » (lire la série de petits fascicules d’initiation aux grands philosophes, co-oéditée par Télérama, Le Monde, La Vie, d’une réelle qualité) est bien le même que le délégué général de SOS éducation (cf. la « cartographie de la nébuleuse des réac-publicains » dans le numéro 5 de notre revue) ; quelqu’un qui avait commis un triste billet dans Valeurs actuelles à la nomination de Najat Vallaud-Belkacem, l’accusant, en ayant soutenu les ABCD de l’égalité, de « subvertir les repères des enfants dans la construction de leur identité sexuelle ».

JEAN-PAUL MONGIN, c’est bien le même personnage qui milite pour le retour à une école du passé complètement fantasmée et qui appelle à connaître dès l’âge scolaire les multiples facettes de la réflexion philosophique (y compris, dans le coffret cité, Karl Marx).

Même surprise quand on voit que Frédéric Lenoir, auteur à succès d’ouvrages dans la philosophie est très orienté vers les spiritualités, anime, à l’aide de la Fondation de France, des ateliers-philo pour enfants et le raconte dans un livre récent.

Le mot « récupération » serait une réponse paresseuse. Qu’un individu de la droite extrême ou un auteur grand public reprennent ce que des « pédagos », honnis du premier, bricolent depuis des années peut paraître surprenant et n’a rien de choquant : prenons-le comme l’hommage du vice à la vertu (pour le premier) et une sensibilité éditoriale affirmée, pas forcément dénuée de sincérité d’ailleurs, pour le second.

Des outils d’émancipation…

Reste que cela conduit à reconsidérer notre affirmation que ces ateliers-philo sont des outils d’émancipation. Oui, finalement, en quoi ces ateliers (quelle que soit l’école de référence – Tozzi, Lévine, Brénifier…) – et les procédures utilisées (*) peuvent-ils aider des enfants et des jeunes à grandir en pensée, à remettre en question, à critiquer ?

D’abord en ce qu’ils portent sur le langage. Le langage n’est pas là seulement pour le pratique, le « passe-moi le sel » et le « mets ton bonnet », il n’est pas là non plus pour la sociabilité de convenance, faite de foot, de météo et de plaisanteries, il est là pour penser. Grande découverte pour beaucoup d’enfants dont les premières
questions sont ignorées alors qu’elles peuvent être à l’origine de la curiosité scientifique (« pourquoi les oiseaux chantent, pourquoi le ciel est bleu ? ») ou philosophique (« pourquoi y a-t-il des gens méchants, pourquoi est-ce qu’on a peur ? »). Le plus souvent, les parents ne répondent pas aux questions ; elles désarçonnent souvent, c’est vrai, mais plus que le manque d’habitude ou de disponibilité, l’étouffoir social fait que les parents ne se sentent pas en confiance pour répondre ou réo-orienter la question ; dès lors les questions s’éteignent, d’autant qu’à l’école, « ce n’est pas au programme » : on est là surtout pour répondre aux questions de l’enseignant, pas pour poser les siennes.

Parler (puis, seulement après, écrire) pour penser signifie ne pas être contraint de le faire, avoir droit au silence, qui permet le dialogue intérieur, condition de naissance de la réflexion personnelle ; cela signifie bénéficier de la présence des autres, soit parce qu’ils servent d’exemples entraînants, soit parce qu’ils écoutent, soit encore parce qu’ils reprennent, pour aller dans le même sens ou pour contredire. Le langage n’est pas seulement le vêtement de la pensée, il est la condition et la forme de son émergence : je parle, donc je pense, je pense parce que je parle. Émis individuellement pour les autres : tu penses, donc je pense.

… mais à quelles conditions ?

Pour les enfants des classes populaires, c’est quelque chose dont ils sont a priori exclus. Les ateliers-philo, comme les conseils pour la gestion si importante du quotidien de la classe, l’investigation scientifique coopérative, la résolution de problèmes (en maths, mais aussi les défis techno), la correspondance scolaire, la confection d’un journal, l’écrit au long cours (**) ou mille autres pratiques (évaluer une production plastique ou une chorégraphie, par exemple), toutes ces activités ne se contentent pas, comme les J.-P. Mongin font mine de le croire, de mettre les élèves en activité, mais les mettent dans le champ de la pensée. une pensée auto-réflexive, explicite : c’est pour ça qu’on est là, c’est avec ça qu’on grandit, on gagne de la confiance en soi, on se donne des capacités, on peut le savoir et se le dire. Le langage, c’est aussi cet « arrêt sur l’image ».

Pour les enfants des autres milieux, c’est cela aussi, bien sûr. Cela peut être, de surcroît ou de préférence, un jeu, avec ce que cela signifie de prise de distance : on y est sans y être vraiment. Une élève de Première me l’avait expliqué : dans cette copie solide et enflammée sur le mouvement ouvrier au XIXe siècle, elle avait tablé sur la bonne note que lui mettrait le prof d’histoire qu’elle soupçonnait, non sans raison, de sympathie pour le sujet. Mais ce n’était qu’un devoir ; ce qui comptait pour elle, c’était plus sérieux : obtenir une place en prépa, puis viser le commerce international, bref la vraie vie ; même s’il faut passer par les jeux d’idées et de langage, d’ailleurs intéressants pensait-elle (comme le cinéma, ça divertit).

Les ateliers-philo peuvent donc être ça : un divertissement, un supplément d’âme (surtout à l’époque où la religion, n’en déplaise à nos deux auteurs, est un peu fatiguée dans nos contrées).

Ils peuvent être un des outils qui donnent cette arme de paix et de sécurité, d’assurance réflexive et langagière si utile pour dire non et affronter le monde insensé du profit : la pensée, construite au plus profond de soi et avec les autres. ■

Par Jean-Pierre Fournier, Questions de classe(s)

(*) Michel Tozzi, bien connu de nos lecteurs, membre des Cahiers pédagogiques, promeut des Débats à visée démocratique et philosophique ; l’Agsas (voir son site) met en place des ateliers d’inspiration plus psychanalytique et où la part d’intervention du maître est plus restreinte ; au contraire chez Oscar Brénifier, avec une exigence de rigueur dans l’élaboration collective.
(**) Refonder l’enseignement de l’écriture, Dominique Bucheton, Retz, 2014.

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