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Albert Thierry, « L’homme en proie aux enfants »

Le 26 mai 2015 ce sera le centenaire de la mort de ce pédagogue syndicaliste révolutionnaire oublié… Pour le découvrir, voici le chapitre qui lui est consacré dans Pédagogie et Révolution (Grégory Chambat, éditions Libertalia, 2013 – commande possible sur ce site)

 
L’éducation fut au centre des préoccupations du syndicalisme naissant. Et pourtant, aucun nom de ceux qui tentèrent de doter ce mouvement ouvrier d’une réflexion pédagogique n’est arrivé jusqu’à nous. Pas même celui d’Albert Thierry – « l’homme en proie aux enfants » comme il se définissait lui-même dans le titre de l’un de ses ouvrages – l’homme du « refus de parvenir », l’homme qui certainement incarna le mieux cette éducation syndicaliste aujourd’hui oubliée.

Né à Montargis en 1881[[Sur la vie d’Albert Thierry il faut consulter l’excellent site, http://www.onomastica.ouvaton.org]], Albert Thierry, fils « d’un gars du bâtiment », comprend très vite que la vie est un combat. Brillant mais solitaire, il suit ses études au prestigieux collège Chaptal à Paris puis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. Déjà sensibilisé aux débats sociaux de son temps, il manifeste une irrépressible curiosité pour les alternatives pédagogiques, et tout particulièrement pour celle ébauchée par Proudhon. Sa rencontre avec l’anarchisme est précoce. Elle date de ses premières années de collégien, où, avec ses jeunes amis, il monte un cercle de discussion, « le groupe de Puteaux ». Proudhon restera pour lui un modèle et son œuvre se place souvent sous le parrainage de l’ambigu père de l’anarchisme. Bien qu’il n’ait jamais adhéré jamais formellement à la CGT, son engagement libertaire et social lui fait embrasser la cause syndicaliste, non sans réticences parfois (en particulier sur l’antipatriotisme et le néomalthusianisme professés par la confédération, et, plus généralement, vis-à-vis de toute la phraséologie dogmatique).
Une bourse lui permet de voyager en Allemagne et en Autriche. Devenu instituteur, refusant les honneurs et les promotions, Albert Thierry, fils de la classe ouvrière, « ne souffrît pas une minute l’idée qu’il pût un jour en sortir. Il a mis son point d’honneur à s’y rengager à chaque progrès davantage », (Paul Desjardins). Il est nommé professeur à l’école primaire supérieure de Melun (1906-1911), puis à l’école normale de Versailles, de 1911 à la mobilisation, en 1914.

Si Thierry a une pensée forte et originale, il fait aussi preuve d’un style et d’une passion infinie pour l’écriture. Entre son premier article sur la liberté d’enseignement (15 octobre 1902) et ses dernières notes de tranchées (mars 1915), douze années seulement s’écoulent. Une période durant laquelle il aligne articles dans la presse syndicale, poèmes, contes et fictions, réflexions sociales et pédagogiques… Son écriture, élégante et originale, relève le plus souvent de la méditation et de l’exigence de vérité.

Incapable de dissocier les principes des actes, il clame son « refus de parvenir » jusque dans l’enfer des tranchées, dédaignant les postes d’officier qui lui sont proposés, acceptant – aux côtés de ses camarades – les plus dures besognes. Celui que ses compagnons d’infortune surnomment « l’écrivain », portant un barda rendu trop lourd par le poids des livres dont il ne se sépare jamais, est frappé en première ligne par un obus, le 26 mai 1915, après avoir couché sur le papier ses dernières notes : « Le capitaine passe et me dit qu’il est défendu de faire un carnet de route. Je le sais bien. Et surtout celui-ci, trop vrai qu’il est, tout surprenant qu’il soit. Mais nous ne parlerons pas du danger. »

Au-delà de cette fin tragique, Thierry nous parle et nous touche parce qu’il élabore sa pédagogie sur l’expérience intime de son échec. Son œuvre en porte irrémédiablement la marque, elle apparaît, avec L’Homme en proie aux enfants, dans une forme insaisissable, surprenante, dérangeante, comme le sont, pour le lecteur comme pour Thierry lui-même, les idées qui y sont exposées. Ni roman, ni journal, ni traité pédagogique  : « Ce n’est pas de la littérature ; c’est mieux ; c’est la voix d’une âme. L’accent d’Albert Thierry, sa façon de sentir et de dire étaient à lui… » écrira Robert Kemp.

Du « moment pédagogique » à l’action directe

Le « choc pédagogique » date de ses premiers pas maladroits d’enseignant à travers une expérience probablement commune à tous les pédagogues. Sorti premier de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, le voilà confronté à une classe de petits paysans étrangers à toute culture scolaire. Lui, le fils de maçon arraché à sa condition, le « boursier » égaré au milieu des hussards noirs, est habité d’un immense et naïf espoir dans sa mission émancipatrice. Sa prise de conscience du désintérêt et de la douloureuse indifférence de ses élèves n’en sera que plus amère. Une scène, rapportée dans L’Homme en proie aux enfants, cristallise cette violente désillusion. Alors qu’il lit avec, on l’imagine, toute la conviction du militant passionné, un passage soigneusement choisi des Misérables, il se heurte incrédule à l’ennui de son jeune public. Quelques minutes après, dans la cour de récréation, le texte devient le prétexte de parodies grossières et de jeux cruels. Albert Thierry est anéanti par ce pitoyable échec.

Homme de caractère, il cherche à questionner ce dialogue impossible, cet insupportable conflit entre les aspirations de l’enseignant et la résistance de l’élève. Comment sortir de cette impasse où – c’est la découverte de Thierry – élèves et maître vivent une égale souffrance ? Comment rendre possible l’échange pédagogique sans rien céder de ses ambitions émancipatrices ?

Le jeune instituteur vient de faire la rencontre avec l’autre, celui que tous les manuels scolaires et toutes les instructions officielles ignorent superbement et qui pourtant s’impose par son mutisme ou par la violence de ses débordements : « Ainsi je ne consulte pas les programmes : cette cause est entendue. Je n’interroge pas les autorités. Je n’aurais pas une répugnance absolue à le faire, car je n’ai pas de principes. […] Je n’agis pas même d’après mon savoir. Allemand, grammaire, philosophie, histoire, j’ai appris à tout désapprendre. À quoi bon fatiguer sous l’abstraction ces petits esprits débiles  ? D’ailleurs, ils auraient dormi. C’est de mes élèves que je voudrais tirer toute ma pédagogie. Leur désir, je l’épie ; leur volonté m’indique leurs besoins, leur expérience me fournit mes exemples, leur curiosité dirige ma méthode, leur fatigue commande mes inventions… Voulez-vous, proportions gardées, que nous appelions cela de l’action directe ? » Surprenante conclusion que ce recours aux principes du syndicalisme pour surmonter cette épreuve professionnelle et personnelle. Comment, sans renier ses aspirations révolutionnaires, concilier la « besogne » éducative quotidienne et l’action collective émancipatrice  ? Comment surtout, à partir de cet échec, élaborer une pédagogie de rupture capable d’intégrer cette épaisseur de la relation pédagogique et de surmonter cette résistance  ? Instruit par sa propre expérience, Thierry relève le pari de construire une pédagogie révolutionnaire, exempte de toute tentation utopique, s’attachant à éduquer les hommes tels qu’ils sont et conciliant réalisme et ambition émancipatrice.

Fort de sa cruelle découverte, deux solutions s’offrent au jeune instituteur confronté à l’idéalisme de ses aspirations  : considérer toute pratique pédagogique illusoire dans l’état actuel de l’école et de la société, et donc établir le plan d’une éducation pour demain, une éducation pour « après la révolution », ou bien « révolutionner » sa pédagogie et tenter, en dépit des obstacles, de surmonter cette résistance. Car finalement, c’est bien avec les hommes tels qu’ils sont aujourd’hui qu’il faudra changer le monde. Comment alors les armer, comment définir le rôle que peut jouer l’école dans la préparation de la révolution ? C’est à ces questions que Thierry tente de répondre dans ses Réflexions sur l’Éducation.

Telle révolution, telle éducation

« Individualiste et syndicaliste », telle sera l’éducation prônée par Albert Thierry pour reprendre l’expression de Maurice Dommanget. Le travail de réflexion pédagogique est tout entier tourné vers l’avènement de la révolution sociale. Mais l’ardent partisan du syndicalisme révolutionnaire ne cache pas son agacement face aux illusions romantiques insurrectionnelles. À la révolution des barricades, il oppose, en préambule à ses Réflexions sur l’éducation, la révolution constructive, œuvre patiente et quotidienne. C’est par son action continue et résolue que le syndicalisme a su donner au socialisme la pratique qui lui faisait jusque-là défaut. Pourtant, précise-t-il, s’illusionner sur le potentiel révolutionnaire de l’éducation serait une grossière erreur. Impasse, que cet espoir de substituer au catéchisme chrétien ou bourgeois le catéchisme syndical. L’illusion d’une révolution pédagogique est à dénoncer sans ménagement : « L’éducation intégrale est dans l’État bourgeois impossible et criminelle. » De son douloureux échec, Albert Thierry a retenu une belle leçon  : on ne peut aborder la question pédagogique sans se référer aux conditions sociales de son fonctionnement. C’est pourtant ce que l’école actuelle fait, incapable d’interroger le but qu’elle poursuit  : « Du vide et une impuissance fatale à remplir ce vide », (Marcel Martinet, préface). La tâche urgente du pédagogue est de se poser la question : pourquoi ?, pour qui ? ; viendra ensuite le temps du « comment ? ».
Homme droit, exigeant, rigide probablement, Albert Thierry ne s’embarrasse pas de demi-mesure dans le portrait qu’il trace de l’école : « Si le secondaire est le préceptorat des exploiteurs, si le primaire est le préceptorat des exploités, le primaire supérieur est le séminaire des traîtres, le préceptorat des jaunes. » Pour le peuple, l’école est « un vestiaire », « une ménagerie », « une prison »… Enchaînés à leur pupitre par la loi, les enfants y attendent que le temps passe. Si la société est le théâtre de l’affrontement entre deux classes antagonistes, l’éducation reflète cette lutte. D’un côté s’élève une école de l’apparence, du semblant, du « symbole » : mensonge odieux de la gratuité qui ne bénéficie qu’aux riches, saucissonnage de la science et de la littérature dans les « morceaux choisis », mépris érigé en dogme pour tout ce qui est « manuel », simulacre de l’effort et du travail (« tant d’heures à écrire, pour des enfants qui devenus hommes n’écriront jamais ; tant d’heures à lire, pour des enfants qui devenus des hommes ne liront jamais qu’un journal à faits divers et des proclamations électorales ; tant d’heures à compter, pour des enfants qui devenus hommes ne calculeront jamais que la paye et les dettes… »). Pour la bourgeoisie, l’éducation, sous la dorure des humanités et la respectabilité de la « grande culture » n’est finalement qu’un enseignement professionnel qui n’ose avouer son nom  : elle prépare « les jeunes gens et les hommes de la classe dirigeante à diriger ». L’exploité doit prendre conscience que cet enseignement, cette culture lui sont étrangers…

Le refus de parvenir

Pour mieux les asservir et les domestiquer, la bourgeoisie d’hier et d’aujourd’hui refuse aux enfants de la classe ouvrière l’accès à ses écoles d’élite et les parque dans les zones de rétention de l’enseignement professionnel. La situation de cet enseignement du temps de Thierry ne semble pas si différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Cette ségrégation éducative est dénoncée par les bonnes âmes  : « Revalorisons ces établissements ! » disent les uns, se promettant de ne jamais y envoyer leurs propres enfants… « Collège, lycée, université, uniques pour tous ! Revendiquons la culture bourgeoise élitiste pour tous  ! » s’emportent les autres, peut-être convaincus de tenir là un vrai discours radical… Postures dérisoires, indignes et stupides réplique Thierry. Trouver la voie qui nous mènera vers l’enseignement syndicaliste, c’est se positionner de manière syndicalement conséquente, c’est aborder la question d’un point de vue social. Premier devoir, pour l’exploité conscient et déterminé : ne pas céder aux mirages de l’école républicaine. Que lui propose-t-elle ? S’élever au-dessus de sa condition, mais pour servir qui ? Ceux qui se font une spécialité d’exploiter les esprits comme ils exploitent les corps ? Faire carrière ? Mais au prix de combien de renoncements et de douleurs ? Certes, la posture revendiquée par Albert Thierry est exigeante, héroïque, anachronique. Elle n’en pose pas moins la question éducative en des termes aussi originaux que stimulants. Parce que la solution ne peut être individuelle mais collective, mais parce que l’individu est au cœur de ce collectif, il n’est qu’une position honnête et viable  : « refuser de parvenir ». C’est là, n’en doutons point, que se trouve la clé de sa pédagogie, le nœud des aspirations collectives et individuelles, la fondation du système éducatif qu’il bâtit méticuleusement… « Refuser de parvenir, ce n’est ni refuser d’agir ni refuser de vivre : c’est refuser de vivre et d’agir aux fins de soi. »
 
Quelle école pour la classe ouvrière ?

Albert Thierry est l’un des rares pédagogues à aborder la question de l’enseignement professionnel. Lui qui raille les utopies pédagogiques, élaborées pour un monde irréel, entend établir les plans d’une école révolutionnaire – syndicaliste dit-il – pour aujourd’hui et surtout pour ceux qui en ont besoin dans l’immédiat. Une école qui, avant de servir les intérêts d’une cause, d’une idéologie, doit servir les intérêts et les besoins de ceux au nom de qui on la construit. Cette école n’apprendra pas la révolution – c’est entendu – ce n’est pas à elle de le faire, mais au syndicat. L’apprenti se syndique, précise-t-il, pas l’écolier. L’école, quant à elle, tracera le chemin qui mène au syndicat. Non par la propagande, non par la persuasion, mais de la même manière que le syndicalisme est porteur d’avenir parce qu’il répond aux aspirations profondes des exploités, aujourd’hui et demain, cette éducation devra veiller à offrir à chacun la voie de son émancipation individuelle et collective. Cette voie, c’est celle de l’enseignement professionnel, du métier. Personne n’a mieux pressenti que Thierry que cet enseignement aujourd’hui était une école au rabais, aussi inefficace pour apprendre une profession que pour transmettre une culture. Ce n’est donc pas en s’inspirant de l’enseignement professionnel, ni même en le réformant, que l’on établira une éducation syndicaliste. C’est d’abord en suivant les orientations des Bourses du travail et du syndicat. C’est là, déclare Thierry, que les instituteurs doivent se rendre, autant pour instruire que pour apprendre…
Résumons, si cela est possible, les grandes lignes du plan d’éducation syndicale tracé par Thierry. D’abord l’enseignement primaire, dont il est entendu qu’il n’a rien à voir avec l’éducation syndicaliste  : « Pas une éducation, un enseignement » précise-t-il, avant de reconnaître  : « Loin de préparer l’avenir, il répare le passé. » Il sera général et élémentaire, identique pour tous et toutes et devra obligatoirement être complété par un enseignement secondaire. L’enfant, préservé des classements, punitions et examens, y viendra pour acquérir « l’outillage » indispensable : outillage intellectuel (lire, écrire, compter, mais également observer et exprimer), outillage physique (pratique raisonnée de la gymnastique, de l’hygiène, alimentation…) et moral. Par manque d’expérience (Thierry enseigne à des adolescents), par manque d’intérêt peut-être, par conviction que cette étape n’est pas la plus déterminante dans son projet, Thierry n’accorde pas une grande importance à cet enseignement primaire. Et pourtant, dans la description qu’il en fait, se trouvent en germe bien des pratiques d’une pédagogie novatrice et hardie. Plus de manuels ni de leçons… Parce qu’écrire c’est écrire quelque chose, lire c’est lire quelque chose… Thierry bâtit cet enseignement sur l’observation, l’expression – écrite et orale – du monde qui entoure le jeune enfant. Est-ce finalement commettre un anachronisme que d’y déceler les bribes des pratiques de l’école Freinet ? Comme l’instituteur de Vence, auteur de L’Éducation au travail, après avoir raillé le faux travail scolaire, Albert Thierry entend lui substituer des activités de production concrètes et adaptées aux besoins et à la curiosité du jeune enfant  : « Introduire à temps la production dans cette éducation, afin de la rendre vraie comme la vie, c’est évidemment en démolir le symbolisme. Substituer le travail manuel au travail intellectuel, la sensation à l’abstraction, la promenade et la causerie à la lecture, l’atelier à la classe  ; bref rapprocher, réunir l’existence économique des hommes et l’existence scolaire des enfants, voilà tout ce que contient notre principe… »

Mais le cœur du projet se situe après ces premières années. Doté des outils indispensables à son développement futur, armé d’une culture de l’observation et de l’expression, le jeune adolescent est prêt à rentrer dans l’enseignement professionnel, à recevoir cette éducation syndicaliste à la fois enseignement professionnel et enseignement d’une culture ouvrière.

Culture, le mot est lâché, car rien n’est plus éloigné de ce « refus de parvenir » que le refus de s’élever par la science et la connaissance. L’auteur de Culture prolétarienne, Marcel Martinet, admirateur de Thierry écrira quelques années plus tard, à propos de l’école républicaine : « Ce qui caractérise cette instruction, c’est la misère de la culture concédée au peuple », « le pire ennemi de l’intelligence, le pire ennemi de la révolution aujourd’hui, ce n’est plus l’ignorance, mais l’instruction faussée, tronquée, truquée, telle que la société bourgeoise la donne au peuple.» Pour Albert Thierry, comme l’a fort justement démontré Philippe Meirieu dans un documentaire passionnant[[« Étudier » et non « enseigner »… Albert Thierry (1881-1915), un film de Thierry Kübler, dans la collection « L’éducation en questions » dirigée par Philippe Meirieu. Sur Albert Thierry et le « moment pédagogique », voir le remarquable passage de P. Meirieu in La Pédagogie entre le dire et le faire, chapitre premier, ESF éditeur, 1996. On ne peut cependant que regretter que pour Meirieu l’expérience d’Albert Thierry s’arrête à cette découverte et qu’il n’évoque plus les intuitions sociales de ce pédagogue dans la suite de son texte…]], la rencontre avec la culture se vit dans la confrontation directe avec l’œuvre. Homme de littérature, de culture, son enseignement « professionnel » est aussi un rempart contre la fausse culture transmise par les humanités bourgeoises…

Quant aux parcours des petits collégiens, ils se dessineront en fonction des grandes familles économiques : agriculture, industrie… La pratique en sera nourrie et réciproquement. Enseigner ces pratiques, c’est partir à la rencontre des sciences qui s’y rattachent. Ainsi dans l’enseignement agricole, le premier esquissé par Thierry, seront passées en revue la biologie, la géologie, la zoologie, la botanique, l’électricité, la mécanique… L’instituteur, laissant le soin aux travailleurs de déterminer, au sein de leurs organisations professionnelles, les besoins de cet enseignement, se verra attribuer une vaste tâche : « Adapter le savoir au besoin, la leçon à l’application… »
Si pour cet enseignement industriel, Thierry s’en remet au syndicat, invitant l’instituteur à se rendre à la Bourse du travail, pour y enseigner et pour y apprendre, il serait totalement erroné d’y déceler un quelconque ouvriérisme ou un rejet intellectuel de la « culture ». Au contraire, toute l’éducation tend vers cette « culture de soi-même », cette exigence morale d’une éducation qui prétend former « des hommes »…
 
Mais aujourd’hui ?

Déstabilisant, Albert Thierry ? Assurément, que de certitudes ébranlées, d’évidences sociales, syndicales, militantes, jetées à bas. Actuel ? Non, dans ses positions sur l’éducation des femmes, dans un messianisme archaïque et suspect… Oui, dans sa capacité à élaborer une pédagogie révolutionnaire en partant de son expérience, de son « inquiétude » et surtout de la réalité sociale. Précurseur et « révolutionnaire » ? Sans aucun doute, parce que la voix d’Albert Thierry, une fois son livre refermé, continue à parler en nous, parce qu’elle exige l’effort du questionnement permanent, parce qu’elle rappelle que l’éducation, à l’image du syndicalisme, est ce lieu où l’émancipation individuelle croise l’émancipation collective[[Qu’il me soit permis ici de remercier Charles Jacquier pour ses pertinentes remarques et corrections et pour ses patientes relectures.]].

Grégory Chambat

1 Comment

  1. Thierry Flammant

    Albert Thierry, « L’homme en proie aux enfants »
    Merci à Grégory Chambat de rappeler ces deux figures de l’école émancipatrice que furent Albert Thierry et Marcel Martinet.
    “Le refus de parvenir” … combien de nos experts en sciences de l’éducation, idiots utiles de Sarkozy et Hollande, ont fait le choix inverse, “la volonté de parvenir”. Pour se souvenir de ceux-là, il faudra s’enfoncer dans les poubelles de l’histoire de l’école pour les extirper et dire : “ces gens-là ont tout justifié, ils ont été caution, référence pseudo scientifique et leur responsabilité est donc engagée dans ce qu’il est advenu.”
    Depuis Vichy, l’heure n’a sans doute jamais été aussi grave pour l’école. Deux camps sont clairement opposés : les acteurs de la casse et les résistants. C’est maintenant qu’il faut choisir. Thierry et Martinet avaient choisi.

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